"Rattachements", par Frédéric Lenne

"Savoir où l’on habite" : l’expression est parfois employée par la négative pour exprimer le doute quant au pouvoir réel d’un individu ou l’influence d’un groupe de personnes. Les architectes savent-ils aujourd’hui où ils habitent ?

Certes, dans le gouvernement formé à la suite de l’élection de Nicolas Sarkozy à la magistrature suprême, ils n’ont pas changé de rattachement. Leur tutelle – mot qui sonne ici bizarrement tant il exprime une subordination peu conforme à la réalité – reste le ministère de la Culture et de la Communication dont le périmètre est identique à celui du ministère du gouvernement précédent mais dont la feuille de route, telle qu’elle a d’emblée été définie, semble assez éloignée des préoccupations architecturales. En tout cas, l’architecture ne figure pas dans les axes majeurs tels qu’ils ont été d’emblée énoncés.

Les premiers propos de la nouvelle ministre, Christine Albanel, ont ainsi placé les priorités de son action dans le spectacle où subsiste la question du statut des intermittents et dans les nouvelles technologies liées au développement tous azimuts du numérique avec les conséquences que l’on sait pour le droit des auteurs.

Aussitôt, le président du Conseil national de l’Ordre des architectes, Bernard Figiel, a réagi en écrivant au nouveau président de la République et, conjointement, à Alain Juppé, nouveau ministre d’Etat dont le vaste portefeuille contient l’Ecologie ainsi que le Développement et l’Aménagement durables. L’objectif nettement affiché de ces missives : obtenir une nouvelle domiciliation mieux adaptée aux préoccupations et à la reconnaissance des architectes.

Bernard Figiel a enfoncé le clou en déclarant au Moniteur : « Le rattachement à la Culture n’est pas approprié aux architectes. Il faut qu’ils passent à l’Ecologie pour jouer pleinement leur rôle d’acteurs du développement durable » (1). Tout aussi bien aurait-il pu revendiquer leur appartenance au ministère détenu par Christine Boutin, le Logement et la Ville, auquel il fut un temps question de rattacher l’architecture quand semblait programmée la disparition du ministère de la Culture.

Alors, à quel rattachement se vouer ?

Si elle peut sembler secondaire – après tout, l’essentiel n’est-il pas d’exister, d’avoir des interlocuteurs et l’interministériel fera le reste… – cette difficulté de l’architecture à se loger durablement dans les sphères gouvernementales est en réalité révélatrice d’une situation propre à la France, que souligne dans ce numéro d’amc une femme de culture, Laure Adler : "La France est un pays réactionnaire vis-à-vis des architectes et de la création architecturale. Contrairement à d’autres pays, les architectes n’y sont pas considérés comme des concepteurs appartenant à notre monde et à notre citoyenneté. Ils sont très peu pris en compte dans les débats d’idées" (2).

De la Culture à l’Ecologie, en passant par le Logement et la Ville, il est souhaitable que l’ouverture du gouvernement concerne aussi l’Architecture. Le choix d’un rattachement ministériel n’est pas neutre pour une meilleure intégration des préoccupations architecturales dans toutes les sphères – elles sont nombreuses – où leur prise en compte est indispensable… et salutaire.

Quelle serait la meilleure solution ? Notons d’abord que l’organisation du premier gouvernement du quinquennat de Nicolas Sarkozy est susceptible d’ajustements après les toute prochaines élections législatives. Des inflexions restent donc possibles. Deux directions au moins paraissent appropriées.

Une première consisterait à donner satisfaction au Conseil de l’Ordre et à son président qui ne manque pas d’arguments pour exprimer que "l’architecture a […] vocation à devenir une des composantes de la politique environnementale […]". Les avantages seraient substantiels et, parmi eux, le retour à une proximité avec l’Equipement et l’Urbanisme (3). Il y a bien comme une hérésie à séparer architecture et urbanisme. Les inconvénients n’en existent pas moins car là où elle est aujourd’hui l’architecture tire parti d’une reconnaissance culturelle et d’un juste dialogue avec le patrimoine.

Une deuxième solution serait de reconnaître officiellement la dimension autre de l’architecture et de lui conférer un statut particulier logé dans une grande structure – un Haut–commissariat ? – agissant par capillarité sur toutes les autres. Du statu quo ante à une création ex nihilo, aucune formule ne serait parfaite mais il demeure que les architectes sont depuis toujours des acteurs du développement durable. Ils l’étaient bien avant que le concept n’existe. Il est donc légitime que leur apport en la matière soit reconnu et mis à profit.

Frédéric Lenne est directeur du département "architecture, technique et urbanisme" du Groupe Moniteur (Cet éditorial sera publié dans la revue AMC n° 171 à paraître le 8 juin.

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(1)Le Moniteur du 25 mai 2007, p. 19.

(2) Laure Adler a présidé la session 2006 du prix AMO, voir AMC n° 171 à paraître le 8 juin

(3) Leur séparation date de 1981. Auparavant l’architecture relevait du ministère de l’Environnement et du Cadre de vie.

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