Savoir construire ensemble

Jean-Michel Dossier, urbaniste en chef de l’Etat

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Depuis les briques des ziggourats, les câbles du pont de Rion Antirion, ou les vitrages de la tour la plus haute du monde, construire a toujours impliqué de mettre en œuvre sur le chantier, d’après un projet défini, des produits issus de l’industrie, grâce à des coopérations de spécialistes très divers.

Toute la difficulté de l’art de construire réside dans ce processus coopératif. En effet, la conception des projets et la réalisation des travaux additionnent et coordonnent des actions spécialisées et interdépendantes, alors que la combinaison des raisons techniques, réglementaires, économiques qui pèsent sur l’ensemble, génère à chaque étape d’inévitables contradictions. La qualité du résultat ne dépend donc pas seulement de la place, de la compétence et de l’exhaustivité des spécialistes, elle découle aussi de leur bonne collaboration. Bien sûr, aujourd’hui, les technologies de l’information et de la communication (TIC) devraient faciliter les coopérations.

Ainsi, les IFC (Industry Fundation Classes : langage numérique en cours de normalisation ISO, qui décrit en objets, attributs et propriétés tous les éléments de la construction) ont enfin surmonté les frontières entre le dessin et le calcul. Or, bien que presque tous les spécialistes maîtrisent les TIC, la plupart continuent toujours d’intervenir, séparément, successivement et sans vue d’ensemble sur les travaux des autres. Puisque ces facilités techniques ne suffisent pas, il faut donc amener les intervenants eux-mêmes à coopérer en face à face.

Se servir de la maquettenumérique. Il s’agit de passer d’un processus unilatéral où un seul responsable centralise, arbitre et synthétise les propositions de divers spécialistes, sans contrôle mutuel… à une collaboration de tous les intervenants concernés, où chaque choix, visible et discuté par tous, fait ensuite l’objet d’arbitrages mutuellement contrôlés et intégrés dans la synthèse du projet qui reste, elle, toujours assumée par un unique responsable.

Or, aujourd’hui, l’interopérabilité des logiciels, la visioconférence et la vidéo projection permettent de créer, à faible coût, autour de la maquette numérique, autant de plates-formes collaboratives que de projets. Celles-ci, accessibles de partout, deviennent ainsi le lieu et le lien de la collaboration de tous les spécialistes, quels que soient leurs situations ou leurs moyens.

Il faut donc apprendre à tous les acteurs du bâtiment, architectes, ingénieurs, économistes, juristes, gestionnaires, à se servir de la maquette numérique pour coopérer, et, ceci, aussi bien dès l’école qu’en exercice professionnel… au sein d’enseignements coordonnés, intégrés aux cursus, distribués par Internet, organisés, conduits et contrôlés par des enseignants préparés. Des exercices audiovisuels préciseront les interactions du dessin et des divers calculs techniques et en révéleront les contradictions, des jeux de rôle amèneront chaque spécialiste à croiser et respecter les logiques d’action des autres intervenants, des enregistrements permettront de s’interroger sur ce qui a été réellement communiqué, des organisations de prise de parole apprendront à chacun à parler et à écouter, tour à tour…

Des maîtres d’ouvrage et des professionnels en exercice assisteront à la délivrance des diplômes et rapprocheront ainsi les enseignements des métiers et de leurs évolutions. Plus encore, la maquette numérique permettra enfin d’articuler la formation des intellectuels et des manuels ! Car, sur le chantier, aussi, il convient d’apprendre à mieux coopérer en amenant les « intellectuels » à réfléchir aux conditions d’exécution des « manuels » pour leur fournir des documents audiovisuels, réellement adaptés à leurs tâches, compétences et moments d’intervention.

Développerla collaboration. Dans tous les cas, l’intelligence constructive nécessite de comprendre à la fois l’acte à exécuter, son contexte spatial et temporel, et son interaction avec les autres tâches.

Dans cette optique, il faut souligner, entre autres, d’une part l’action UNIT menée par de grandes écoles pour offrir à leurs étudiants des modules de cours sur Internet et d’autre part l’action CEPIC (coopération des établissements d’enseignement pour l’interopérabilité dans la construction), menée par l’association Mediaconstruct qui regroupe les organisations professionnelles du bâtiment, le CSTB, des industriels et des éditeurs de logiciels afin d’inciter les formations d’architectes, d’ingénieurs, d’économie, de droit, de commerce à développer la collaboration autour de la maquette numérique qui s’avère aujourd’hui le complément nécessaire du progrès de toutes les compétences spécialisées.

A l’instar de l’école d’architecture de Marseille Luminy et de l’école des mines d’Alès, de l’école d’architecture de Nancy, de l’université et de diverses écoles régionales d’ingénieurs, qui montrent aujourd’hui, en France, la voie d’un changement qualitatif majeur du savoir construire ensemble.

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