Modernisme, hygiénisme et économie sont les trois critères qui ont prévalu dans les années 1920 au choix du projet de l’architecte Emile Maigrot et de l’ingénieur Eugène Freyssinet* (entreprise Limousin) pour la construction des nouvelles halles du Boulingrin à Reims. Inaugurée en 1929, la nouvelle « cathédrale » surgit du Mouvement moderne (décor minimal, lignes dépouillées et fonctionnelles) notamment inspiré par l’emploi d’un nouveau matériau aux atouts remarquables : le béton armé. Il atteint ici un niveau d’économie de matière que seuls les hangars à dirigeables d’Orly dépassent alors (achevés en 1923 par le même ingénieur, démolis aujourd’hui).

A Reims, la voûte mince de 7 cm des halles en béton armé franchit plus de 38 m de portée jusqu'à 20 m de hauteur et s’inscrit dans un socle de 109 x 48,8 m, édifié sur un sous-sol technique. La mise en œuvre a marqué les esprits à l’époque : un coffrage en bois cloué réutilisable, précurseur du coffrage glissant. Réalisation de la Reconstruction d’après la Première guerre mondiale, les halles, flanquées de quatre pavillons d’angles, ont accueilli le nouveau marché de la ville martyr.

L’ouvrage partait en miettes
Quelque 15 ans plus tard (1943), la dégradation du béton perceptible sous la voûte, a annoncé les débats houleux des années 1980 sur la conservation de l’édifice. L’ouvrage part en miettes dans les années 1960-1970.
La voûte souffre de ses armatures peu enrobées par le béton, touchées par l’oxydation due à la condensation résultant d’une ventilation insuffisante.
Protégés par des filets métalliques depuis les années 1950, les Rémois assistent impuissants à la fermeture définitive des halles en 1988. Seule parade au projet de démolition d’alors : le classement en 1990 au titre des Monuments historiques, grâce à l’intervention des architectes du patrimoine et de l’architecte Paul Chemetov en particulier, contre l’avis des élus.

Renovation pour un usage d’aujourd’hui
20 ans plus tard, le chantier de réhabilitation des halles bat son plein. Aux commandes, l’architecte en chef des Monuments historiques François Chatillon. « Ce n’est pas comme pour la restauration d’un tableau ancien. C’est un bâtiment rénové pour un usage d’aujourd’hui, remarque le spécialiste, qui outre la restauration de la voûte, des verrières, des étals en mosaïques de commerçants… (voir encadrés) a adapté l’ouvrage aux usages et aux contraintes techniques actuels ».
Ainsi, les réseaux (caniveaux, boitiers électriques de sol, éclairages, chemins de câbles judicieusement cachés derrière des faux-plafonds en Composite ciment verre), la sécurité incendie (Réseau incendie armé, désenfumage par 9 tourelles d’extraction), l’accessibilité aux handicapés (rampes, monte-handicapés…), les surcharges d’exploitation à 500 kg/m2 (renforcement des planchers avec 95 tonnes de poutres métalliques)… sont désormais de la partie pour ce bâtiment qui restera comme à l'origine ouvert et non chauffé (hormis les pavillons d’angle). Mais selon l’architecte, « c’est un bâtiment qui n’aime pas l’eau, il reste fragile », confie-t-il en précisant qu’il devra être surveillé tous les 4 à 5 ans pour vérifier notamment que l’humidité ne réenclenche pas la décarbonatation du béton.

A la fin de l'été, les Rémois retrouveront les étals du marché du Boulingrin dans leur cathédrale de béton (le weekend du 14 septembre). Couronnement de leurs efforts, ils pourront un peu plus tard assister à des manifestations culturelles et sportives sous la voûte parabolique enfin restaurée.

*Emile Maigrot (1880-1961) et Eugène Freyssinet (1879-1962)