Le législateur a reconnu aux associations d’usagers une place à part entière dans l’organisation des services publics locaux, à travers la commission consultative prévue par l’article L.1413-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Un arrêt du Conseil d’Etat du 18 mars 2005, « Comité Intercommunal de défense des usagers de l’eau » (n°261079) permet de faire le point sur l’accès au prétoire, de plus en plus fréquent, des associations d’usagers. Celui-ci est conditionné essentiellement par leur intérêt à agir et par l’objet du recours.
Intérêt à agir
L’exercice de tout recours doit être justifié par l’intérêt du requérant à agir contre les mesures qu’il estime illégales. Et c’est de la lésion de cet intérêt que le requérant tire le titre juridique qui l’habilite à saisir le juge. La recevabilité du recours se trouve donc subordonnée à la reconnaissance d’un tel intérêt qui peut toutefois se révéler n’être qu’un intérêt moral, de sorte que l’éventuelle annulation de l’acte administratif attaqué n’aura dans ce cas aucune conséquence patrimoniale. Cet intérêt doit satisfaire à plusieurs conditions.
Intérêt personnel
Lorsque le requérant est une association, l’intérêt doit être étroitement lié à l’objet social déterminé par les statuts de l’association concernée. C’est la question tranchée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt ici commenté.
Une association d’usagers du service public de distribution d’eau potable a demandé l’annulation des délibérations approuvant les avenants à la convention d’exploitation de ce service, aux motifs qu’en confiant la gestion à une société privée, ils modifiaient notamment le programme initial de travaux et les tarifs des prestations fournies aux usagers. Saisie du litige, la cour administrative d’appel de Marseille avait estimé que l’association ne disposait pas d’un intérêt suffisant pour demander l’annulation des délibérations. Selon ses statuts, l’association avait pour but « dans l’intérêt de tous les usagers de l’agglomération de Fréjus-Saint-Raphaël, titulaires d’un abonnement à la Compagnie Méditerranéenne d’exploitation des services d’eau ou de tout autre société concessionnaire ou fermière, d’entreprendre toutes actions ou démarches utiles à l’obtention des explications et éclaircissements sur les contrats passés entre les collectivités et toute société concessionnaire ou fermière, ainsi que les justifications du prix de l’eau et de son assainissement ». Il était précisé que « le comité intercommunal de défense des usagers de l’eau aura la possibilité d’ester en justice pour la défense collective de ses membres, afin d’obtenir réparation du préjudice souffert par eux ».
Le Conseil d’Etat a considéré, contrairement à la cour administrative d’appel, que l’objet statutaire était suffisant. La haute juridiction retient que, dans les statuts de l’association, il est prévu la possibilité d’agir en justice pour la défense collective de ses membres. Or cette défense ne se borne pas aux actions pour obtenir réparation des préjudices subis par chacun d’eux. « Elle comprend aussi les actions pour contester la légalité des actes faisant grief aux intérêts des usagers du service public de la distribution d’eau potable de la commune de Saint-Raphaël. » Cette solution ne procède pas d’une application littérale des statuts mais d’une interprétation un peu plus libérale qui caractérise d’ailleurs, en général, la jurisprudence en la matière.
Intérêt pertinent
L’intérêt doit également être suffisamment pertinent, c’est-à-dire en rapport avec la décision attaquée, ce qui n’est pas sans incidence lorsque l’objet statutaire de l’association requérante est trop étendu. Dans cette hypothèse, il n’est pas rare que le juge considère que l’intérêt collectif pris en charge par l’association est trop vaste par rapport à l’objet de la décision contestée (1).
Ce n’est toutefois pas toujours le cas. En témoigne un arrêt du Conseil d’Etat du 15 janvier 1997, (« Fédération nationale des associations d’usagers de transports », req. n°152 289), jugeant que ladite fédération avait intérêt à solliciter l’annulation d’une fermeture pour la SNCF de dessertes locales.
Intérêt direct et certain
L’intérêt invoqué par le requérant doit être directement et certainement lésé par la décision attaquée. Ainsi, un syndicat professionnel regroupant des professionnels du bâtiment et des travaux publics, qui demandait l’annulation d’un décret relatif à l’allégement fiscal accordé aux contribuables ayant épargné en vue de la construction d’immeubles d’habitation en invoquant les répercussions sur l’activité de ses adhérents, ne s’est pas vu reconnaître recevable à agir, au motif que l’intérêt collectif défendu par ce syndicat n’était pas lésé d’une façon suffisamment directe (CE 7 mars 1962, « Syndicat national professionnel du bâtiment et de travaux publics du Loiret », Rec. p. 1059).
Le caractère certain de l’intérêt invoqué ne doit pas s’interpréter comme l’exigence d’une lésion avérée et consommée. Il suffit que cette lésion ne soit pas manifestement incertaine. La seule possibilité qu’un intérêt soit lésé peut suffire pour que l’action soit recevable (2).
Une fois leur intérêt à agir reconnu, les associations d’usagers devraient pouvoir valablement faire valoir leur contestation. Mais elles doivent aussi respecter certaines règles quant à l’objet de cette contestation.
Représentation en justice
Le recours doit être introduit par une personne habilitée pour représenter l’association en justice. Cette habilitation ressort le plus souvent des statuts, qui désignent dans la majorité des cas le président de l’association. Lorsque rien n’est indiqué dans les statuts, il appartient alors aux organes de l’association de conférer à un dirigeant un mandat exprès d’agir en justice.
S’agissant de la représentation devant les tribunaux administratifs, une distinction a, un temps, été opérée entre le pouvoir du dirigeant d’intenter une action au nom de cette dernière, lequel devait nécessiter, en l’absence de dispositions statutaires, une décision expresse de l’assemblée générale (17 janvier 1996, « Association Eglise Druidique des Gaules », req. n°160 623 ; CE 23 avril 1997, « Syndicat national de la production cinématographique », req. n°1 446 181). Depuis, le Conseil d’Etat a, semble-t-il procédé à un revirement de jurisprudence, estimant qu’« en l’absence, dans les statuts d’une association d’un syndicat, de stipulation réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif, celle-ci est régulièrement engagée par l’organe tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice cette association ou ce syndicat » (CE 3 avril 1998, « Fédération de la plasturgie », req.177 962). La haute juridiction administrative rejoint en cela la position qui a toujours été celle du juge judiciaire sur cette question (voir par ex. Civ. 1ère, 7 novembre 1995, Bull civ I, n°389).
Les actes attaquables
Le règlement du service
Les mesures d’organisation du service public susceptibles de léser les intérêts des usagers procèdent en premier lieu – lorsqu’il existe – du règlement du service. Celui-ci, de par son caractère d’acte général et impersonnel, est considéré comme un ensemble de dispositions à caractère réglementaire dont l’annulation peut être sollicitée du juge administratif (3). Toutefois, pour les services exploités par un tiers dans le cadre d’une délégation de service public, il peut arriver que le règlement ne comporte pas seulement des clauses réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement du service, mais également des clauses contractuelles relatives aux relations entre la collectivité et l’exploitant qui, elles, ne peuvent être contestées par les usagers (4).
Les avenants
La même distinction doit être opérée pour la contestation des contrats d’exploitation de service public et de leurs avenants. En principe, un contrat qui s’analyse comme un échange de volontés et non comme un acte administratif unilatéral, n’est pas susceptible de faire directement l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (5).
Toutefois, le juge administratif admet, depuis une dizaine d’années, que les clauses contractuelles qui revêtent un caractère réglementaire puissent être contestées par des tiers au contrat, et en particulier par les usagers du service (CE, 10 juillet 1996, « Cayzeele », Rec. p. 274 ; Ajda 1996 p.807).
Ces clauses à caractère réglementaire concernent l’organisation et le fonctionnement du service. A cet égard, les clauses financières, et en particulier les clauses tarifaires, ont un aspect hybride : elles revêtent à la fois un caractère contractuel, en ce qu’elles déterminent ce que sera la rémunération du cocontractant, et un caractère réglementaire, lié au fait qu’elles s’imposent aux usagers tenus de s’acquitter du prix du service (6).Dans l’arrêt du 18 mars 2005, l’intérêt à agir de l’association de défense des usagers paraissait d’autant moins contestable pour le Conseil d’Etat que les avenants litigieux avaient des effets directs sur le montant des tarifs.
Délibérations relatives à l’organisation du service
Les usagers peuvent enfin contester les délibérations relatives à l’organisation du service, en particulier si celui-ci est délégué à un tiers. Il s’agit des actes dits détachables du contrat de délégation de service public. Ainsi sont fréquemment attaquées la décision de signer un contrat – ou un avenant – ou encore la délibération autorisant cette signature. L’annulation d’un tel acte détachable est de nature à retentir sur le contrat lui-même, surtout si le requérant a pris soin de demander au juge, parallèlement à l’annulation de l’acte détachable, d’enjoindre à la collectivité de prendre les mesures nécessaires pour exécuter le jugement, comme, par exemple, résilier le contrat ou saisir le juge du contrat d’une action en nullité.