En 1924, la fabrique de soie artificielle Tase s'établit à la frontière de Vaulx-en-Velin et de Villeurbanne (Rhône). L'entreprise, qui fait principalement appel à une main-d'œuvre étrangère, confie aux architectes Desseux et Alexandre la conception d'une cité ouvrière composée de petits immeubles, de maisons ainsi que d'équipements sociaux, éducatifs, sportifs et religieux. En 1926, leur confrère lyonnais Georges Curtelin (1899-1968) y réalise l'hôtel Jeanne-d'Arc, un foyer de jeunes travailleuses dirigé par des religieuses.


Après la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment de style Art déco accueille l'Ecole normale nationale d'apprentissage, puis l'Institut universitaire de formation des maîtres qui fermera ses portes en 2013… Le bailleur Est Métropole Habitat l'achète alors pour y réaliser un projet de grande mixité programmatique baptisé L'Autre Soie. Porté par le groupement d'intérêt économique La Ville Autrement, il comprend une maison des services publics, un tiers-lieu géré par le centre culturel œcuménique La Rayonne, un restaurant, une résidence étudiante et des logements pour mères isolées.

Un cœur transparent. « Les façades devaient être restaurées à l'identique. En revanche, à l'intérieur, la maîtrise d'ouvrage encourageait à concevoir un lieu plutôt brut et brouillon », s'étonne encore l'architecte Eric David, cofondateur de l'agence A-Mas avec Stéphanie David. La partie la plus délicate consiste alors à concilier les interventions contemporaines avec l'existant. Mais les murs en béton cyclopéen, coulés par passes et sans ferraillage, de même que les planchers à poutrelles de béton et hourdis de briques se révèlent incapables de supporter les charges d'exploitation du programme, ainsi que l'augmentation du poids des matériaux, liée aux exigences de confort et de performance actuelles.

L'équipe de maîtrise d'œuvre se retrouve donc obligée de déconstruire tous les planchers pour les remplacer. Sur les façades extérieures, elle installe des fenêtres à double vitrage et menuiseries bois. Côté cour, au lieu d'épaissir les murs des façades et d'en changer les fenêtres, elle conserve les simples vitrages aux fines menuiseries d'acier et isole plus fortement les logements. Non chauffés, les couloirs servent d'espaces-tampons. De même, elle restaure les verrières de l'escalier monumental.

Serres horticoles. Pour le reste des aménagements, les architectes optent pour des matériaux simples et bruts - contreplaqué, brique plâtrière, panneaux en fibres de bois - et laissent apparents tous les réseaux. Dans cette logique de frugalité, le bailleur perçoit une subvention européenne pour mettre en œuvre un véritable réemploi issu du foyer d'origine et de la démolition d'un immeuble tiers lui appartenant (faïence, parquet, carrelage, etc.). En complément du mobilier sur mesure, des meubles vintage ont été choisis avec l'aide d'un brocanteur.

Lors du concours, l'agence A-Mas, associée à FBAA, était la seule à proposer la suppression de la rotonde, à savoir l'ancien réfectoire, qui occupait la cour entre les deux ailes en « U ». A sa place, trois travées de serres horticoles ouvrent aujourd'hui l'établissement sur l'ancien parc boisé qui s'étend à l'arrière, autogéré par l'ensemble des acteurs sociaux du nouveau quartier. Equipé d'un toit mécanisé et de velums d'ombrage, le vaste volume, traversant et non chauffé, apporte de la lumière et établit un lien visuel et physique entre les diverses parties du tiers-lieu : une pépinière d'associations et d'entreprises de l'économie sociale et solidaire, un fab lab, un amphithéâtre dans l'ancienne chapelle, un atelier d'arts plastiques, une salle de danse et une cuisine partagée.

Dans ce lieu de vie central, sans affectation prédéterminée, mais facilement appropriable, se retrouvent les étudiants qui résident aux 1er et 2e étages, les mères et leurs enfants qui occupent le dernier niveau, ainsi que les habitants du quartier. Avec son nom en forme de jeu de mots lacanien, « L'Autre Soie » offre le cadre chaleureux pour construire une nouvelle vie et retrouver l'estime de soi en évitant l'entre-soi.
