Recherche : industrialisation et décarbonation, un potentiel à affiner

Les BET manquent souvent de données précises pour réaliser les analyses de cycle de vie. Une carence qu'il convient de combler.

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Les façades en bois de ce programme mixte, situé dans la ZAC des Coteaux de la Marne à Torcy (Val-de-Marne), ont été fabriquées hors site (architectes : Djuric-Tardio pour Immobilère 3 F).

Moins de nuisances, des délais réduits et une qualité améliorée. Si le hors-site a tout pour plaire, il lui manque un argument massue pour emporter l'adhésion de tous : son poids carbone. Pour l'heure, les professionnels estiment la baisse des émissions de CO entre 5 et 6 % par rapport à une construction traditionnelle. « Mais aucune étude fiable ne vient étayer ce chiffre », estime Guillaume Meunier, consultant bas carbone au sein de l'Institut français pour la performance énergétique du bâtiment (Ifpeb). Les ingénieurs qui souhaitent calculer les émissions carbone propres à ce mode constructif en sont donc réduits, pour l'instant, à utiliser des données empiriques.

Sur les délais tout d'abord, Simon Davies, directeur d'AIA Environnement, a calculé « qu'une livraison de l'ouvrage un mois plus tôt correspond en ordre de grandeur à une baisse 1 kg de CO2/m². Cela paraît faible sur une empreinte comprise entre 600 et 800 kg/m² en général, mais il n'y a pas de petites économies pour le climat », rappelle-t-il. Côté quantité de matériaux mis en œuvre, les chutes ne représentent que 2 % via une approche industrialisée du chantier, contre environ 5 % pour des opérations classiques. « Sur le gros œuvre, on peut prévoir une économie comprise entre 5 et 10 kg de CO /m² », évalue l'ingénieur. Des ordres de grandeur cohérents avec les observations d'Elia Abou-Chaaya, directeur de l'activité hors-site chez BTP Consultants. « Il suffit de jeter un œil dans les bennes des usines de préfabrication pour constater que la quantité de déchets est significativement réduite par rapport aux chantiers habituels. Pour éviter les problèmes d'approvisionnement ou remédier à des casses, les chefs de chantier prennent toujours des marges de sécurité. Or ces surplus renchérissent le bilan carbone, alors qu'en usine, ils servent pour la prochaine commande. »

Impact du transport. Enfin, il reste le transport, un volet non paramétrable des Fiches de déclaration environnementales et sanitaires (FDES) qui utilisent des moyennes, « où ces émissions représentent généralement moins de 10 % du poids carbone global », pointe Simon Davies. Or, déplacer un produit de l'usine au chantier implique de connaître son poids, la distance parcourue et le mode utilisé (route, rail ou fluvial). Le résultat varie énormément en fonction de ces trois paramètres et peut rendre la méthode particulièrement vertueuse si l'usine se situe aux abords d'un fleuve ou si le maillage territorial est dense. A contrario, s'il faut transporter des matériaux préfabriqués en camion sur des centaines de kilomètres, le bilan sera évidemment moins bon.

Pour disposer de données précises et fiables, I3F finance une thèse Cifre sur le sujet. La doctorante, Eva Madec, également ingénieure en génie civil et urbain mais aussi architecte, travaille sur les impacts environnementaux du hors-site. Elle pourrait utiliser l'étude qui le compare à une technique traditionnelle réalisée par Avelis, Ceteam et Tribu Energie sur une résidence sociale de 100 logements à Nantes (Loire-Atlantique), dont les résultats ont été publiés en juin dernier (lire p. 26). En outre, la chercheuse a pris part à la création de l'association Filière hors-site France,fondée par I3F avec Grand Paris Aménagement et la Société du Grand Paris. Ensemble, ils ont publié un référentiel qui définit l'industrialisation comme une méthode qui vise à déplacer une partie de la construction hors du chantier. Ce faisant, cette solution améliore les conditions de travail et la qualité de réalisation, tout en réduisant les coûts et le temps des projets. Si le rappel semble évident, il est pourtant indispensable puisqu'il permet de comprendre que le procédé ne se limite pas à la préfabrication en 2D ou en 3D, mais commence bien avec des éléments en une seule dimension (1D) comme des poutres faites sur mesure en usine (lire glossaire ci-contre).

De cette définition découle un autre constat : chaque opération peut comprendre un pourcentage variable d'éléments préfabriqués. Calculer leur poids carbone doit donc pouvoir se faire à leur échelle et pas à celle du chantier. « La meilleure solution serait de disposer de configurateurs dédiés, mis au point avec les données fournies par les industriels », estime Maxime Havard, pilote bas carbone pour AIA Environnement. Cela permettrait aux ingénieurs qui réalisent des analyses de cycle de vie de disposer de données paramétrables qui tiennent compte de la réalité, loin des approximations. « Nous pourrions alors travailler en concertation avec les fabricants pour réduire l'empreinte carbone des projets », projette Simon Davies.

Une commission en cours à l'Afnor. Ces configurateurs apporteront également davantage de transparence dans les processus constructifs, ce qu'appelle de ses vœux Elia Abou-Chaaya, qui est aussi membre de la commission de normalisation sur le hors-site, en cours de constitution à l'Afnor. « Si notre feuille de route n'est pas encore prête, je sais déjà que le carbone sera exclu de nos travaux au prétexte qu'un autre comité planche déjà sur ce sujet, déplore-t-il. Bien qu'il soit logique d'éviter les doublons, je constate que des lobbyistes font pression pour que le calcul normatif du carbone ne puisse pas révéler tout le potentiel de cette méthode. » Une difficulté qui n'entame pas la motivation de Pierre Paulot, conseiller technique auprès de la directrice générale d'I3F : « L'intérêt du hors-site est de contribuer à la mue industrielle du secteur en réduisant son poids carbone. Les exigences croissantes de la RE 2020 nous obligent à réinterroger tous les systèmes constructifs et la préfabrication va jouer un rôle crucial. »

Le hors-site : 1 méthode, 4 systèmes

  • Les ossatures 1D : les ensembles linéaires de type poteaux/poutres ou qui forment des charpentes.
  • Les panneaux 2D : les murs, planchers et façades avec leurs menuiseries, occultations ou bardages.
  • Le modulaire structurel 3D : tous les systèmes volumétriques qui peuvent contenir, en plus de la structure, l'ensemble des corps d'état pour fournir des éléments clés en main.
  • Les composants non structuraux : les salles d'eau, gaines techniques, cuisines intégrées à un mur, escaliers, balcons rapportés, etc.
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