En plein essor dans la filière Bâtiment, le réemploi des matériaux de construction a fait la preuve de ses bienfaits pour l’environnement. Il pourrait bientôt devoir démontrer aussi son innocuité pour la santé. En plaçant l’économie circulaire au cœur de leur édition 2021, les Défis Bâtiment Santé ont ouvert plusieurs pistes pour mobiliser la filière réemploi sur les enjeux sanitaires et mieux caractériser les produits concernés.
Le constat, tout d’abord : « Ce n’est pas parce qu’un matériau a été mis en œuvre pendant plusieurs années qu’il n’est plus émissif » en composés organiques volatils (COV), a rappelé Mariangel Sanchez, ingénieure à l’Agence Qualité Construction. En première ligne, les produits à base de panneaux à particules, et particulièrement ceux fabriqués avant la réglementation Reach. Une étude menée par le bureau Medieco dans un bâtiment de 30 000 m2 équipé de planchers techniques, tous issus du réusage, a révélé que les concentrations en formaldéhyde étaient 2 à 7 fois plus élevées dans les locaux accueillant ces produits que dans les autres pièces. Les émissions peuvent connaître de nouveaux pics en cas de forte chaleur ou d'élévation du taux d’humidité. Parmi les autres produits à risque, les éléments de charpente soumis à des traitements chimiques (PCP) dans les années 1960 à 1980.
Pour les acteurs du réemploi, l’enjeu est d’évaluer le risque pour des produits pas ou peu caractérisés, sans passer par des analyses systématiques en laboratoire incompatibles avec le modèle économique de l’économie circulaire. « En l’absence de documentation technique, revenir sur l’historique du bâtiment permet de situer les matériaux dans leur cadre réglementaire, relève François Maupetit, de la direction Santé Confort du CSTB. Connaître les interdictions en vigueur à l’époque permet d’établir des warnings au moment d’organiser le réusage ou le recyclage des matériaux déconstruits. » Faute de données précises, certains acteurs choisissent d’intégrer le risque par défaut. Ainsi l’architecte Frédéric Denis (Archipel Zéro) pour le projet de La Ferme des Possibles à Stains : « Pour une menuiserie intérieure datant des années 60, nous sommes partis du principe que les peintures de l’époque pouvaient contenir du plomb, et l’avons traitée en conséquence avant de la remettre en œuvre. »
Définir les méthodologies
Sur une plus large échelle, l’objectif est de définir des méthodologies qui permettront de circonscrire le risque, à défaut de l’éliminer. La piste la plus prometteuse porte sur le nouveau diagnostic Produits-Matériaux-Déchets (PMD). Issu de la loi Agec, le dispositif prévoit d'estimer la nature et la quantité des éléments réemployables sur les opérations de démolition ou de réhabilitation lourde (plus de 1 000 m2). « Un bon diagnostic PMD doit commencer par l’historique du bâtiment. Pas seulement sur les matériaux mis en œuvre, mais aussi sur les activités qui y ont été hébergées, pour connaître toutes les sources potentielles de pollution », a témoigné Joanne Boachon, directrice-fondatrice de la ressourcerie Minéka.
Autre pionnier du réemploi, Grégoire Saurel, directeur technique de l’agence Bellastock, croit lui aussi au potentiel du diagnostic PMD pour délimiter des « zones de vigilance » sur les matériaux, et organiser la collecte. « De façon générale, la filière doit travailler à la création de référentiels techniques pour le réemploi », poursuit-il.
Assurances : permettre une analyse raisonnée du risque
Le débat n’est pas seulement technique, mais également réglementaire et assurantiel. Pour le CSTB, François Maupetit s’est fait l’écho de discussions autour du statut du réemploi : « S’il s’agit d’une nouvelle mise sur le marché, il faudra que les produits concernés se conforment aux exigences de Reach » sur l’évaluation des substances chimiques, à l’égal des produits neufs. Côté assureurs, Christian Garcia, directeur technique du GIE Socabat, s’est voulu optimiste en appelant à « poursuivre les efforts sur la datation et la traçabilité » des matériaux de réemploi pour appuyer « une analyse raisonnée du risque » qui ne plomberait pas les perspectives de développement du marché.
En cas de problème identifié, se pose aussi la question de la responsabilité. Juriste au sein du groupe SMABTP, Bénédicte Fiorile rappelle que, comme pour tout autre marché, « l’entreprise qui détient le marché reste responsable des produits et matériaux qu’elle met en œuvre » sans exclure que maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrage puissent aussi voir leur responsabilité engagée. Le législateur pourrait profiter des prochains décrets d’application de la loi Agec pour apporter des précisions sur ces aspects assurantiels, a précisé la sénatrice Marta de Cidrac, présidente du groupe d’études Economie Circulaire au Sénat.