Décryptage

Rénovation : le droit de surplomb au service de l'isolation des bâtiments

Le législateur entend faciliter les travaux sur les murs en limite séparative, tout en préservant les droits de propriété.

 

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Pour doper la rénovation énergétique des logements, le droit de surplomb a été introduit par la loi Climat et résilience du 22 août dernier dans l' (CCH), afin de passer outre l'impossibilité d'installer une isolation extérieure sur le fonds voisin sans l'accord de son propriétaire. Des travaux d'isolation des murs doivent en effet, fréquemment, être réalisés à l'extérieur, pour, notamment, ne pas réduire la surface habitable. Une isolation significative de plusieurs dizaines de centimètres s'impose souvent et peut empiéter sur le fonds voisin. L'article L. 113-5-1 vise donc à résoudre les difficultés afférentes aux murs situés en limite séparative.

Un droit sous conditions

Ce droit est cependant subordonné à de nombreuses conditions tant positives que négatives.

Conditions positives. Au titre des conditions positives, le droit de surplomb ne s'applique qu'à un bâtiment déjà construit puisqu'il doit être « existant ». Il faut, en outre, qu'« aucune autre solution technique ne permet[te] d'atteindre un niveau d'efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs ». Cette limite fera certainement l'objet d'un contentieux non négligeable car, sauf à être précisée dans le décret d'application du texte - dont le gouvernement envisage la publication en avril -, elle laisse une totale liberté pour apprécier les notions de coût ou de complexité excessifs.

Le surplomb du fonds voisin est également limité à 35 cm, ce qui constitue une épaisseur suffisante au regard des techniques d'isolation. L'ouvrage d'isolation ne peut par ailleurs être réalisé qu'à « deux mètres au moins au-dessus du pied du mur, de l'héberge ou du sol, sauf accord des propriétaires des deux fonds sur une hauteur inférieure ».

Sa création est, enfin, subordonnée au paiement d'une indemnité préalable au propriétaire du fonds surplombé. Le texte ne précise pas la manière de calculer cette indemnité, laissant les parties, ou, à défaut, le juge, la déterminer.

Conditions négatives. Au titre des conditions négatives, le voisin saisi d'une demande de droit de surplomb peut, dans les six mois, s'y opposer « pour un motif sérieux et légitime tenant à l'usage présent ou futur de sa propriété ou à la méconnaissance des conditions » mentionnées plus haut. Il pourra donc démontrer, en prouvant la réalité concrète d'un projet précis, qu'il souhaite utiliser l'intégralité du volume afférent à son sol et qu'il ne peut donc supporter le moindre empiètement.

Ce droit de surplomb demeurerait théorique en l'absence de possibilités d'accès au fonds voisin pour les travaux. Or, en droit français, la servitude de tour d'échelle n'est pas, en tant que telle, admise par la jurisprudence qui considère simplement que le refus d'accès à un fonds pour l'entretien d'un mur en limite séparative peut être considéré comme abusif (, Bull.). Le législateur a, dès lors, créé, à titre d'accessoire au droit de surplomb, un droit d'accès temporaire à l'immeuble voisin pour y « mettre en place les installations provisoires strictement nécessaires à la réalisation des travaux ». Le propriétaire concerné peut, cependant, refuser l'accès à son terrain, « si la destination, la consistance ou la jouissance de ce fonds en seraient affectées de manière durable ou excessive ». Les motifs de refus paraissent difficiles à mettre en avant dans la mesure où la consistance ou la jouissance du fonds sera très rarement affectée de manière durablement excessive à l'occasion de travaux qui s'avèrent, par nature, purement ponctuels.

Des modalités de mise en œuvre à compléter

Les modalités de mise en œuvre du droit de surplomb, déjà précisées par la loi, seront sans doute complétées par le décret annoncé.

A priori, le propriétaire qui ne saisit pas le juge dans le délai de six mois est censé accepter le principe de la mise en œuvre du droit de surplomb. Mais ce droit ne paraît néanmoins pas pouvoir découler de son simple silence, puisqu'il est précisé que ses modalités de mise en œuvre « sont constatées par acte authentique ou par décision de justice publié, pour l'information des tiers, au fichier immobilier ».

Dès lors, l'absence de saisine du juge ne peut implicitement entraîner la création d'un droit opposable. Sans doute faut-il comprendre que, si le propriétaire n'a pas saisi le juge dans le délai de six mois, il ne peut plus contester le principe du droit, ni le montant de l'indemnité proposée. Mais, s'il refuse de signer l'acte, la saisine du juge sera nécessaire et rien ne dit que ce dernier ne s'octroiera pas le pouvoir de recalculer l'indemnité. Ces dispositions sont révélatrices d'une incertitude, voire d'une incohérence de la loi que le décret annoncé devra lever.

Une nature du droit incertaine

La nature du droit créé n'est pas précisée. La loi parle de droit de surplomb, alors que la jurisprudence emploie souvent le terme, moins équivoque, de servitude de surplomb (, Bull. ; ; ; ).

Mais cette qualification de servitude n'est pas totalement satisfaisante car une servitude ne peut jamais entraîner un transfert de propriété entre fonds servant et fonds dominant, y compris un simple empiètement (, Bull. ; ; , Bull.). Or, en l'espèce, ce qui paraît s'apparenter à une servitude est, en réalité, un empiètement en volume sur un fonds voisin. Le droit de surplomb supprime, en effet, toute utilité à la partie du fonds dans lequel sera réalisée l'isolation thermique.

Modalités d'extinction

Au regard de ses modalités d'extinction, ce droit de surplomb apparaît, dans une certaine mesure, comme temporaire et conditionnel, ne durant que tant que l'ouvrage isolé demeure en place et a encore besoin de son isolation. Il prend, en effet, fin en cas de destruction du bâtiment bénéficiant de l'isolation par l'extérieur. Il en va de même lorsque le propriétaire du fonds surplombé a obtenu une autorisation administrative de construire en limite séparative ou s'il use de ses droits mitoyens et que la mise en œuvre de la construction nécessite la dépose des ouvrages d'isolation. Dans cette hypothèse, les frais de dépose incombent au propriétaire du bâtiment isolé, celui-ci ne récupérant pas l'indemnité versée. Il est vrai que, puisque les deux bâtiments seront construits en mitoyenneté, il n'y aura plus besoin d'isolation par l'extérieur, chaque bâtiment étant isolé par le bâtiment voisin.

Le droit de surplomb présente donc une certaine complexité technique, sans doute indispensable pour éviter tout obstacle constitutionnel. Il est cependant loin de régler tous les problèmes de droit privé que peut poser l'isolation par l'extérieur. En effet, il n'est d'aucune utilité dans l'hypothèse où l'isolation, faite sur le fonds même du propriétaire de l'immeuble isolé, contrarie une servitude, notamment une servitude de cour commune, qui impose de maintenir libre un certain périmètre. Cependant, en la matière, une certaine souplesse du juge sera sans doute possible, notamment au regard d'une cour commune de dimension importante dans laquelle la mise en place de l'isolation ne sera pas de nature à porter atteinte à l'aération et à l'ensoleillement. Cette même tolérance pourrait être bienvenue en cas d'empiètement sur le domaine public, pour l'isolation extérieure de façades déjà à l'alignement.

Ce qu'il faut retenir

  • La loi Climat et résilience a créé un droit de surplomb autorisant un propriétaire à installer une isolation extérieure empiétant sur le fonds voisin (article L. 113-5-1 du CCH).
  • Ce droit est soumis à de nombreuses conditions, de dimension et d'emplacement notamment. Il ne doit pas exister d'autre solution technique permettant d'atteindre un niveau d'efficacité équivalent sans présenter un coût ou une complexité excessifs. Le titulaire du droit doit payer une indemnité préalable au propriétaire concerné.
  • Ce dernier peut, dans certains cas, s'opposer à ce surplomb pour un motif sérieux et légitime. Il peut aussi, mais dans des conditions difficiles à réunir, refuser l'accès à son terrain le temps des travaux.
  • Les modalités de mise en œuvre du droit de surplomb doivent être constatées par acte authentique ou décision de justice.
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