« En bâtissant cette chapelle, j’ai voulu créer un lieu de silence, de prière, de joie intérieure. » Prononcée par Le Corbusier le 25 juin 1955, cette phrase trouve aujourd’hui sa place, dans sa calligraphie originale, sur un panneau de zinc posé sur le mur de la nouvelle porterie à Ronchamp (Haute-Saône). Intégrée à la signalétique mise en forme cet été par Martine Harlé, la citation inaugurale symbolise le lien entre la chapelle et les deux nouvelles réalisations de l’architecte Renzo Piano inaugurées du 8 au 11 septembre 2011 : le monastère et la porterie construits dans l’esprit corbuséen sur le flanc sud de la colline. Par des déboisements ciblés, le paysagiste Michel Corajoud y ressuscite les vues des années 1950. En déplaçant le parking vers l’ouest, il restitue l’axe sud-nord de l’ancien chemin des pèlerins. Les nouvelles constructions semi-enterrées traduisent l’intention d’humilité face à l’œuvre de Le Corbusier.
Système constructif comparable
L’unité du site s’appuie sur le béton brut. Aux coffrages de François Bonna qui, en 1955, s’apparentaient à un travail de marqueterie dans la coque de la chapelle, répondent les réflexions d’Alain Albizati, P-DG de l’entreprise locale du même nom et architecte de formation : « Avec sa double coque rapportée sur des arches transversales, l’oratoire reprend un système constructif comparable à celui de Le Corbusier, avec une forme inversée », commente l’entrepreneur chargé du gros œuvre, des terrassements et des réseaux.
Pièce centrale de la composition de Renzo Piano, l’oratoire sépare les bâtiments privés et publics : à l’ouest, les cellules des sœurs et l’hébergement des pèlerins ; à l’est, la porterie, la bibliothèque et l’atelier de couture. Le béton coulé en place règne partout, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans une teinte claire obtenue presque sans adjuvants chimiques, grâce à une grande densité de ciment et aux granulats issus du calcaire local.
Pièges à lumière
Par des voies différentes, le projet de Piano et la chapelle de Le Corbusier se rejoignent dans la quête de la lumière naturelle. Les constructions neuves la captent en grande partie par les façades vitrées dont les châssis verticaux en aluminium ont nécessité une Appréciation technique d’expérimentation (ATEx). Grâce à des ouvertures zénithales, les nouveaux bâtiments échappent à l’effet troglodyte : à propos de la lumière qui éclaire l’arrière de l’autel au fond de l’oratoire, Sœur Brigitte de Singly, abbesse de la Fraternité Sainte-Colette, évoque la « tente de la rencontre » avec Dieu.
Ce petit miracle prépare la révélation au sommet de la colline : saisi un instant par le contraste avec la lumière du jour, le visiteur de la chapelle perçoit d’abord les rais horizontaux qui séparent le haut des murs et la coque ; sur la façade est, les trous aléatoires forment une constellation d’où se détache, à droite, la fenêtre carrée où trône la vierge ; dans les chapelles secondaires qui utilisent les vestiges des précédents édifices religieux, le captage indirect de la lumière zénithale facilite la rencontre spirituelle…
Enfin, les verrières du sud synthétisent le projet : fixées tantôt à l’extérieur, tantôt à l’intérieur, elles multiplient les angles. Ces pièges à lumière prolongent le vertige que provoque le plan en trapèze légèrement incliné de l’édifice construit sur pilotis, dont la stabilité repose sur des formes ondulées. Dans ce mur sud incurvé, tourné vers sa ville natale de La Chaux-de-Fonds, Le Corbusier a peut-être rencontré Dieu, et sûrement lui-même.
Images récentes de l’opération à retrouver dans « Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment », n°5623 daté du 02/09/2011, pp. 24-26.