Douze mois, et pas un de plus. C'est la durée que le commissaire à la reconstruction du pont de Gênes (Italie), Marco Bucci, a fixée au groupement d'entreprises PerGenova pour doter la ville d'un nouvel ouvrage d'art en remplacement du pont Morandi. Le temps presse : depuis l'effondrement de celui-ci, le 14 août 2018, la cité italienne est coupée en deux.
Le creusement des fondations de l'infrastructure a débuté en mars 2019, alors même que les ruines de l'ancien pont étaient encore partiellement debout. Les marchés de construction ont pu être attribués en un temps record, grâce à la mise en place d'une procédure accélérée. Deux fleurons de l'industrie italienne ont remporté celui de la construction : Fincantieri, le spécialiste des chantiers navals, et Salini Impregilo, le géant italien du BTP.
La conception a quant à elle été confiée à Renzo Piano (lire p. 59) . Originaire de la ville, le célèbre architecte a imaginé un pont de plus de 45 m de haut, long de 1 067 m, dont le tablier en forme de coque de bateau doit rappeler l'identité portuaire de la capitale ligure. Il reposera sur 18 piles en béton armé en forme d'ellipse, elles-mêmes surmontées de 43 antennes lumineuses. Un chiffre qui rappelle le nombre de personnes décédées dans la catastrophe.
Le tablier se composera de 19 travées en acier. Les plus imposantes, longues de 100 m, franchiront le Polcevera, l'un des deux cours d'eau qui arrosent Gênes (lire p. 57) . « Au Japon, j'ai édifié un pont d'une complexité similaire dont la réalisation a duré trois ans. Réaliser celui-ci en seulement une année relève de l'exploit », reconnaît Renzo Piano. La construction, estimée à 202 M€, nécessitera quelque 67 000 m3 de béton, 9 000 t d'acier pour le tablier et 15 000 t supplémentaires pour les armatures.
Logistique titanesque. « Pour respecter les délais serrés nous avons divisé le chantier en deux zones, ouest et est. Cela nous permet de travailler sur deux fronts en même temps », explique Riccardo Zen, directeur de projet adjoint du groupement PerGenova. Les premiers mois, les entreprises construisant le nouveau pont ont dû cohabiter avec celles qui démolissaient et évacuaient les débris de l'ancien. Une conséquence de la localisation du chantier sur un espace étroit où la densité urbaine est forte.
Sur place, les ouvriers assemblent des centaines de pièces pour ensuite les mettre en œuvre sur leurs emplacements définitifs. Construites sur des chantiers navals de l'entreprise Ficantieri à travers toute l'Italie, les parties métalliques du tablier sont acheminées par convoi exceptionnel. Une logistique titanesque. « Ce système nous oblige à faire preuve à la fois d'une grande rigueur mais aussi de souplesse. L'organisation des tâches évolue chaque semaine et les réunions de coordination entre les différentes entreprises sont très fréquentes », détaille le directeur de projet adjoint.
Si les entreprises de toute la péninsule sont mobilisées, les quelque 1 000 compagnons présents sur le chantier sont, pour la plupart, issus de la région. Les équipes affichent une même ambition : « Faire au plus vite, et faire au mieux. » Pas question de rechigner quand il s'agit de faire des heures supplémentaires ou de travailler de nuit. Le caractère particulier de ce chantier transparaît dans la gravité des propos des intéressés lorsqu'ils l'évoquent : « Nous nous sentons investis d'une mission. Celle d'honorer la mémoire des victimes en prouvant que, lorsque notre pays se mobilise, il peut relever un défi technique unique. Travailler sur ce chantier est à la fois un grand honneur et une énorme responsabilité », insiste Riccardo Zen.
Faire vivre l'économie. Si l'opération apparaît hautement symbolique, l'enjeu est aussi économique. Le nouveau pont est indispensable au bon fonctionnement du port de Gênes, le plus grand de la péninsule. Un tiers des importations italiennes transitent par ce hub. Son activité avait enregistré une hausse de 15 % en 2017, grâce à d'importants investissements pour moderniser ses installations et augmenter sa productivité comme sa compétitivité. Le port enregistrait alors 10 Mds € de chiffre d'affaires et un transit annuel de 2,7 millions de containers pour 69 millions de tonnes de marchandises. Toutes catégories confondues, 55 000 personnes dépendent de son activité, dont 28 000 salariés des infrastructures portuaires.