Interview

« Si les forestiers réagissent rapidement, il sera possible de récupérer 90 % du bois qui a brûlé », Jacques Hazera, expert-forestier

Expert-forestier en Gironde, Jacques Hazera tire les leçons des incendies qui ont détruit 28 000 ha de forêts dans le sud-ouest cet été. 

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Jacques Hazera
Basé en Gironde, Jacques Hazera est expert-forestier.

Quel bilan peut-on dresser des feux en Gironde ?

Les incendies ont détruit environ 28 000 ha de forêts en Gironde en deux grandes phases : du 12 au 25 juillet, puis du 9 au 15 août. Ces incendies ont détruit deux types de forêts, des espaces plantés de pins destinés à la filière bois-forêt et la forêt usagère de la Teste-de-Buch (l’incendie a duré du 12 au 29 juillet). Il est important de noter qu’il s’agit de zones gérées de façon très différente. Les forêts de pins étaient entretenues suivant les critères de la sylviculture classique qui préconisent le débroussaillement complet et sont pourvus de nombreux accès pour les pompiers.

A l’inverse, la forêt de la Teste-de-Buch, soit environ 7000 ha, dispose d’un statut juridique particulier hérité du 14e siècle : environ 3800 ha sont régis par les principes de la forêt usagère. Cela signifie que ses propriétaires n’en ont pas l’usufruit, qui est réservé aux résidents de la commune qui peuvent utiliser son bois pour se chauffer ou pour leurs constructions. Résultat : les conflits sont nombreux et la forêt périclitait.

La forêt landaise représente 1 million d’hectares, ce sont donc 2 % qui sont perdus, à travers une dizaine de communes (Landiras, Saint-Magne, Guillos, Louchats, Hostens…), dont il ne reste, à peu de chose près, que les constructions. 

Ces pertes risquent-elles d’aggraver encore la pénurie de matériaux, en particulier en bois pour la construction ?

A court terme, si les forestiers réagissent rapidement et coupent dès septembre les arbres dont l’écorce a brulé, il sera possible de récupérer 90 % du bois. L’écorce des grands arbres a protégé leur cœur qui, intact, peut être utilisé par la filière forêt-bois. Il faut s’attendre à une décote car l’exploitation sera plus complexe du fait des flammes. Par exemple, les écorces ne seront pas valorisables, mais une partie pourra être commercialisée. D’autant plus facilement que la demande de bois est forte en ce moment.

La perte va porter davantage sur les jeunes plants, âgés d’une dizaine d’années seulement, ils sont plus vulnérables et représentent donc un manque de 10 ans de potentiel productif pour leurs propriétaires. 

Comment peut-on améliorer la résistance des forêts landaises à l’avenir ?

Il y a deux erreurs à éviter : se précipiter à reboiser par plantation et vouloir imposer un débroussaillement généralisé. Sur la première, le labour impliqué par la plantation amplifierait la dégradation du sol. Or, après un incendie, la régénération naturelle se met en place à profusion, surtout avec le pin maritime. De plus, cette régénération naturelle permet de s’affranchir des travaux de type nettoyage, broyage, arrachage des souches… qui sont à la fois néfastes pour le milieu et coûteux pour le propriétaire.

Il est également nécessaire de conserver les broussailles qui constituent l’habitat de tous les organismes vivants qui participent au bon fonctionnement de l’écosystème forestier. Alors qu’un débroussaillage annulerait la multitude de bénéfices liés à l'activité vitale qu'abrite cet écosystème : en particulier la porosité permettant la pénétration de l'eau, mais aussi sa rétention, son filtrage et son épuration…

En tant qu’expert-forestier, quelles mesures préconisez-vous ?

Il est nécessaire de revoir en profondeur notre gestion des forêts. Et, en premier lieu, arrêter de considérer la flore du sous-bois comme un combustible et donc ne baser la prévention que sur le débroussaillement. D'ailleurs, nous avons pu constater en juillet que des parcelles parfaitement entretenues ont brûlé tout autant que les autres.

Au contraire, si on laisse vivre les herbacées et les arbustives, cela favorise la biomasse emplie de sève, dont très chargée en eau. D'autre part, cela créé une atmosphère basse emplie d'humidité grâce à l'évapotranspiration de toute la masse foliaire vivante. L’air comme les couches superficielles du sol se trouvent alors à la fois humidifiés et rafraîchis.

La diversification des essences peut-elle jouer un rôle dans la résistance et la résilience des forêts ?

Il est établi que la présence de feuillus permet généralement d'atténuer les risques d'incendie. Il est donc important de favoriser autant que possible un mélange d'essences et, en tous cas, d'éviter de détruire les chênes, les bouleaux, les trembles, et tous les autres feuillus déjà présents. De plus, accuser ces feuillus de n'être que des concurrents des pins quant à l'approvisionnement en eau est une grave erreur car c'est ignorer la multitude d'interactions positives qui existent dans une forêt en bon état.

De même, il est primordial de conserver du bois mort sous toutes formes et toutes dimensions (gros arbres morts sur pied, bois mort au sol, rémanents, rameaux fins...) et notamment les souches, car cette matière organique morte représente à la fois des pompes à humidité au service du milieu environnant et des habitats pour toutes sortes d’espèces.

Lorsqu'un feu est déclaré, comment faciliter l'intervention des pompiers ?

Il faut leur permettre d'accéder le plus vite possible à la zone où le feu débute. Il est donc impératif que la forêt soit pénétrable grâce à une desserte complète en bon état et à un réseau dense de cloisonnements intra-parcellaire. Etablis à l'intérieur des parcelles, ces cloisonnements permettent une circulation sans danger et sans mauvaise surprise.

Quelle place doit occuper l'éducation de la population face au risque d'incendie ?

Dans un contexte de climat qui se réchauffe, il est primordial de sensibiliser toute la population aux risques d’incendie de forêts. Cette éducation est d’autant plus prégnante que dans neuf cas sur dix, l’incendie est d’origine humaine, lié à la négligence ou à la malveillance. Il est donc important d’éduquer les jeunes via l’Education nationale, mais également toute la population. Un simple mégot jeté depuis la fenêtre d’un véhicule peut suffire à causer un embrasement généralisé, surtout dans une période de sécheresse et de canicule, qui oblige les arbres à se mettre en sommeil, un état dans lequel ils sont plus vulnérables.

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