Après son adoption par le Sénat fin septembre, le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire arrive à l'Assemblée nationale. Et, avec lui, son fameux article 8 du titre 4 qui applique la notion de « pollueur-payeur » au BTP, et crée une filière « responsabilité élargie du producteur » (REP) à partir de 2022. Son but ? Pousser les industriels de la construction à « adopter une démarche d'écoconception des produits » et « à développer le recyclage des déchets issus de ces produits ». Comment ? Grâce à la mise en place « d'éco-organismes agréés dont ils assurent la gouvernance, auxquels ils transfèrent leur obligation et versent en contrepartie une contribution financière ».
211 millions de tonnes de déchets inertes. Un article qui a fait bondir les fabricants de matériaux lesquels, depuis plusieurs années déjà, planchent sur ces sujets, et notamment celui du recyclage. « Chaque année, le BTP produit 211 millions de tonnes de déchets inertes. On estime le potentiel de recyclabilité de ces déchets à 81 millions de tonnes, dont 80 %, soit à peu près 65 millions de tonnes, sont effectivement recyclés sur nos plates-formes. Environ 51 millions de tonnes (le béton notamment) sont réemployées directement sur les chantiers de travaux publics. Quant aux terres non recyclables (32 millions de tonnes), elles sont valorisées en carrière. Au total, 148 millions de tonnes de déchets sur les 211 sont valorisées ou recyclées », détaille Christophe Jozon, président de la commission économie circulaire de l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem).
Les industriels n'ont donc pas attendu le projet de loi pour donner une seconde vie à leur matière première : « Nous récupérons auprès des transformateurs les chutes de découpe de verre que l'on recycle comme calcin directement pour faire de nouveaux vitrages », explique Sandrine Marchant, responsable de la filière calcin pour Saint-Gobain Glass France. Le calcin, ce sont ces débris de verre broyé, réutilisés en remplacement du sable pour produire du verre. « L'avantage environnemental est double, poursuit-elle. D'une part il faut moins d'énergie pour fondre le verre, d'autre part le calcin ne dégage plus de CO2 à la fusion puisque le verre l'a déjà fait une fois ! Aujourd'hui, nous refaisons du verre avec 30 % de calcin. Mais il est possible de monter jusqu'à 90 %. » Même chose du côté des fabricants de menuiseries en aluminium : « Nous faisons la promotion d'un produit comme Hydro Circal 75R fabriqué à 75 % d'aluminum recyclé, explique Nicole Perez, directrice marketing & développement d'Hydro Building Systems France, qui vend notamment les marques Technal et Wicona. Cependant, la France ne posséde pas aujourd'hui les circuits suffisants pour récupérer ce métal à recycler. » Un problème de ressource que confirme François Gillardeau, directeur général adjoint de Schüco SCS, par ailleurs président de la commission environnement du SNFA, l'organisation professionnelle représentative des concepteurs, fabricants et installateurs de menuiseries en aluminium : « Nous recyclons les chutes de fabrication, les profilés qui repartent “en interne” et l'aluminium issu de la démolition à la fin du cycle de vie. L'aluminium d'extrusion se recycle parfaitement et possède une valeur marchande. Tout aluminium démonté, pour peu qu'il puisse être isolé facilement, pourra être “propre”. Mais on manque de matière à récupérer car il y a clairement plus d'aluminium posé que déposé. »
Récupérer des matériaux intègres. Même problème du côté de chez Saint-Gobain Glass : « Nous n'avons pas accès à suffisamment de matière pour atteindre un taux de 90 % de calcin dans nos vitrages, admet Sandrine Marchant. Les chutes ne suffisent pas. Le verre provient très peu de la déconstruction. Or c'est là que se trouve le réservoir. Nous sommes capables de recycler toute partie vitrée d'un bâtiment et tout ce qui contient du verre (cloisons vitrées, miroirs, façade). Mais il nous faut récupérer les éléments de façon intègre. On ne peut pas prendre du verre mélangé à du plâtre ou de la brique. Si on arrivait à en récupérer plus, on pourrait intégrer plus de calcin et réduire encore l'impact carbone de nos produits. » Le spécialiste de l'isolation en laine de roche, Rockwool, a ainsi décidé de s'organiser lui-même. Avec son service payant Rockcycle, l'industriel a pu récupérer 285 tonnes de laine de roche en 2018 auprès d'entreprises de déconstruction. « Rockwool commande des “big bags” pour les chutes de laine de roche, les emballages et les palettes, puis envoie des transporteurs dans un délai de cinq jours pour la récupération, détaille Gaëtan Fouilhoux, responsable des relations publiques. Le plastique est récupéré et reconditionné, les palettes reconditionnées ou restaurées dans notre usine. Quant à la laine, elle est transformée en briquettes qui servent à alimenter nos fours en matières premières. »
« Nous n'avons pas accès à suffisamment de matière pour recycler. Les chutes ne suffisent pas. » Sandrine Marchant, responsable filière calcin Saint Gobain Glass France.
Là encore, la question de la matière à recycler se pose : « Nous voulons élargir Rockcycle via notamment des actions avec les né-goces pour identifier les gisements de laine de roche à récupérer. On sait ce qui a été vendu. Mais où est-ce que ça a été posé ? Dans quelles conditions ? Le problème avec les chantiers de rénovation ou de démolition, c'est qu'on ne sait pas ce qu'on va y trouver. Le produit est soit difficilement identifiable, soit mélangé. Et, dans ces cas-là, il est impossible de le reconditionner. » Dernier point de taille : où récupérer, trier et valoriser les déchets ? « Un des gros problèmes mis en avant, c'est le maillage des installations de réception pour les déchets, confirme Christophe Jozon. Pour continuer à progresser, on voit bien qu'il faut le densifier. A l'Unicem, nous disons “banco” : nous avons 3 000 carrières en milieu rural, des unités de production de béton en milieu urbain, soit 1 500 installations dédiées au recyclage et à la valorisation des déchets inertes qui sont à disposition. » Et, insiste-t-il, il est capital de s'appuyer sur ce réseau : « Créer un maillage à partir de rien ne sera pas possible. C'est beaucoup plus simple d'utiliser les structures industrielles existantes. Nous proposons par exemple d'étendre nos sites. L'idée n'est pas de faire des centres dédiés spécifiquement au recyclage du PVC ou du bois. Si on peut aider à traiter des matériaux autres que nos déchets inertes sur nos installations, on le fera. »
Points de collecte. Voilà qui pourrait soulager un industriel comme Velux : « Ce qu'il faut, c'est une multiplication des points de collecte des fenêtres en fin de vie, confirme Olivier Devès, responsable bâtiment durable du groupe en France. Et je pense que cela passe par une action en deux temps. Tout d'abord, faire que les points de collecte soient suffisamment approvisionnés pour pouvoir pérenniser l'activité économique. Puis, dans un deuxième temps, en créer de nouveaux plus performants et qui offrent des solutions de valorisation. Pour cela, il faut travailler avec les installateurs sur des dispositifs de stockage pour les cadres en bois et le vitrage. Nous allons d'ailleurs prochainement signer la charte de l'Union des fabricants de menuiseries (UFME). Il y a un enjeu particulièrement important pour le verre, dont une partie est aujourd'hui réemployée sous forme d'emballage ou est expédiée en enfouissement. L'objectif à terme est de faire croître la part réutilisable pour la production de verre de bâtiment. Actuellement, le faible nombre de points de collecte l'empêche. » Saint-Gobain Glass essaye justement de mettre en place cette récupération des menuiseries sur des chantiers pilotes avec les entreprises de déconstruction. « Toutes les parties sont recyclables dans une fenêtre. Nous travaillons donc avec des sociétés partenaires, qui trouvent des exutoires pour les autres éléments de la fenêtre », confie Sandrine Marchant.
« Nous avons 1 500 installations dédiées au recyclage et à la valorisation des déchets inertes. S'appuyer sur ce réseau est capital. » Christophe Jozon , président de la commission économie circulaire de l'Unicem.
Un marché de 1 à 2 milliards. Tous estiment que la mise en place d'une REP viendrait perturber les efforts déjà entrepris. « Aujourd'hui, dans le bâtiment, plus de la moitié des 46 millions de tonnes de déchets - générées à 60 % par la démolition - est déjà prise en charge par le secteur de la récupération », détaille Roland Marion, délégué général de la Confédération des métiers de l'environnement. « C'est un marché annuel de 1 à 2 milliards d'euros entre industriels. Si on impose le principe de REP au système en place, voici ce qui se passera : la nouvelle structure qui lancera des appels d'offres pour trouver un organisme de collecte risque de casser le système existant », estime-t-il. Et briser une amorce de cercle vertueux.