Chaque année, 50 millions de m³ de boues sont draguées en France vers les ports et les estuaires, et le coût de leur gestion est colossal. Depuis le 1er janvier 2025, les boues polluées draguées au fond des ports ne peuvent plus être rejetées à la mer pour des raisons environnementales. Leur traitement est donc devenu un enjeu majeur. En Bretagne, devant l’abondance de la ressource, une start-up travaille depuis deux ans à donner une seconde vie aux sédiments que contiennent ces boues. Composés d’argile, de limon et de sable, ils forment une base très intéressante pour des matériaux de construction écologiques et bas carbone.
Ashmat Froz, architecte spécialiste de la terre crue, et Marc Flipo, ingénieur environnement, ont créé Sedimenterre en 2022, avec pour ambition de développer et industrialiser des matériaux de construction à base de sédiments. Lauréats d’un appel à projets du Ministère de la mer, ils ont bénéficié d’un budget de 200 000 € pour continuer la recherche appliquée sur ces nouveaux matériaux. « Nous sommes en phase d’étude de faisabilité, explique l’architecte. Nous travaillons sur différents types de matériaux de construction : blocs, briques, plaques, panneaux, et pourquoi pas, enduits à base de sédiments. »
Une démarche locale
Le matériau élaboré est un mélange de sédiments et de fibres naturelles, comme de la paille de lin ou de chanvre. Il n’est pas chauffé et n’intègre ni ciment ni chaux. Pour un panneau isolant, le mélange, allégé, contient plus de fibres. À l’inverse, une brique contiendra environ 80 % de sédiments et 20 % de fibres. « Les sédiments ont les mêmes usages que la terre crue, mais l’avantage d’avoir une composition plus homogène. La terre change de granulat en quelques mètres, ce qui rend difficile l’obtention d’un matériau homogène en grande quantité. Avec les sédiments, on a obtenu des résistances mécaniques un peu plus élevées qu’avec la terre crue », détaille Ashmat Froz.
Pour fabriquer son matériau innovant, Sedimenterre, dont le siège est basé à La Bouëxière (Ille-et-Vilaine), près de Rennes, utilise des sédiments dragués localement, dans l’estuaire de La Rance, connue pour son envasement. « Ce sont des sédiments propres, non pollués par les métaux lourds », indique Ashmat Froz, qui utilise son expérience d’architecte pour tenter de faire diminuer le temps de séchage, souvent long, des sédiments, en jouant sur la chimie de l’eau. Pour convaincre des atouts du matériau, les deux co-fondateurs veulent désormais passer à la phase de test grandeur nature.
Des projets témoins en 2025
Trois projets de bâtiments témoins sont prévus cette année, en Ille-et-Vilaine. Les deux fondateurs ont récemment déposé une demande de brevet – toujours en phase d’instruction – mais espèrent pouvoir faire certifier leur matériau grâce à ces chantiers témoins afin d’attirer les investisseurs et répondre à des commandes publiques. Ils visent plutôt le marché de la rénovation et de la réhabilitation de l’ancien, mais n’excluent pas la construction neuve. « On peut construire une maison presque 100 % en sédiments, hors ossature et toiture », précise Ashmat Froz.
« Une fois que notre matériau sera certifié, nous envisageons de créer une unité de production mobile, capable de fabriquer 1000 briques par jour. Ensuite, on espère industrialiser la production à plusieurs milliers de briques par jour », prévoit l’architecte. Pour y arriver et développer la filière, il appelle les élus, maîtres d’ouvrage, ingénieurs en génie civil, professionnels du bâtiment, bureaux d’études et investisseurs à travailler ensemble. Car il l’assure, « les sédiments sont le matériau de demain ».