Quel constat dressez-vous sur le développement actuel des data centers en France ?
Une forme d'illusion est entretenue autour du sujet avec les termes « cloud », « sans fil », « sans contact », qui font oublier la matérialité et les impacts des centres de données. Déjà énormes, ils augmentent encore avec le développement des « très gros » centres, qui hébergent des serveurs en colocation et des hyperscales.
Ces derniers, qui dépassent souvent les 40 000 m² SP se multiplient : ils étaient 175 en Ile-de-France en 2024 contre 130 en 2019. Leur consommation d'énergie et d'espaces verts est colossale, leurs besoins en eau deviennent préoccupants.
Comment voyez-vous évoluer la consommation énergétique ?
Il y a dix ans, ces grandes infrastructures consommaient entre 5 et 10 MW. Aujourd'hui, Equinix vient d'inaugurer un site de 28 MW à Meudon-la-Forêt (Hauts-de-Seine) et les demandes d'installation auprès de RTE atteignent les 120 MW ! Si, historiquement, les data centers étaient implantés en Seine-Saint-Denis, ils s'éloignent désormais de la capitale pour disposer de davantage d'espace et se rapprocher des postes sources de RTE. Ils pourront ainsi préempter l'énergie dont ils auront besoin au fil de l'ajout de nouveaux serveurs. Il s'agit de réserver d'importantes puissances électriques tout en sachant que le site n'en aura véritablement besoin que cinq à dix ans plus tard. Pour limiter les conflits d'usage, Enedis teste depuis un an la « Flexible demand », qui consiste à réaliser des points d'étape réguliers avec l'opérateur pour débloquer de la puissance au fil de l'augmentation des besoins. RTE souhaite faire de même.
L'Irlande accueille 25 % du marché européen des data centers. Quels enseignements en tirer ?
Avec sa faible latence, des prix de l'énergie et des taxes sur les entreprises très attractifs ainsi qu'un vaste réseau de fibre optique, ce marché s'y structure depuis le début des années 2000.
En 2017, les prévisions annonçaient 1 000 MW de capacité supplémentaire pour 2024. Or dès 2021, elles s'élevaient à 1 500 MW. Pourtant, l'île ne dispose plus d'assez d'électricité pour raccorder les nouveaux sites.
Dans ce contexte, Microsoft a reçu l'été dernier l'autorisation d'implanter sa propre centrale à gaz d'une puissance de 170 MW pour alimenter son site de Grange Castle. Ce chantier devrait coûter 100 M€ contre 900 M€ pour le data center proprement dit.
Le risque est maintenant de voir se développer un réseau parallèle dédié aux centres de données, qui fonctionnera aux énergies fossiles car ceux de biogaz et d'hydrogène vert ne sont pas prêts. Même si le contexte est différent en France, évitons de reproduire ce scénario.
Comment limiter ces impacts ?
Commençons par repenser collectivement nos consommations du numérique et la façon dont les sites internet sont programmés, car malgré les gains d'efficacité énergétique, l'effet rebond est phénoménal.
En attendant cette sobriété numérique, les collectivités qui décident d'accueillir un data center peuvent adopter de bonnes pratiques. Il faut en priorité que les acteurs locaux travaillent de concert et non plus en silos pour anticiper l'ensemble des besoins énergétiques : il y a quelques années, à Marseille, les bus électriques n'auraient pas pu rouler si un data center n'avait pas « rendu » une partie de l'énergie qu'il avait réservée.
Enfin, la récupération de la chaleur fatale pour chauffer un quartier reste trop rare et mérite d'être développée.