Pour l'instant, avec ses sept premiers étages, elle sort à peine de terre. Pourtant, la tour Triangle sera, en 2026, le troisième édifice le plus haut de la capitale, derrière la tour Montparnasse et la tour Eiffel. Culminant à 180 m dans le XVe arrondissement, « cette nouvelle destination parisienne », comme la qualifie Mourad Akl, directeur général du projet pour Unibail-Rodamco-Westfield, totalisera 90 000 m² sur 44 étages. Imaginée par l'agence d'architecture Herzog & de Meuron, elle se caractérisera par sa forme à la fois pyramidale et allongée. Une géométrie originale, imposée par une emprise foncière étroite : 150 m de long sur 35 m de large. Afin de limiter son ombre portée sur les bâtiments avoisinants, trois de ses façades seront inclinées. Seule celle située sur l'arrière, orientée nord-ouest, se tiendra rigoureusement droite.

Quel système constructif utiliser pour un ouvrage si particulier ? Les poteaux inclinés en façade constituent un indice pour le visiteur averti. De fait, leur géométrie ne doit rien au hasard. « A partir de nombreux calculs aux éléments finis réalisés avec différents modèles, plusieurs formes ont été envisagées. Cela a permis d'aboutir à la structure la plus efficace en termes de consommation d'espace et d'utilisation de matière, mais aussi en termes de budget et de calendrier », résume François Lebrun, directeur d'activités chez Setec, en charge des bâtiments et structures complexes. Le bureau d'études a testé et comparé six dispositions très différentes pour retenir, in fine, une conception en « tranches », qui consiste à découper virtuellement la structure. Elle définit l'implantation exacte de chaque poteau tous les 9 m, de façon à ce que, vue de face, les transparences soient préservées, malgré l'inclinaison des éléments qui suit celle des façades.

Rotation générale de la structure en plan. Réaliser cette prouesse nécessite de tenir compte de plusieurs spécificités structurelles pour reprendre les efforts générés par les 200 000 t de la tour. « Les poussées antagonistes des façades nord et sud sont accentuées par l'inclinaison de 5 ° des poteaux, ce qui entraîne une rotation générale de la structure en plan », explique l'ingénieur. Schématiquement, la tour aurait ainsi tendance à adopter un mouvement de torsion au fil de sa construction. « C'est un phénomène inédit ! s'exclame François Lebrun. Nous nous sommes même demandé s'il s'agissait d'un artefact des modèles de calcul. » Mais les résultats ont été confirmés par l'entreprise Besix, après qu'elle a réalisé ses propres modélisations.

Pour éviter les torsions, les équipes ont produit un modèle aux éléments finis phasé, c'est-à-dire intégrant le planning de construction. Par conséquent, en plus des ferraillages complémentaires pour résister à la traction, des compensations horizontales sont prévues à chaque étage, ce qui décale la rive des plateaux de quelques centimètres dans le sens inverse de la rotation d'ensemble.
Par ailleurs, l'inclinaison des poteaux entraîne aussi des efforts de traction horizontaux au niveau des jonctions avec les planchers. Pour les prendre en compte, des tirants de ferraillage continus sont noyés dans chaque dalle jusqu'aux voiles du noyau. « Un choix qui évite de recourir à des reprises par des structures de transfert, ce qui aurait entraîné une surconsommation de béton », explique l'ingénieur.

Prise au vent réduite. Bénéfice inespéré, la forme de la tour ne présentera finalement que peu de prise au vent. En effet, alors que la pression augmente avec l'altitude, elle n'offrira alors qu'une surface d'exposition réduite. Par rapport à un édifice de largeur constante, le mouvement de renversement généré en pied s'en trouve réduit d'un tiers. « Ce comportement a été vérifié sur une maquette au 1/250e à la soufflerie du CSTB à Nantes », précise Elias Raouf, directeur de la construction pour Unibail-Rodamco-Westfield.
De facto, les quantités de béton et d'acier des voiles du noyau qui servent au contreventement ont pu être diminuées de 10 %, soit une économie de 2 000 m3 sur les 16 000 m3 finalement employés. Cette optimisation s'ajoute à l'ambition d'« utiliser 53 % de béton peu émissif en matière de gaz à effet de serre grâce à un ciment CEM III, en particulier pour les fondations, et jusqu'à 90 % d'aciers recyclés », indique Mourad Akl. Enfin, un aluminium recyclé à 62 % sera mis en œuvre dans les menuiseries des futures façades double peau, forcément inclinées elles aussi, dont la pose a déjà commencé.
Informations techniques
Maîtrise d'ouvrage : Société Triangle Renan (Unibail-Rodamco-Westfield et Axa IM Alts).
Maîtrise d'œuvre : Herzog & de Meuron (architecte conception), Valode et Pistre (architecte réalisation), Artelia (exécution), Land'Act (paysagiste), AE 75 (économiste). BET : Setec TPI (structure), Elioth et Egis Conseil (environnement), Progexial (VRD), EPP (façades), Lamoureux (acoustique), Egis (fluides), Ginger Burgeap (géothermie), Terrasol (géotechnique).
Entreprise principale : Besix.
Bureau de contrôle : Socotec.
Certifications et labels : Breeam Outstanding, NF Habitat HQE niveau Exceptionnel, Effinergie +.
Surface : 90 000 m2 S P.
Date de livraison prévue : 2026.
Montant global : environ 660 M€ HT.
Environnement : des impacts à réduire
Controversée depuis les premières esquisses du fait de son empreinte environnementale, la tour Triangle devait être aussi exemplaire que possible. Pour réduire ses impacts, le directeur du projet pour Unibail-Rodamco-Westfield, Mourad Akl, concède « un travail de longue haleine ».
De fait, outre ses 1 100 m² de panneaux photovoltaïques en façade sud, l'ouvrage recourra à la géothermie sur nappe pour couvrir 20 % de ses besoins annuels de chaud et de froid. Il sera également raccordé au réseau de chauffage urbain parisien. Ce bouquet de solutions technologiques permet au bureau d'études Elioth de confirmer que « les espaces seront 3,3 fois plus efficaces énergétiquement que la moyenne du parc tertiaire existant, permettant d'économiser 7 840 MWhef/an », rapporte Mourad Akl.
Les simulations relatives aux futures exigences réglementaires montrent que les consommations de la tour seraient mêmes inférieures de presque 40 % aux seuils projetés du
Enfin, le cabinet de conseil Carbone 4 a mesuré l'empreinte carbone de la mobilité des occupants. Les résultats attestent une économie de 1 000 kg CO /m² sur les transports par rapport à un immeuble situé en première couronne. Reste à prendre en compte le poids carbone de la tour elle-même.