A-F.B. : Forum était une revue d’architecture totalement ouverte aux autodidactes…
A.B. : Ma relation avec l’architecture ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 60, j’ai commencé à travailler pour la revue hollandaise Forum, dont quelques numéros figurent d’ailleurs dans l’exposition, puisqu’on pouvait la considérer comme la voix de Team Ten aux Pays-Bas. Aldo Van Eyck a dirigé la publication de 1959 à 1967 et c’était une revue d’architecture totalement ouverte aux autodidactes. Un espace d’expérimentation. Un magazine libre, complètement libre. Nous étions tous convaincus à cette époque de l’importance du concept « d’éducation permanente ».
Quel est votre lien avec l’architecture ?
L’architecture m’intéresse, mais je ne suis pas un architecte. Et je n’ai jamais travaillé directement avec des architectes sur un projet construit. Cela aurait seulement pu se faire aux Etats-Unis où il existe des bâtiments avec des graphismes magnifiques. Mais pas en Europe. Ici, seule la peau, la surface des choses compte. On ne met pas d’argent pour ce qu’il y a dedans, c’est culturel. La pensée verticale. Je ne me sens pas concerné. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’enveloppe des choses, mais le contenu. Le sens. A la Design Academy d’Eindhoven où j’enseigne et dirige le département « man and communication», j’essaie d’ailleurs d’apprendre aux étudiants à penser, pas à dessiner. En design comme en architecture, réfléchir au sens des projets est absolument nécessaire. Qu’est-ce qu’un architecte si ce n’est quelqu’un qui a la compréhension des matériaux bien sûr, mais également des besoins des enfants, des modes de vie des gens à qui il s’adresse ? Et les attentes ne sont pas uniformes : par exemple, dans un ensemble de villas avec jardins, plus les gens ont d’argent, moins ils se parlent, et donc plus les haies de séparation sont hautes !
Quelle est votre démarche de travail ?
En tant que graphiste, je dois toujours chercher à savoir à qui je m’adresse. Pour l’exposition Team Ten, l’enjeu était de rendre visible pour des non-initiés, l’aventure intellectuelle et artistique d’un groupe d’architectes que personne, ou presque, ne connaît. Il fallait choisir un angle de vision simple et fort, qui permette une lecture instantanée, sans pour autant effacer la radicalité de la démarche. Montrer le sérieux sans esprit de sérieux, divertir. Surtout pas de masturbation intellectuelle, puisque l’exposition est destinée à un musée qui n’accueille pas seulement des historiens de l’architecture. J’aime travailler avec les photos car chaque photo raconte une histoire. Comme le mouvement Team Ten est né et s’est développé autour d’une succession de rencontres, j’ai choisi d’afficher un collage de photos agrandies de tous les membres du groupe, prises lors de ces rendez-vous informels, des pique-niques etc. En plus, j’aime travailler avec les photos, car chaque photo raconte une histoire. Alors j’ai tapissé de photos un mur de 145 mètres et créé un véritable papier peint iconographique qui accompagne le visiteur tout au long de l’espace d’exposition, afin qu’il se familiarise avec ces visages et ces vies de quasi inconnus. En parallèle, nous avons fait avec Suzanne Mulder, la commissaire d’exposition, une sélection de phrases-clés, des questions et des affirmations qui ont émaillé ces trente années de remise en question du mouvement moderne en architecture, et nous les avons disséminées façon mots d’ordre contestataires sur des affiches. Par exemple : « Team Ten est utopiste quant au présent. Leur propos n’est pas seulement de théoriser mais de bâtir, car c’est seulement par la construction qu’une utopie du présent peut être réalisée », Alison Smithson, 1960. Ou encore : « L’architecture est trop importante pour être laissée aux architectes », Giancarlo de Carlo, 1972… »
Vous prenez souvent les choses à l’envers…
Avec Li Edelkoort qui a créé le bureau de style Trend Union et dirige la Design Academy d’Eindhoven, nous éditons trois magazines libres de publicité pour qu’ils se démodent moins vite. Ce ne sont pas des titres mode, mais des publications sur les tendances, qui s’adressent quand même aux gens de mode, aux designers, à tous ceux curieux de comprendre à quoi demain pourrait ressembler. Pour chacun d’entre eux, qu’il s’agisse de design et de style de vie – View, View on Color ou d’horticulture Bloom –, le contenu est crucial. Et les photos sont utilisées comme des mots. Prendre les choses à l’envers ouvre souvent des perspectives plus intemporelles. Par exemple, ce que les gens oublient aujourd’hui à propos de mon Naked Alphabet, c’est que j’avais choisi de le traiter de façon très clean, pas du tout érotique, alors que l’époque était totalement infusée dans l’érotisme.
Le design graphique est une invention hollandaise
Je travaille actuellement sur un projet de livre ou plutôt de catalogue non exhaustif retraçant l’histoire du design graphique aux Pays-Bas. Un livre ouvert, non censuré où je publierai absolument tous les éléments que les graphistes contactés m’enverront. Les créations qui les ont rendus célèbres, celles qui ont été refusées, etc. Une compilation d’opinions personnelles démultipliées. Ce sera un livre de parti pris, puisqu’il y a déjà tellement d’ouvrages qui traitent de ce sujet. Il faut dire que le design graphique est une invention hollandaise. On dénombre aujourd’hui plus de treize écoles qui l’enseignent, alors que nous sommes un tout petit pays. Tout a commencé dans les années 20, et moi, j’apparais pile au milieu de cette histoire. C’est pour cela sans doute qu’on a fait appel à moi pour ce projet.



