« Ré-enchantons la botanique », par Véronique Mure, conseillère en botanique, jardins et paysage

Conseillère en botanique, jardins et paysage et spécialiste de la flore méditerranéenne, Véronique Mure enseigne à l’Ecole nationale supérieure du paysage à Marseille et à l’université du temps libre de Nîmes.  Comme de nombreux acteurs de la filière horticole et paysagère, elle déplore un déficit de connaissances, malgré les bienfaits reconnus de la proximité des végétaux. Ce constat alimente une crainte : déconnectés de la nature, les générations montantes  se mobiliseront-elles pour la défendre ?

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Le botaniste Francis Hallé commence souvent ses conférences (ou les termine) en expliquant combien l’arbre qu’il connaît aujourd’hui est différent de l’arbre qu’il a étudié lorsqu’il était à l’université.  C’est un fait, ces dernières décennies nos connaissances en botanique, cette science consacrée à l'étude des végétaux, ont progressé dans des domaines qui personnellement me fascinent.

Les chercheurs Stéfano Mancuso, Bruno Moulia,  Daniel Chamovitz et bien d’autres explorent depuis des années les mécanismes sensoriels des plantes et leurs travaux ouvrent une porte sur un monde encore méconnu. Les portraits qu’ils dressent des plantes, de leur capacité à communiquer, sentir, percevoir leur environnement, y réagir, s’y mouvoir… nous les font découvrir sous un jour nouveau.

Une vie à découvrir

On le sait maintenant, communication, sensibilité, temporalité, mouvement… font partie de leur vie quotidienne.  Sans possibilité d’esquiver les situations à risque par la fuite, elles sont même bien plus sophistiquées que les animaux pour ressentir leur environnement et anticiper le danger.

Mais ne nous emballons pas ! Restons sur des éléments factuels et gardons-nous d’interprétations anthropocentrées, plaisantes à raconter, mais erronées. Jacques Tassin, chercheur en écologie végétale au Cirad à Montpellier, nous le démontre à chaque page de son livre « A quoi pensent les plantes ? ».

Par contre, ce que nous enseignent ces découvertes, c’est que ce règne végétal, avec lequel nous cohabitons depuis toujours, ou plutôt qui nous a généreusement accueilli…, est doté d’une vie dont il nous reste beaucoup à apprendre.

Une formation à repenser

Paradoxalement, en même temps que la science avance à grands pas, la botanique est de moins en moins enseignée, pour ne pas dire, plus enseignée du tout.

Par ailleurs, nos modes de vie urbains disloquent notre rapport « physique » avec les plantes (c’est vrai aussi du règne animal). Nous n’avons plus de lieu pour nous « frotter » au végétal et celui ci nous devient étranger. Les savoirs traditionnels s’effritent peut-être encore plus vite que la biodiversité. Et la connaissance n’est plus détenue que par des groupes de plus en plus restreints et de plus en plus spécialisés.

Une parabole à méditer

Je compare souvent ce phénomène à la pollinisation du figuier, Ficus carica. Depuis l’antiquité, les paysans méditerranéens savent que pour qu’un figuier produise les meilleures figues qu’il soit, il faut, à une époque précise, pendre des rameaux « fructifères » de figuiers sauvages, les caprifiguiers, dans les figuiers domestiques. Cette opération s’appelle la « caprification ». Dans les campagnes, tous les travaux des champs s’arrêtaient le moment venu, pour se consacrer à cette tâche. On ne savait pas pourquoi il fallait le faire, on savait juste que le résultat en serait la récolte de meilleures figues…

Aujourd’hui, on sait…. Le processus de pollinisation du figuier est bien connu. Il met en jeu un petit hyménoptère du groupe des guêpes, le blastophage, pour fertiliser les fleurs du figuier domestique et produire ainsi des figues sucrées et juteuses. Il a été mis en évidence dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il y a très peu de temps  en somme.

Mais, dans le même temps, on a perdu la connaissance empirique de la caprification et perdu l’intérêt pour le figuier. Pourtant il est un de ces arbres « civilisateurs » qui a accompagné les peuples méditerranéens depuis peut-être encore plus longtemps que l’olivier.

Cette histoire est, de mon point de vue, très éclairante des processus en marche pour la botanique.

Des expériences à stimuler

Au siècle dernier nous avons massivement quitté les campagnes pour une vie urbaine, et ce faisant, nous avons perdu le contact avec la nature.  Aujourd’hui cette connaissance de terrain, liée, non à un savoir encyclopédique, mais à l’expérience, nous manque cruellement.

Connaître les plantes, savoir les nommer, mais savoir aussi nommer les différentes parties des fleurs, des feuilles, des tiges, des racines, comprendre l’intérêt de la pollinisation et de la fructification, connaître leurs modes de vie et les liens qui nous ont unis à elles, nous permettraient de les intégrer dans notre environnement personnel, d’y porter de l’attention, de recréer du lien, de les voir comme des êtres vivants, tout simplement.

L’écologie à réinventer

Il est temps de redonner à la botanique toute sa place dans les lieux de transmission des savoirs, à l’école, en enseignement supérieur… et dans notre vie quotidienne. Une botanique vivante. Une botanique qui nous permette d’appeler par leur nom les arbres de notre rue (quand il y en a), d’identifier les plantes des jardins que l’on fréquente, d’en connaître les textures, les odeurs…  Pas une botanique telle que décrite par Alphonse Karr, romancier journaliste du XIXe siècle,  qui en disait « La botanique est l'art de dessécher des plantes entre des feuilles de papier buvard et de les injurier en grec et en latin. »

Pas, non plus, une botanique comptable, perdue dans une écologie  anxiogène, accumulant classements et évaluations, avec des critères pas toujours adaptés à la situation et offrant des perspectives généralement effrayantes pour notre avenir.

Non, je voudrais croire en une botanique qui ré-enchante notre lien avec la flore. Une botanique qui nous permette de ré ouvrir les yeux sur  le règne végétal, ses modes de vie, ses besoins. Une botanique qui nous remette en empathie avec les plantes.

Il nous faut ré-enchanter notre rapport aux plantes.

Utopique, me direz-vous ?

Pas tant que cela.

Si je suis devenue botaniste, c’est que j’ai eu la chance d’avoir Francis Hallé comme enseignant tout au long de mes études. Un « enchanteur » de la botanique ! Le seul enseignant à remplir les amphithéâtres de la  faculté des sciences de Montpellier (à une époque où les cours de botanique existaient encore…).

Enseignant moi-même la botanique depuis presque trente ans à l’université du temps libre de Nîmes, je me suis toujours attachée à rester dans cet esprit. L’enthousiasme des étudiants et leur nombre (ils sont 130 cette année), me confortent dans cette voie. J’applique ce même esprit aux quelques heures d’enseignement de botanique que j’effectue auprès des étudiants marseillais de l’école nationale du paysage (ENSP) de Versailles-Marseille.

Si la botanique a pratiquement disparu des programmes des enseignements généraux, le jardin quant à lui, ne nous enseigne plus grand chose, non plus. Certes les éco-quartiers, les trames vertes et bleues, les jardins partagés, fleurissent dans les villes et sont de bon augure pour tisser du lien, mais dans le même temps je n’ai jamais vu autant de clôtures, de barrières dressées, au nom de la sécurité ou de la protection des végétaux, dans les parcs et les jardins publics, dans les espaces de nature. Une mise à distance qui nous éloigne toujours plus des plantes.

La ville peine à accueillir généreusement le règne végétal en son sein.

Et pourtant les jardins sont certainement le lieu où peut se produire ce ré-enchantement. Les propos de Gilles Clément, jardinier-paysagiste, dans sa leçon inaugurale au collège de France, l’illustrent : « Le jardin autorise le désarmement, (…) car même si le jardin est « botanique », hérissé d’étiquettes savantes, ce n’est pas la science qu’il nous demande d’apprécier avec dévotion, mais l’incroyable projet de nous livrer les clefs du vivant grâce à l’approche scientifique, immédiatement conjurée par l’éclat des pétales de fleurs, le cri pleuré du pic noir, et tout à coup cette lumière sur l’herbe rousse de l’été qui rejette dans l’ombre un sous-bois inconnu, donc nouveau. ».

Je mesure tous les jours combien ce rapport sensible aux plantes nous manque. Je suis sûre qu’il est inscrit dans nos gènes, hérité de nos lointains parents arboricoles.

Il est temps de recréer les conditions favorables à l’accueil du règne végétal en ville, de favoriser l’accès aux jardins et aux espaces de nature, pour renouer le lien.

Il est temps aussi de retrouver un enseignement vivant de la botanique, un alphabet du savoir, nécessaire pour accéder à la connaissance, afin que la botanique ne soit pas l’apanage de spécialistes mais l’affaire de tous.

Des enfants à alerter

Et comment ne pas voir l’urgence à mettre en œuvre ces deux « ambitions » à destination des jeunes générations ? Des études nous alertent sur le fait que les enfants, déconnectés de la nature s’en désintéressent et ne se battront pas pour la sauver.

Alors mettons tout en œuvre pour que les plantes aient droit de cité !

Faisons une priorité des jardins dans chaque école et dans chaque quartier et de la botanique dans les programmes pédagogiques et les universités populaires.

Et portons un regard bienveillant sur ces êtres vivants que nous connaissons si mal.

Et là, peut-être, étonné de l’amitié éprouvée pour un végétal, jamais ne s’estompera l’émerveillement de cohabiter avec un être d’une espèce différente. Si l’on ne perd pas de vue l’étrangeté de cette aventure, nous lui  accorderons un prix inestimable…

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