A Quédillac, petite commune bretonne aux confins de l'Ille-et-Vilaine, un ancien hangar agricole flanqué d'un silo à grains a trouvé une vocation temporaire inattendue. Depuis le début du mois d'avril, l'un des six ateliers français de la société Leco, spécialiste de la construction modulaire, occupe 2 500 m de sa surface de plancher. L'installation doit permettre la livraison d'ici à fin juin de onze maisons individuelles sur la commune de Saint-Gilles (Ille-et-Vilaine) pour le compte des bailleurs sociaux Néotoa et Coop de Construction.
Sous cette halle, l'espace se partage dans une ambiance qui fleure bon le bois. Les sacs de granulés stockés par une entreprise de fournitures de pellets cohabitent avec des piles d'OSB et de bastaings numérotés. Mais l'unité de production autonome (UPA) de modules ne s'attardera pas plus de trois mois sur le site. « Le délai n'est pas un objectif, mais une clause ferme du contrat qui me lie aux clients », résume le fondateur de la société Leco, Xavier Jaffray, pour qui la maîtrise exacte du timing et la traque de la moindre perte de temps constitue la clé de voûte de son concept. Une quasi-obsession pour cet ingénieur des Arts et Métiers qui, avant de créer la société Leco, a été biberonné dans l'industrie aux principes du lean management et à la philosophie du Kaizen (1), puis qui s'est tourné vers la construction pour œuvrer avec des majors comme Nexity sur des collectifs en accession aidée à Brest (2011- 2012) ou Bouygues Construction sur un collège modulaire de 600 places (5 000 m ) à Clisson (Loire-Atlantique), livré en 2013.
Du BIM à toutes les étapes. Pour l'heure, les futures maisons sont rassemblées en pièces détachées au pied de chaque poste de travail. Prêtes à être montées par une petite quinzaine d'opérateurs qui s'aident d'une tablette numérique. Ici, le BIM est présent à toutes les étapes du projet avec ses plans en 3D qui défilent au fur et à mesure de l'assemblage. Les modules préfabriqués sont basés sur le système constructif à ossature bois Dhomino qui permet un assemblage jusqu'au R + 9. « Nous parvenons à sortir une maison par semaine, soit quatre modules avec intégration du second œuvre compris, le tout pour un coût de construction autour de 1 000 €/m . En outre, les gabarits, de 4 m x 18 ma u maximum, facilitent le transport », poursuit le dirigeant. Résultat ? Un gain de temps qui pourrait atteindre 25 à 50 % en faisant la part belle à la filière locale, à l'insertion et aux démarches collaboratives.
Leco agrège des sous-traitants issus des PME du bâtiment implantées dans la région.
Sur le site de Quédillac, on retrouve tous les ingrédients du modèle imaginé par Xavier Jaffray, fait d'unités légères de construction basées au plus près de leur marché -jamais au-delà de 200 km -, afin de réduire les coûts logistiques et de gagner en efficience. Une stratégie locale qui ne se limite pas à la seule implantation industrielle. En qualité d'entreprise générale, elle agrège également des sous-traitants, tous corps d'état confondus, issus des PME du bâtiment de la région. Les compagnons sont ainsi recrutés à proximité directe du projet avec un taux de personnes en insertion compris entre 50 et 70 %. Tous sont formés pendant dix jours au lean management, et le public en insertion se voit dispenser, en complément, un mois de formation aux différents métiers.
Cette étape passée, il est ensuite temps de se lancer dans le montage « à blanc » d'un module pour s'exercer. La part du temps productif et celle de temps inutile sont alors chronométrées. Une démarche d'amélioration continue efficace qui suppose « d'apprendre par l'erreur, ce qui est toujours un peu perturbant pour l'encadrement », convient Xavier Jaffray.
« Bon sens partagé ». Pour favoriser encore l'apprentissage et l'intelligence collective, chaque unité crée son groupe Whats App. Les opérateurs alimentent ainsi un fil de discussion au fur et à mesure de la construction, photos à l'appui. « Cela permet de dénouer des problèmes et de mettre en commun des solutions, le tout en temps réel », se réjouit le dirigeant. Baptisé « Bon sens partagé », un compte Facebook fermé vient compléter le dispositif pour partager astuces et bonnes pratiques.
Fort de cette méthode éprouvée et validée par diverses références, le chef d'entreprise s'attaque désormais à des marchés jusqu'alors préemptés par les grands groupes. Dans quelques jours, il va notamment poser une UAP sur 35 000 m dans le parc des expositions de Villepinte au nord de Paris. Au programme : une résidence étudiante en surélévation sur un bâtiment existant du XIII arrondissement (l'ancien conservatoire), labellisée « Réinventer Paris », réalisée avec l'agence d'architecture Pablo Katz. Et son ambition ne s'arrête pas là puisque Leco est aujourd'hui en lice pour œuvrer sur le village olympique à Paris et pour un programme de construction bois collectif en R + 10 de 700 logements en Allemagne.
(1) Processus d'amélioration en continu, synonyme aujourd'hui de démarche qualité pour bon nombre d'entreprises.
