Renégociation d’un marché public : les observations d’un économiste

Pour Stéphane Saussier, professeur à l’IAE de la Sorbonne, l’avis du Conseil d’Etat du 15 septembre sur la modification des conditions financières d’un marché et l’imprévision est la reconnaissance que les contrats sont incomplets. Même si l’acheteur public fait ses meilleurs efforts, il y aura toujours des choses qui n’auront pas été anticipées.

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Marchés publics
Stéphane Saussier, économiste à l'IAE de la Sorbonne analyse la possibilité ouverte de modifier le prix d'un marché public en cours d'exécution.

Depuis maintenant près de trois mois – plus précisément depuis l’avis du Conseil d’Etat du 15 septembre –, les acheteurs publics ont officiellement la possibilité de modifier les clauses financières d’un marché public en cours d’exécution. Une véritable révolution. Lors de la Folle semaine des marchés publics, organisée par achatpublic.com le 28 novembre, les intervenants sont évidemment revenus sur les conséquences de cet avis. Parmi eux, un économiste, professeur à l’IAE de la Sorbonne où il dirige la Chaire Economie des partenariats public-privé (E-PPP) : Stéphane Saussier.

Le contrat comme moyen de régler les asymétries d’informations

« Pour un économiste, la renégociation des contrats et notamment des prix peut poser un problème », explique Stéphane Saussier. « L’objectif pour un acheteur public lors de la mise en concurrence est de faire révéler les coûts à son partenaire et de l’obliger à s’engager sur un prix pendant la durée du contrat. Dès lors, s’il s’engage sur la voie de renégociation et que son partenaire l’anticipe, ce dernier sait que son offre ne l’engage pas réellement. L’acheteur risque donc de sélectionner l’entreprise qui est la plus à même de renégocier les contrats. Il s’agit là de la vision de ceux qui voient le contrat comme un moyen de régler les asymétries d’informations qui peuvent exister entre acheteurs publics et entreprises et, plus spécifiquement, ceux qui voient les contrats comme complets ».

La renégociation n’est pas toujours négative

Mais de la théorie à la pratique, il y a souvent des écarts. Et les économistes le savent bien. En effet, « au regard des quelques études empiriques qui existent, la plupart des contrats publics sont renégociés » assure Stéphane Saussier. Ce dernier distille plusieurs exemples : « Pour le premier contrat « Vélib » de la Ville de Paris, il y a eu au moins quatre renégociations en dix ans, alors que le contrat n’était pas spécialement compliqué ». A l’IAE de la Sorbonne, l’économiste a également dirigé une étude sur les contrats de parkings grâce à une importante base de données (plus de 400 contrats signés entre 1969 et 2008). « On observe un taux de renégociation de 40 % pour les marchés de services alors que l’on est sur des contrats courts, et 73 % sur les contrats de concessions. Dans ce dernier cas, les contrats sont évidemment plus longs et plus complexes ». Stéphane Saussier remarque, par ailleurs, que la France n’est pas une exception : « Les contrats d’eau en Amérique latine sont renégociés dans 92 % des cas, et 100 % au Portugal. Les contrats autoroutiers lusitaniens sont aussi renégociés à 100 % ».

L’économiste en déduit une première conclusion : « Tout contrat complexe est incomplet et tout contrat efficace doit vivre, s’adapter à son environnement ». Finalement, les renégociations n’apparaissent pas toujours comme négatives.

Taux optimal de renégociation bénéfique aux contrats

Stéphane Saussier s’est, par ailleurs, lancé dans une analyse des contrats de concessions [sans préciser le secteur d’activité] à la suite des conclusions d’une étude menée par Pablo T. Spiller, économiste américain. Ce dernier expliquait que « plus l’acheteur arrive à renégocier de manière aisée et sans conflit, c’est-à-dire à adapter le contrat face à un environnemental changeant, plus c’est la preuve que les parties s’entendent bien et qu’il n’y a pas de difficulté ». De son côté, le professeur parisien a constaté que « lorsqu’il n’y a pas de renégociation, les opérateurs ne sont pas renouvelés à la fin du contrat, probablement parce que l’acheteur public n’est pas content car il n’a pas réussi à négocier ou adapter le contrat. A l’inverse, lorsque l’on renégocie fréquemment le contrat, les opérateurs ne sont pas renouvelés non plus, probablement parce que l’acheteur public a trouvé qu’il y a eu trop de renégociation ». Selon l’économiste de la Sorbonne, il y aurait donc une sorte de taux optimal de renégociation qui apparait comme bénéfique pour les contrats publics.

« On reconnaît à présent que les contrats sont incomplets »

Face à des événements imprévus de grandes ampleurs – tels le Covid-19 ou la guerre en Ukraine – la renégociation des contrats publics semble donc acceptée même pour les économistes. « On reconnaît à présent que les contrats sont incomplets, et que même si l’acheteur public fait ses meilleurs efforts, il y aura toujours des choses qui n’ont pas été anticipées ». Cette nouvelle approche emporte avec elle des conséquences. « Sur la phase de mise en concurrence ou d’appel d’offres, il faut laisser une marge discrétionnaire plus grande à l’acheteur public. C’est d’ailleurs l’esprit des dernières directives européennes qui favorise le recours à la négociation ». Enfin, Stéphane Saussier soulève un point important. « Cette nouvelle approche veut dire aussi que l’on a besoin de plus de transparence, surtout pour éviter les comportements de corruption. Car renégociation et corruption vont souvent de pair ».

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