Stratégie : l'industrie veut conjurer la fatalité

Les usines françaises misent sur la capture du dioxyde de carbone pour traiter les émissions fatales. Reste à trouver où les stocker, dans l'Hexagone ou ailleurs.

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France CO2
En France, le potentiel sur les concessions existantes d’hydrocarbures est estimé aux alentours de 800 Mt de CO2, ce qui permettrait de couvrir cinquante ans des besoins de stockage de CO2 de l’industrie française à terme.

Le 17 juin 2024, GRTgaz, le principal opérateur français de transport de gaz, annonçait la signature avec le groupe Equinor, la grande compagnie d'énergie norvégienne, d'un accord de partenariat. Objectif : la construction d'un réseau de transport terrestre et offshore de dioxyde de carbone reliant Dunkerque (Nord) à des sites de stockage en mer du Nord.

Cet accord fait suite à la mise en place depuis bientôt un an de la stratégie française pour le captage, le stockage et l'utilisation du carbone (CCUS). « Cette solution permet de réduire les émissions de CO2 en dernier recours », expliquait fin 2023, le ministre de l'Industrie, Roland Lescure. « L'objectif est de décarboner, d'ici 2030, 10 % des émissions industrielles incompressibles, soit 8 Mt, par des techniques de captage », ajoutait-il.

« Une fois augmentés le taux de substitution des combustibles, l'efficacité énergétique et la réduction du taux de clinker dans nos ciments, il reste le “hard-to-abate”, les émissions fatales de CO2. Il n'y a pas d'alternative à leur captage et leur séquestration ou leur utilisation, confirme Eric Bourdon, directeur général adjoint de Vicat en charge des performances et des investissements. Dans notre feuille de route pour la décarbonation de notre cimenterie de Montalieu-Vercieu (Isère), nous proposons ainsi de capturer l'intégralité de ses émissions, soit 1,2 Mt de CO2 produit, et d'en stocker une partie. Pour cela, nous sollicitons des aides à l'Etat car les investissements nécessaires sont colossaux. »

Cryogénie. Parmi les techniques utilisées notamment par les cimentiers, principaux émetteurs industriels, on trouve par exemple, pour les fumées captées en sortie de cheminée, des « bains » de chaux qui absorbent le CO2, ou encore un traitement avec des solvants aux amines qui leur font relâcher le dioxyde de carbone. Il existe également des membranes filtrantes, mais au coût très élevé. Enfin, le gaz peut être liquéfié par cryogénie (lire p. 16). Reste ensuite à s'assurer de la disponibilité et de la viabilité des solutions de stockage. Et pour cela, la France joue sur deux tableaux. A l'étranger et sur le territoire national.

En France, le gouvernement de Gabriel Attal a lancé fin avril un appel à manifestation d'intérêt ciblant notamment les acteurs des hydrocarbures afin qu'ils proposent des projets d'enfouissement du CO2, en priorité dans les gisements anciens ou toujours actifs - des champs d'hydrocarbures vidés ou des aquifères salins, à une profondeur minimale de 800 m - en région parisienne, dans le bassin aquitain et le Piémont pyrénéen. Selon Bercy, « le potentiel sur les concessions existantes d'hydrocarbures au niveau national est estimé aux alentours de 800 Mt de CO2 », ce qui permettrait de couvrir « cinquante ans des besoins de stockage de l'industrie française ». Une fois les sites potentiels signalés par les entreprises, d'ici le 26 juillet, une phase d'appel à projets devrait être ouverte jusqu'en décembre afin d'en évaluer précisément les capacités. L'ambition affichée est alors que « début 2025, le stockage du carbone soit testé dans quatre ou cinq endroits en France », indiquait le ministère. Ces essais devront également permettre de vérifier que les puits sont bien étanches pour y accueillir du CO2. A ce moment-là, ces programmes pourront bénéficier d'une enveloppe globale encore provisoire d'« environ 20 à 30 M€ » dans le cadre du plan France 2030.

Cap au nord. En dehors de l'Hexagone, des pays comme la Norvège et le Danemark envisagent également de stocker du CO2 mais en eaux profondes, des projets au coût élevé en raison du transport et de la technologie utilisée, en offshore. Les 30 et 31 octobre 2023, Roland Lescure a ainsi effectué un déplacement en Norvège dans le cadre d'une rencontre visant à un accord bilatéral - signé le 16 janvier dernier - sur les industries vertes et le captage et stockage de carbone qui indique la volonté des deux pays de travailler en commun et de construire des partenariats entre leurs industriels, tout en créant une instance qui permette de faire de la « réservation de capacités » de stockage de CO2. L'idée est de fournir aux candidats à la séquestration de CO2, dès 2024, un cadre de régulation du transport de CO2 avec des infrastructures longue distance, notamment depuis et vers les quatre zones industrielles bas carbone du Havre, de Dunkerque, de Saint-Nazaire et de Fos-sur-Mer.

Le 4 mars dernier, c'est cette fois avec le Danemark que la France a signé un accord bilatéral pour permettre à terme le transport et le stockage du dioxyde de carbone issu de l'industrie française dans les sous-sols danois. Cette alliance permet en théorie dès cette année, éventuellement, d'exporter du CO2 de la France vers le Danemark, en le transportant par bateau, au titre de la convention de Londres, texte qui encadre le transport de différents déchets, notamment les gaz industriels, par voie maritime. A terme, la France souhaite aller plus loin et « construire un réseau de partenariats européens avec des pays qui disposent d'ores et déjà de ressources géologiques pour stocker du CO2 dans leurs sous-sols profonds », selon le ministère de l'Industrie. Des partenariats de ce type pourraient ainsi être conclus, et à long terme. Lorsque les quantités atteindront, selon Bercy, « plusieurs mégatonnes par an entre la France et la mer du Nord, il sera plus économique de le faire par carboduc ».

Une fois résolues les questions de capacités de stockage, les industriels devront s'organiser pour mutualiser les coûts colossaux

Une fois résolues les questions de capacités de stockage, les industriels devront s'organiser pour mutualiser les coûts colossaux. « Il faut effectivement des partenaires tout au long de la chaîne de valeur, poursuit Eric Bourdon. Par exemple, pour notre projet Hynovi de capture du CO2 de notre usine de Montalieu-Vercieu.

Un site proche de l'axe rhodanien qui regorge de tuyaux disponibles pour acheminer le CO2 jusqu'à Fos-sur-Mer. De là, des solutions de stockage en mer du Nord seront accessibles dès 2024. Il y en aura d'autres à l'avenir en Méditerranée comme en mer Adriatique ou en Grèce et dans l'Atlantique ouest. Il existe aussi un potentiel dans le sous-sol français, beaucoup moins cher que d'aller au fond des mers, mais le sujet de l'acceptabilité sociétale doit être correctement traité. Dans tous les cas, nouer des accords est essentiel. Ne serait-ce que pour obtenir des aides de l'Union européenne. »

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