Mise en sécurité, gardiennage, taxes foncières, désamiantage, démolition… La longue liste des postes de dépenses préalables à l'aménagement d'une friche peut refroidir les aménageurs, les promoteurs… et leurs créanciers. S'il n'existe pas de définition législative ou réglementaire, l'établissement public foncier (EPF) Hauts-de-France, l'un des plus expérimentés en termes de reconversion d'usines, fermes ou hôpitaux désaffectés, définit la friche comme un « site non occupé (ou sous-occupé), bâti ou non, dont l'état ne permet pas un réemploi sans intervention préalable ». Intervention synonyme de hausse de la facture finale, liée au portage, à la dépollution, etc. De quoi mettre à mal la viabilité du projet, dont le coût moyen s'élève à 50 euros/m², contre 15 à 20 euros/m² dans le cadre d'une opération d'aménagement équivalente en artificialisation, estime Brownfields Gestion, fonds d'investissement spécialisé dans la reconversion d'anciens sites industriels, tertiaires et commerciaux.
Au-delà des subventions du fonds friches du plan de relance, qui attirent majoritairement « des territoires où le marché est trop faible », note Rollon Mouchel-Blaisot, d'Action cœur de ville, l'une des pistes pour au moins trouver l'équilibre financier est de faire grimper la valeur immobilière du site, en s'appuyant sur son programme national. Celui-ci peut amortir, via l'Agence nationale de l'habitat (Anah), la requalification d'îlots dégradés situés près de la friche. « La rentabilité à moyen terme sera plus forte », assure Hélène Peskine, secrétaire permanente de l'agence interministérielle Plan urbanisme construction architecture (Puca).
- 50 €/m², coût moyen d'une reconquête de friche.
- Contre 15 à 20 €/m² dans le cadre d'une opération traditionnelle d'aménagement.
- 650 M€ mobilisés par le gouvernement dans le cadre du fonds visant à réhabiliter les friches.
Limiter le coût de la dépollution. La diminution des coûts de dépollution, à la charge du propriétaire vendeur qui les répercute sur le prix global du foncier cédé, peut constituer une marge de manœuvre importante. C'est le cas pour Sète Agglopôle, choisie fin 2020 par le gouvernement comme l'un des sept « Territoires pilotes de sobriété foncière », dans le cadre de la zéro artificialisation nette (ZAN). A la clé, notamment, un accès facilité au fonds de l'Ademe dédié à la dépollution des friches. Dans ce territoire sous pression démographique contraint par l'étang de Thau au nord et la mer Méditerranée au sud, la collectivité a identifié 40 hectares d'anciennes raffineries, cimenteries ou entrepôts de stockage de produits toxiques qui pourraient accueillir, d'ici à 2026, entreprises et nouveaux habitants.
« De manière générale, le coût de dépollution d'une friche industrielle en quartier mixte avec une crèche peut tripler, voire quadrupler, par rapport à une opération qui viserait à accueillir un nouvel industriel », explique Pierre Gallizia, directeur de l'aménagement de Sète Agglopôle. En cause, le « seuil d'exigences sanitaires nettement plus élevé » quand il s'agit d'une transformation en logements avec école, par rapport à une installation comme une centrale photovoltaïque qui nécessiterait « peu de dépollution ». C'est ce qu'observaient les députés LREM Damien Adam et Stéphanie Kerbarh, dans un rapport de janvier 2021 sur la revalorisation des friches.
Utiliser des matériaux moins nobles. L'une des solutions pour moins dépenser consiste à revoir à la baisse les caractéristiques du projet. Illustration à Toulouse, avec un centre de tri postal reconverti par Icade en logements en 2017. « Outre la suppression des toitures végétalisées, l'utilisation de matériaux moins nobles et l'optimisation des surfaces peuvent compenser les dépenses consécutives à une découverte d'amiante », détaille Cyril Trétout, dirigeant de l'agence d'architecture Anma, qui a travaillé sur l'opération. « Il y a eu des arbitrages avec l'architecte, notamment sur la suppression des toitures végétalisées peu accessibles, précise Laurent Nicolas, directeur régional d'Icade. L'équilibre a été trouvé entre le prix d'achat du terrain, le coût des travaux - difficile à appréhender avec une démolition partielle et un désamiantage -et le prix de vente en adéquation avec le marché. » Ces concessions ne doivent cependant pas amoindrir le potentiel de la friche reconvertie, qui pourra doper les futures recettes. « Nous avons gardé les espaces atypiques pour rendre le lieu différent d'un produit conventionnel », raconte Cyril Trétout.
Densifier. Tous les acteurs interrogés sont unanimes : la verticalité peut résoudre le problème financier. Exemple avec Novaxia, qui a investi dans trois bâtiments à Clichy, à cinq minutes du métro parisien : « La rentabilité passera par la densité, avec neuf étages », annonce Mathieu Descout, son président. Vision partagée par Nhood, nouvel entrant dans la reconquête de friches : « Les coûts de dépollution peuvent être rédhibitoires si une densité minimale de projet n'est pas atteignable », soutient Etienne Dupuy, son directeur général. « Quand les fonciers ont une valeur comme à Lille, marché attractif, les bilans s'équilibrent plus facilement, à condition que l'objectif de densité soit élevé. Par exemple autour d'une gare avec création de services, afin de rendre plus acceptable le projet », relève de son côté Pauline Lunard, chargée d'études de l'EPF Hauts-de-France.
Le mécanisme de péréquation est une autre option, expérimentée dans le Nord. Le principe : « Le promoteur et le bailleur investissent dans un site facile à reprendre. En échange, ils nous aident à recycler un autre terrain difficile car très pollué », développe Pauline Lunard. L'idée de cette cession multi sites est deviser l'équilibre. Objectif simple à atteindre quand les utilisateurs finaux se bousculent. Ainsi, Grand Angoulême a récemment vendu et loué trois friches réhabilitées afin de satisfaire trois demandes d'installation d'entreprises. La communauté d'agglomération mise sur le dynamisme du secteur de l'image pour créer des emplois.
En zone tendue, le produit idéal reste le logement. « A Châteauroux, d'où je suis originaire, l'équation est impossible car le prix au mètre carré est six fois moins élevé qu'à Clichy », compare Mathieu Descout. Résultat, le prix de sortie ne permet pas de couvrir les dépenses de dépollution, démolition, etc. Dans ce cas, la réponse peut être culturelle, sportive… et les subventions sont les bienvenues.
Encore faut-il les utiliser. A titre d'exemple, les collectivités de Bourgogne-Franche-Comté n'ont consommé que 60 % de l'enveloppe 2014- 2020 du Fonds européen de développement régional (Feder), dont dépend la transformation des friches. Ne reste plus qu'à frapper à sa porte.