Quel est l’objet de votre feuille de route Climat 2030 ?
Nous annonçons dans notre feuille de route une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici 2030 sur la totalité de la chaîne de valeur. Nous avons fixé cet objectif avec le support de Carbone 4.
Réduire les émissions ce n’est pas nouveau pour nous : nous les avons déjà réduites de 40% entre 2010 et 2020. Mais aujourd’hui ce n’est plus juste un effort à fournir sur nos usines de production en termes de consommations énergétiques ou de type d’énergie mais un travail sur l’amont - avec nos fournisseurs de matières premières - et sur l’aval – avec nos clients pour la gestion des produits en fin d’usage afin d’éviter leur incinération.
Notre feuille de route est donc un message fort pour nos clients et il est important pour nous d’avoir une validation par un organisme international reconnu ; le Science Based Targets initiative (SBTi) pourra confirmer que nous sommes bien en ligne avec l’objectif de l’accord de Paris : maintenir le réchauffement à +1,5°C.
Pourquoi ne pas attendre que ces objectifs soient effectivement validés par SBTi ?
C’est important parce que nos clients demandent de plus en plus aux fournisseurs de confirmer et de démontrer qu’ils sont en ligne avec l’accord de Paris. Annoncer que nous sommes suivis par SBTi est une manière de démontrer que nous sommes confiants dans l’atteinte de nos objectifs. Ce processus laisse deux ans aux entreprises pour travailler sur la compréhension de leur empreinte carbone et définir leurs objectifs. Or tout ce travail nous l’avons déjà fait. Nous sommes prêts et devrions avoir confirmation de la part du SBTi d’ici la fin de l’année.
Certains de vos produits sont déjà « Cradle to Cradle », c’est-à-dire recyclés et recyclables à 100%. Cette certification ne suffisait pas ?
Nous travaillons effectivement avec la méthodologie Cradle to Cradle® depuis 2010. Elle couvre un certain nombre de domaines qui permettent l’évaluation des matériaux sur la santé humaine et l’environnement, incluant le recyclage. Mais cette certification ne garantit pas que la stratégie de l’entreprise est bien en ligne avec les objectifs de l’accord de Paris. Il est donc nécessaire de compléter tout cela.
Nous insistons sur l’éco-conception parce que les scopes 1 et 2 chez Tarkett ne représentent que 10% de notre empreinte carbone. En revanche environ 75% de notre empreinte carbone vient de nos matières premières et de l’incinération en fin d’usage.
Quand on regarde l’ensemble des scopes, on voit à quel point il est important d’éviter l’incinération en récupérant le produit en fin d’usage pour le réintroduire dans un produit neuf. Il faut mettre l’accent sur l’économie circulaire, sobre en matériaux vierges.
L'économie circulaire peut réduire notre empreinte carbone de 50% en moyenne
Mais vous le faites déjà…
Oui mais si l’on veut avoir une juste contribution à la neutralité carbone d’ici à 2050, il faut transformer toute l’industrie, pas uniquement Tarkett. Nous recyclons déjà, notamment avec le programme ReStart qui permet de récupérer les chutes de pose. Mais il faut aller plus loin et récupérer les revêtements de sol en fin d’usage. Pour cela nous avons besoin de l’aide de nos clients et de l’industrie.
Nous avons fait nos calculs : l’économie circulaire peut réduire notre empreinte carbone de 50% en moyenne. Nous pourrions donc aller bien au-delà de notre objectif de 30% si toute l’industrie s’organisait. L’écoconception des produits est une étape nécessaire pour maximiser leur valeur en fin d’usage, mais elle ne suffit pas. On doit pouvoir les récupérer, les trier, séparer les constituants pour maximiser la valeur de chacun, ce que l’industrie fait trop peu, tout du moins à grande échelle.
Notre atout c’est que nous sommes déjà dans cette démarche. Mais aujourd’hui l’infrastructure nécessaire pour récupérer et trier les sols en fin d’usage est insuffisante. Une transformation doit se faire et nous collaborons avec nos clients pour l’accélérer.
Vous pourrez par exemple vous appuyer sur la REP bâtiment...
Le secteur du bâtiment dans le monde représente 40% des émissions de GES et 70% des déchets.
C’est colossal. Quand on voit la quantité de matériaux qu’on pourrait récupérer suite aux déconstructions ou rénovations, on se rend compte d’un gâchis monumental.
Une réglementation qui pousse les organisations à utiliser plus de matières recyclées, à structurer leur filière pour mieux valoriser leurs déchets va évidemment dans la bonne direction.
Aujourd’hui notre limite n’est pas notre technologie, nous savons recycler nos produits ou même des déchets d’autres industries. Nous sommes limités par le manque de matières à recycler.
Comment faire baisser concrètement les émissions sur les scopes 1, 2 et 3 ?
Prenons le scope 1. Il s’agit de l’énergie que nous produisons localement, dans nos chaudières par exemple. Nous travaillons avec nos fournisseurs pour utiliser du biogaz issu de la méthanisation. Nous investissons également dans la fabrication d’énergie à partir de biomasse ; un investissement est ainsi prévu pour installer une chaudière biomasse dans notre usine de Bačka Palanka en Serbie.
Le scope 2, c’est l’électricité que l’on utilise dans nos usines. Il faut inciter les fournisseurs d’électricité à développer leur offre d’énergie renouvelable ou bas carbone. La transformation de l’industrie de l’énergie a commencé et nous pouvons profiter d’une offre d’énergie « verte » plus importante.
Sur ces deux scopes nous avons réduit nos émissions de 40% entre 2010 et 2020.
Sur le scope 3, nos équipes développent des produits plus faciles à recycler et surtout qui auront plus de valeur une fois recyclés. Aujourd’hui, les matériaux recyclables ont souvent une très faible valeur ajoutée. Vous prenez un matériau, vous le broyez, vous en faites une charge et vous réutilisez cette charge dans la fabrication en substitution d’une autre charge. C’est bien mais on doit faire mieux. Pour la moquette par exemple il faut réussir à séparer les fibres de polyamide, qui ont coûté cher en énergie et en carbone. En les isolant comme nous le faisons dans notre usine de Waalwijk aux Pays- Bas, nous permettons à notre fournisseur de fabriquer de nouvelles fibres de polyamide. C’est la même chose sur les autres matériaux comme la polyoléfine, le PVB ou le vinyle qui se recyclent très bien.
Autre exemple : le poids des produits. Nos clients achètent des m². En travaillant sur le poids de chaque constituant et en particulier le poids des éléments qui coûtent cher en carbone, on peut produire la même surface tout en réduisant l’empreinte carbone de chaque m². Mais les poseurs ou les clients sont parfois réticents : pour eux moins de poids c’est moins de résistance. Il y a un travail d’éducation à faire. Nous incitons également nos fournisseurs à utiliser des matières premières elles-mêmes issues de matières recyclées ou de biomasse. Cela peut être très efficace. Je pense notamment à IQ Natural, un revêtement homogène utilisé dans les hôpitaux, fabriqué avec du vinyle bio-attribué. Son empreinte carbone est inférieure de 60 % à celle d’un revêtement de sol homogène moyen.
Certains investissements ont été revus parce qu’ils n’allaient pas dans la bonne direction
Quel poids représente la logistique ?
Le transport des matières premières vers nos usines et de nos produits vers nos clients représente environ 15% de nos émissions. Il est possible d’utiliser des biocarburants mais cela reste extrêmement limité et couteux. C’est un secteur qui a peu bougé jusqu’à présent et qui évoluera certainement à l’avenir. Pour nous la priorité est d’investir sur le développement de l’économie circulaire et sur l’innovation.
Quel investissement va représenter la poursuite de l’objectif 2030 ?
Dans les 10 années qui viennent les investissements seront significatifs, ils seront de l’ordre de plusieurs millions d’euros. La transformation de l’entreprise s’appuiera également sur la transformation du secteur. Chez Tarkett, ces douze derniers mois nous avons adopté de nouvelles règles pour que les processus de décision interne soutiennent l’objectif de notre feuille de route.
Par exemple nous utilisons maintenant un prix du carbone. A chaque fois que l’on fait un investissement on mesure le poids de cet investissement sur l’empreinte carbone de Tarkett. On convertit l’investissement en tonne de CO2 équivalent et on applique un prix du carbone qui permet de valoriser ou de pénaliser cet investissement. Certains investissements ont été revus parce qu’ils n’allaient pas dans la bonne direction, à l’inverse d’autres ont été accélérés.