Expérimentation E+C-, Réglementation environnementale 2020…. Le recours aux matériaux capables de ne pas émettre de carbone dans l’atmosphère voire de le stocker s’imposepeu à peu. Il s’agit bien de respecter les engagements pris par la France lors de la COP 21 et des Accords de Paris signés en 2015, qui se traduisent par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC).
Un virage qui n’a pas échappé aux spécialistes du marketing qui vantent les vertus bas carbone de tous les matériaux ou presque. Et le béton n’échappe pas à ce phénomène puisque les industriels proposent désormais des gammes qualifiées de « bas carbone ».
Ce matériau, considéré comme très émissif – à l’échelle mondiale le ciment est responsable de 7 % des émissions de gaz à effet de serre, l’équivalent du 3e ou 4e pays le plus émetteurs, selon l’Agence internationale de l’énergie –, peut-il devenir parfaitement « vert » ?
Une question sur laquelle se sont penchés les ingénieurs d’Elioth, filiale de l’ingénieriste Egis, intrigués par les résultats présentés par les industriels. « Ces calculs frôlaient la caricature puisque sous certaines conditions un plancher en béton présentait une empreinte carbone comparable à celle d’un plancher en bois », a constaté Guillaume Meunier, directeur délégué responsable du pôle environnement chez Elioth.
Attribuer une quantité d’émission en fonction du prix du matériau
Matthias Dreveton, ingénieur structure chez Elioth a donc mené une enquête dans le cadre de son projet de master de fin d’études à l’école des Ponts. « La méthode couramment utilisée pour réaliser une analyse de cycle de vie (ACV) s’appuie sur la norme NF EN 15804 relative aux déclarations environnementales des produits de construction », témoigne l’ingénieur. « Or, cette norme laisse une marge de manœuvre sur le choix de la méthode d'allocation des coproduits. Je me suis intéressé aux trois plus pertinentes pour les laitiers : l’allocation économique, massique ou par expansion du système », poursuit-il.
A chaque fois, il s'agit de répartir les émissions de CO2 entre le produit fabriqué et le coproduit avec comme référence le prix (pour l'allocation économique), la masse (pour l'allocation massique) ou d'autres propriétés physiques. L'allocation par extension du système permet, sous certaines conditions, de considérer que le coproduit que constituent les laitiers remplace un autre produit, en l'occurrence les ciments Portland. Le bénéfice provient de la non utilisation d'un ciment traditionnel.
Des émissions considérées comme nulles ou presque pour les laitiers de hauts fourneaux
L’essentiel de l’impact carbone d’un béton est contenu dans son ciment. Or, les CEM II et III en particulier peuvent comprendre une part variable de laitiers de hauts fourneaux. Ces derniers sont un coproduit des aciéries, à savoir un déchet, peu valorisé jusqu’à présent. Si leur incorporation dans les ciments est ancienne - ils sont historiquement utilisés pour protéger les bétons dans des environnements agressifs - , la prise en compte de leur empreinte carbone est beaucoup plus récente.
En choisissant l’allocation économique, les cimentiers profitent pleinement de la norme, puisqu’elle stipule que si le ratio obtenu pour le coproduit est inférieure à 1 % de celle du matériau, sa prise en compte dans l’ACV n’est pas obligatoire. « Ce qui est le cas des laitiers puisque leur valeur économique est dérisoire par rapport à celle de l'acier », pointe Matthias Dreveton. Mais cela revient à considérer que les laitiers n’émettent pas de carbone, et donc que remplacer la moitié du ciment par du laitier permet de diviser par deux ses émissions », pointe Guillaume Meunier.
Une valeur économique à revoir
Autre bémol concernant l’allocation économique, celle-ci se base sur le prix et la masse du matériau avec l’idée que l’impact carbone d’un matériau est lié à son prix de vente. A condition que ce tarif soit déterminé par le marché grâce à une diversité de fournisseurs. « Dans le cas des laitiers, le seul producteur en France est Ecocem, dont les sites de production sont installés à proximité de ceux d’ArcelorMittal, l’un de ses actionnaires », précise Adelaïde Feraille, chercheur à l’école des Ponts-ParisTech.
Un impact carbone variable entre 0,5 et 6 % de celui de l’acier
Autre limite mise en évidence par les calculs d’Elioth : l’impact carbone alloué par la WorldSteel association aux laitiers dans le cycle complet de production de l’acier varie entre 0,5 et 6 %. « Une fourchette très large mais logique, puisqu’elle résulte des calculs flous de l’allocation économique », constate Matthias Dreveton. Après avoir refait ces opérations, il parvient à la conclusion que les émissions de CO2 allouées aux laitiers devraient être autour de 3 %. Un chiffre à ne pas négliger puisque la production d’une tonne d’acier primaire émet 2,5 t d’équivalent CO2 dans l’atmosphère, selon les calculs de l'ingénieur à partir des données disponibles sur la base Inies.
Les laitiers émettraient entre 400 et 500 kg CO2eq/t
Enfin, l’allocation économique considère que la production d’une tonne de laitier n’émet que 16,7 kgCO2eq. « Mais l’analyse de sensibilité, qui consiste à prendre en compte l’influence des variables d’entrées sur celles de sortie, fait que nous avons du mal à considérer ce résultat comme plausible », pondère Guillaume Meunier. Pour Adelaïde Feraille, qui travaille sur les allocations et les ACV des matériaux depuis le début des années 2000, ce chiffre n’est en effet pas corrélé à la réalité des émissions. « Décider de l’allocation à attribuer aux laitiers est désormais un choix politique, explique-t-elle. Il s’agit à la fois de permettre de les réutiliser dans les ciments et d’éviter ainsi des stocks inutilisés, tout en tenant compte de leurs émissions de CO2 de façon plus réaliste. »
Selon Elioth, les émissions des laitiers tourneraient davantage autour de de 400 à 500 kgCO2eq/t. « La Direction de l’habitat, de l’urbanisme et du paysage (DHUP) est en train de plancher sur cette question, note Adelaïde Feraille. Le résultat de leurs travaux était attendu pour la fin 2020 mais devrait être connu d’ici la mi-2021. »
Des bétons moins carbonés
« Les conclusions de notre étude peuvent se résumer en trois points, conclut Guillaume Meunier. Tout d’abord, les bétons actuels dits « bas carbone » parce qu’ils utilisent un CEM II ou III, sont juste des bétons moins carbonés. Il est important de bien les distinguer d’autres bétons à base de pouzzolane ou de méta-kaolins, sur lesquels des recherches sont en cours et dont l'empreinte carbone semble effectivement plus faible que nos ciments courants actuels. »
Par ailleurs, la disponibilité limitée des laitiers ne permettrait pas de couvrir plus de 20 % de la production annuelle de ciments d'ici 2030, et ne suffirait donc pas à massifier l’emploi de ces bétons.
« Autre point important, à force de se concentrer sur le seul indicateur des émissions de CO2, nous en oublions les autres aspects que sont l’épuisement de la ressource sable et les impacts sur la biodiversité », poursuit Guillaume Meunier. Pour lui, si certains usages ne peuvent se passer du béton, « partout où l’on peut s’en passer, il faut le faire ».
Tous les détails de l’étude sont disponibles sur le site web d'Elioth ici.