[Témoignage] Défaillances d’entreprises (5/5) : «Ce qui nous a fait le plus mal, ce sont les restrictions de l’Anah»

Après avoir surmonté la crise du Covid-19 et la hausse des prix des matériaux, l’entreprise de ce patron picard n’a pas résisté à l’allongement des instructions des dossiers MaPrimeRénov'.

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Défaillance
Cet entrepreneur de bâtiment a souhaité rester anonyme.

A la tête d’une entreprise de bâtiment en défaillance, ce patron picard de 49 ans accepte de témoigner. A une condition : que ni son nom, ni celui de son entreprise ne soit mentionnés. « J’ai des devis en attente et des clients qui ignorent que je suis en redressement judiciaire. Au moment où j’essaie sortir la tête de l’eau, je n’ai pas envie de les perdre… »

En juillet 2024, suite à une mise en demeure de l’Urssaf, le tribunal de commerce de Compiègne a placé son entreprise en redressement. Depuis un an, l’entrepreneur avait pourtant licencié la moitié de ses 25 salariés, mais les dettes continuaient de s’accumuler. « On a puisé dans la trésorerie en attendant les chantiers, mais ça n’a pas suffi ». La faute selon lui à l’allongement des délais de traitement de MaPrimeRenov’ par l’Agence nationale de l’habitat (Anah). « Nos clients attendaient le feu vert de l’Anah pour signer leur devis ».

Le coup de grâce

Or ces dossiers gérés par l’Anah représentent plus de 60% du chiffre d’affaires de l’entreprise, passé de 3,5 M€ en 2023 à 2,6 M€ en 2024. Spécialisée en démolition, terrassement, maçonnerie générale, la société s’est davantage développée, depuis sa création en 2010, grâce à la rénovation (couverture, isolation, chauffage).

On a puisé dans la trésorerie en attendant les chantiers, mais ça n’a pas suffi

« Le Covid, on a réussi à s’en sortir grâce à un PGE de 350 000 € que l’on a remboursé petit à petit. Ensuite, il y a eu l’augmentation du prix des matériaux, ça a été un peu rude, mais malgré quelques chantiers à perte, on a réussi à actualiser les devis. Ce qui nous fait le plus mal, ce sont vraiment les restrictions de l’Anah ». L’annonce par le gouvernement de la suspension de MaPrimeRenov’ du 23 juin au 15 septembre a sonné comme un coup de grâce.

« On sait qu’il est dangereux de dépendre de subventions soumises aux aléas politiques, mais les gens qui nous appellent le font parce qu’ils pensent pouvoir profiter de ces aides. Ce n’est pas nous qui sommes allés les démarcher », regrette le patron, témoin depuis 15 ans de l’effet parfois pervers des subventions. L’espoir d’y avoir droit incite les clients à différer les travaux de rénovation. Voire à ne pas les entreprendre du tout.

Des déboires et une leçon

On sait qu’il est dangereux de dépendre de subventions soumises aux aléas politiques

Optimiste quant à la reprise de MaPrimeRenov’ à la rentrée, le chef d’entreprise a retenu une leçon de ses déboires : la nécessité de se diversifier. Quitte à imiter certains de ses confrères en refusant des dossiers Anah pour mieux démarcher les industriels et les collectivités. « Même si on sait que ça va être compliqué aussi de ce côté-là dans les années à venir ». Et les appels d’offre lancés par l’Etat ? « Oui, à condition de retrouver des marges de manœuvre financière. On a fini deux beaux chantiers avec le ministère de la Justice. Six mois de travaux sans acompte, suivi de six mois où l’on a dû batailler tous les jours pour toucher nos sous ». En octobre prochain, il a rendez-vous au Tribunal de commerce pour présenter son plan de continuation. Et veut encore y croire.

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