L’arbre parisien cache une forêt encore clairsemée, pour ceux qui regardent les territoires sous l’angle de la prise en compte du climat dans la planification. Avec son agence régionale Energie Climat, l’Institut Paris Région s’est livré à l’exercice à l’échelle de l’Ile-de-France : « Seules treize des 60 intercommunalités ont adopté et mettent en oeuvre à ce jour un Plan Climat Air Energie Territorial », relève Erwan Cordeau, chargé d’études et de projets en écologie urbaine.
Inertie locale
Pire : dans ces PCAET, « moins de 10 % des actions relèvent de l’adaptation au changement climatique dans la planification, et peu de ces actions portent explicitement sur l’intégration de recommandations dans les documents d’urbanisme », poursuit le chargé d’études.
Ce 25 juin par 35°C à l’ombre et juste après la mise en ligne des 200 îlots de fraîcheur qui quadrillent Paris, Yann Françoise, chargé du plan climat dans la capitale, récapitule la longue marche de cette dernière, entre la première ébauche de stratégie en 2004 et l’adoption du second plan climat en mars 2018.
Arbre parisien
La planification ne se pilote pas comme une voiture de course, comme le montrent les étapes intermédiaires : premières recherches sur les îlots de chaleur urbaine avec Météo France en 2007, finalisation de la stratégie d’adaptation en 2015, après le plan climat de 2012 d’où découle l’étude de vulnérabilité et de robustesse...
La bonne nouvelle de l’essaimage vient de l’est : le 4 février dernier, l’agglomération Est Ensemble a adopté son plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), opposable depuis la fin mars dans les 9 communes qui totalisent 408 000 habitants de Seine-Saint-Denis. Le document s’appuie sur une cartographie des îlots de chaleur associée à des orientations d’aménagement et de programmation.
Montreuil montre la voie
Mieux : pour tenir ses objectifs de gestion de l’eau et de rafraîchissement, la collectivité s’interdit de passer sous les seuils de 35 % d’espaces végétalisés, dont 15 % en pleine terre. L’introduction du coefficient de biotope, dans les toitures végétalisées, permettra d’atteindre cet objectif dans les parties les plus denses du territoire.
« Très carencé en espaces verts avec 6 m2 par habitant, Est Ensemble vise un objectif de 10 m2, conformément aux recommandations de l’organisation mondiale de la santé », détaille Amandine Vidal, chargée de l’approche environnementale de l’aménagement à la communauté d’agglomération.
L’élaboration de cette stratégie s’est appuyée sur une opération préfiguratrice, à Montreuil-sous-bois, aux portes de Paris : un cœur d’îlot confié à Nexity, dans la Zac Boissière Acacias, a servi de matrice pour élaborer le référentiel qui croise les objectifs de gestion de l’eau, de végétalisation, de construction bioclimatique et d’atténuation des pics caniculaires.
16 pionniers
Pour mettre en œuvre les dispositions climatiques de son PLUi, l’agglomération de l’Est de la métropole du Grand Paris bénéficiera du soutien de l’Etat. Elle fait partie des 16 lauréats sélectionnés le 6 mai par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) à la suite de son appel à manifestations d’intérêt sur « la planification urbaine au service des stratégies Bas carbone ». Jusqu’en septembre 2021, tous bénéficieront de l’accompagnement du Centre d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).
L’Ademe et le Cerema partageront à cette occasion une expertise et un engagement qui n’ont cessé de progresser dans la période récente. En 2019, l’initiateur de l’AMI Bas carbone a sélectionné sept équipes pour améliorer les connaissances scientifiques sur le rafraîchissement urbain, à l’issue de l’appel à projets recherche Modeval-Urba. La création d’une direction Adaptation, aménagement et trajectoire bas carbone, au début 2020, illustre l’importance accordée au sujet par l’Ademe.
L’Etat en ordre de bataille
Fin juin 2020 sous la direction de l’urbaniste Solène Marry, l’agence résume cette montée en puissance dans le livre publié par les éditions Parenthèse, sous le titre « adaptation au changement climatique et projet urbain ». Simultanément, la revue interne Ademe Recherche synthétise « une décennie de recherche interdisciplinaire » sur le rafraîchissement urbain, dans son édition de juin 2020.
Au sein de l’agence, le lancement, au début de cette année, d’un « fonds adaptation », doté d’1 million d’euros, comble un déficit : « Au-delà de l’affichage des surfaces d’espaces verts ou du nombre d’arbres, les éco-quartiers manquent de réflexion sur la prise en compte du sol et de la biodiversité, ainsi que sur le choix des essences », remarque Sophie Debergue, ingénieure experte en urbanisme au sein de la nouvelle direction de l’Ademe.
D’ici à la fin de l’année, le projet de recherches Paendora, mené avec le centre national de recherches météorologiques, apportera aux collectivités une méthode et une base de données pour intégrer le climat dans la planification.
Le végétal sous toutes ses coutures
Le projet Sesame complètera cet outil, à l’issue d’une coopération entre le Cerema, la ville de Metz et Metz métropole : il aidera les collectivités à choisir les essences d’arbres appropriées, pour combiner la réduction des îlots de chaleur avec le développement de la biodiversité.
La mesure des impacts du végétal sur la ville franchira une autre étape avec l’aboutissement du projet Coolparks, piloté à Nantes par le centre d’expertise rattaché au ministère de la transition écologique. Comme l’Ademe, le Cerema profite de la sortie de la crise sanitaire et de l’entre-deux-tours des municipales pour synthétiser ses compétences, dans un dossier de presse sur l’adaptation au changement climatique.
La santé s’arrime au climat
Autre signe du foisonnement en cours dans la planification climatique territoriale, la fédération nationale des agences d’urbanisme épluche cet été la première enquête menée auprès de ces membres sur ce sujet depuis 2015. Ce travail s’inscrit dans la suite du projet de recherche piloté par Météo France, intitulé Modélisation appliquée et droit de l’urbanisme (Mapuce).
Signe des temps qui suivent la crise du Covid 19, les recherches sur l’adaptation des villes au changement climatique embarquent désormais le thème de la santé. L’Institut Paris Région annonce la publication imminente de l’étude réalisée sur ce sujet avec Santé Publique France. Ce nouveau champ devrait donner un coup d’accélérateur à la planification climatique territoriale.