C’est l’histoire d’un choc. Celui ressenti par Pierre Bollard, à l’été 2019. Directeur général depuis 2012 du leader français du prémur préfabriqué Spurgin (25 à 30% de parts de marché, 1,4M de m² produits pour 130M€ de chiffre d’affaires en 2023), cet amateur de ski qui constate d’année en année la fonte des glaciers et l’assèchement des rivières de sa région décide d’agir. « A l’automne 2019, je décide que Spurgin doit prendre sa part dans le mouvement de décarbonation », raconte-t-il. « Sans dogme : ce n’est pas parce qu’on est préfabricant béton qu’on doit rester un préfabricant béton. »
Commence alors pour Spurgin, une grande démarche de R&D et de travail sur l’outil de production. Le groupe décide d’abord d’équiper chacune des toitures de ses usines, de panneaux photovoltaïques, au rythme d’une usine par an. « Nous en sommes à quatre à ce jour et nous produirons 2141 Mwh à fin 2025 », se félicite Pierre Bollard.
Ciment qui tache...
Cible suivante : le béton de ses prémurs. « Nous choisissons de nous orienter vers un béton bas carbone CEM IV (à base de clinker et de pouzzolane) que nous fournit Vicat », poursuit-il. « Mais ce CEM IV, certes moins carboné, est moins résistant et de prise moins rapide. Il nous a fallu développer les bonnes formulations avant de pouvoir, en septembre 2020, lancer la production avec du CEM IV sur l’ensemble de nos sites. Ce, avec le soutien des actionnaires, malgré le surcoût par rapport à un ciment classique. »
L’usine de Blyes (Ain) passe à 100% en CEM IV. Mais là… « La production est arrêtée au bout de deux mois : le ciment engendrait de la corrosion des moules, la rouille tachait les murs… » avoue Pierre Bollard.
Spurgin, qui n’en est pas à son premier coup d’arrêt (lire encadré plus bas), fait alors marche arrière et décide de n’utiliser le CEM IV qu’avec parcimonie. « Aujourd’hui, cela représente 11% de notre production et on nous en achète 2% », explique le dirigeant.
Isopré, trop précurseur
En 2004, Spurgin développe IsoPré (MC2I), un prémur isolé. Préfabriqué sur mesure, il est rempli avec un isolant polystyrène ou polyuréthane de 8 à 18 cm d’épaisseur protégé par une paroi de béton de 5 cm. Son épaisseur totale varie entre 32 et 48 cm d’épaisseur. « Cela permet une réduction des délais de réalisation. Mais il faut intégrer la dimension des ouvertures et les réservations électriques en amont, ce qui demande une conception très poussée », explique Pierre Bollard. « Ce qui a limité son développement. Nous n’en avons vendu que 50 000 m² en 2023. Pour la simple raison que nous ne l’avons pas prescrit… par peur. Dès les premiers retours après le lancement nous avons craint de ne pas avoir la structure pour encaisser la demande. Et nous l'avons cassée », reconnaît Pierre Bollard.
La réflexion suivante coule de source : si le béton bas carbone n’est pas une solution optimale, pourquoi ne pas réduire la consommation de béton ? Spurgin décide de faire alors ses murs autrement et lance le développement de deux produits : un prémur de 16 cm dans lequel sont intégrées de fortes sections d’armature et un prémur à galettes. Deux parois de 5 cm reliées par des aciers entre lesquelles sont insérées des « stockeurs de CO2 », des galettes de béton et de bois qui permettent d’économiser sur le remplissage de béton. « Environ -20% », selon Pierre Bollard qui ajoute « et cela permet jusqu’à 27% d’économies de CO2 ».
Breveté et couvert par un Atex le produit est lancé. Las : « On ne sait pas le vendre… » reconnaît Pierre Bollard. Nouvel échec commercial. Doublé d’un autre : le partenariat avec Techniwood pour le prémur Isowood en bois s’arrête au bout de quelques mois.
Mais Spurgin s’accroche à l’idée et un nouveau partenariat, cette fois avec CCB Greentech pour un agrégat de bois permettant la préfabrication massive en béton de bois, voit le jour. Spurgin obtient la licence en 2020 et lance la production de murs en béton de bois CS2 à la Roque d’Anthéron. Cette fois, le produit, lui aussi sous Atex, se développe bien. « Nous avons fait la bonne prescription en amont avec un responsable, dédié, Fabien Panel », se félicite Pierre Bollard. « Les promesses du produit sont là : biosourcé, stockeur de CO2, résistant au feu, perspirant, « léger » (160 kg au m²)... Porteur, il permet de monter des bâtiments jusqu’à R+3 et la surélévation », énumère-t-il.
Le succès industriel et commercial pourrait bien cette fois être au rendez-vous : Spurgin inaugure en effet le 6 juin prochain la première ligne de production à Mignières, près de Chartres, avec une capacité de production jusqu’à 300 000 m² de murs. Une usine automatisée qui a nécessité un investissement de 13 M€. « Et nous avons déjà décroché de beaux marchés : l’hôpital psychiatrique de Tours pour 7000 m² ; 7000 m² pour la cité scolaire de Sartrouville avec GCC », se félicite Pierre Bollard.
Au total, Spurgin aura investi 27M€ en 2023 et 2024. Pour de nouveaux produits mais surtout pour une nouvelle cible : « Nos clients ne sont plus simplement les entreprises de gros œuvre mais les architectes et les maîtres d’ouvrages. A ceux-là, nous voulons proposer le bon mur au bon endroit », promet-il.
Historique
1978 : Association entre le carrier français Leonhart (40%) et le préfabricant allemand Spurgin (60%). Création de la 1ère unité de prédalles de béton armé en Alsace. Aujourd'hui, Spurgin Leonhart est 100% française.
1980 : Création d’une unité de production de produits préfabriqués béton en complément de la gamme de prédalles béton armé en Alsace.
1986 : Spurgin crée une unité de construction de prémurs. Monte le premier outil industriel de fabrication de prémurs en France en 1992.
1994 : Premier avis technique.
1999 : Premier Avis Technique reconnaissant le Prémur comme mur structurel.
2004 : Ouverture de l’usine de Blyes dans l’Ain
2011 : installation à Chartres ce la 4e usine de production
2017 : 5e usine à Nesles
2018 : Ouverture de la 6e unité de production, à la Roque d’Anthéron.