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Renzo Piano : «Le chantier du pont de Gênes, c’est aussi un projet humain»

Alors que la construction du nouveau pont de Gênes (Italie) bat son plein, Renzo Piano, l’architecte de l’ouvrage, revient en exclusivité pour LeMoniteur.fr sur sa conception et le travail au quotidien sur le chantier.

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R. Piano Genes
Renzo Piano sur le chantier de la reconstruction du pont de Gênes, le 1er octobre 2019.

Vous avez conçu un nouveau pont pour la ville de Gênes en quelques semaines. Et les entreprises ne disposent que de quelques mois pour sa construction. Quels sont les impacts de ces délais serrés ?

La rapidité d’exécution concerne toutes les phases du projet. Deux heures après la catastrophe, le 14 août 2018, le maire de Gênes, Marco Bucci m’appelait pour me demander de réfléchir à sa reconstruction. L’événement m’a tellement touché que je ne pouvais que réfléchir à la meilleure solution pour remettre sur pied un nouvel ouvrage. Une préoccupation imputable à mon métier d’architecte, mais aussi parce que je me définis comme un bâtisseur.

Le design et la conception ont dû se faire en un temps record, mais dépassent largement les premiers jours de sa gestation. Tout à l’heure encore, j’étais en train de régler les détails opérationnels du chantier au téléphone. Ce projet est très présent à mon esprit et l’occupe en permanence. 

Je pense aussi à toutes les personnes qui travaillent à cette reconstruction. Nous sommes environ un millier à y œuvrer. La logistique s’avère particulièrement complexe, car nous avons dû mener de front la déconstruction de l’ancien pont et la construction du nouveau. Notre objectif est de bâtir le nouvel ouvrage trois fois plus vite qu’en temps normal. C’est pourquoi les équipes se relaient jour et nuit sans interruption. Cette tâche va bien au-delà d’une reconstruction, c’est un projet humain qui intervient après une tragédie.

Vous souhaitiez concevoir « un pont à l’image de Gênes ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Gênes est une cité timide, sobre, que certains décrivent parfois comme taciturne. C’est aussi une ville de navigateurs. C’est pourquoi la forme du tablier évoque celle d’une coque de bateau. J’ai en partie choisi cette forme parce que les équipes qui le fabriquent sont issues du monde des chantiers navals. Cette géométrie présente aussi l’avantage d’être particulièrement adaptée d’un point de vue structurel et de laisser passer beaucoup de lumière dans cette vallée à la fois très urbaine et très densément peuplée.

Ce pont sera haut, puisqu’il s’élèvera à 45 m au-dessus du sol. Il sera composé de 19 travées métalliques. Trois d’entre elles feront plus de 100 m de long et permettront de franchir le fleuve de la Valpolcevera. Le tablier, lui, reposera sur 18 piliers de béton en forme d’ellipse. Minces, ils participent aussi à l’apport de lumière dans la vallée. Mon objectif était de réaliser un ouvrage simple. Les gens confondent souvent simplicité avec banalité. Or, la simplicité est très souvent difficile à atteindre.

Comment se déroule le chantier aujourd’hui ?

De nombreuses sociétés sont en train de produire des pièces à travers tout le pays. Le groupement, emmené par les sociétés Saligni Impreglio et Ficantieri, orchestre la production des pièces, leur acheminement et leur mise en œuvre.

A noter que si Ficantieri a déjà réalisé des ponts, il s’agit avant tout d’une entreprise spécialisée dans les chantiers navals. Ils sont donc particulièrement légitimes à produire des travées en forme de coque de navire. L’acheminement des pièces monumentales, dont le poids dépasse souvent la centaine de tonnes, s’effectue de nuit et par convoi exceptionnel. Cela nécessite une organisation très rigoureuse.

Lors du lancement du projet, vous avez évoqué un pont d’acier intelligent et qui durera 1000 ans. Comment comptez-vous atteindre ces deux objectifs ?

Un pont n’a pas le droit de s’écrouler, parce que des vies humaines sont en jeu. Je suis convaincu qu’un pont bien construit et correctement entretenu peut durer des milliers d’années. L’acier est un matériau qui peut durer indéfiniment, surtout si son entretien est facilité, ce qui est le cas ici. Sa forme par exemple permet de circuler facilement à l’intérieur.

J’ai conçu un pont au Japon d’une complexité similaire. Sa construction a duré trois ans. Ici, c’est miraculeux de pouvoir réaliser un ouvrage équivalent en une année seulement. Enfin, par mesure de prévention, il sera surveillé constamment grâce à deux robots installés le long de la partie ouest. Ils visiteront l’ouvrage en permanence afin de détecter la moindre dégradation.

Vous avez tenu à offrir ce pont à la ville de Gênes. Pourquoi ?

C’était le minimum que je pouvais faire. Je suis né à Gênes. C’est ma ville. Il était normal de lui offrir ce travail. J’ai voulu concevoir un ouvrage solide, durable et si je peux me permettre de juger mon propre travail, beau. J’aime à penser que ce pont sera perçu comme un grand navire qui traverse la vallée.

Gênes pont vue d'artiste
Gênes pont vue d'artiste Gênes pont vue d'artiste

Vue d'artiste du futur pont de Gênes conçu par Renzo Piano

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