« Je n'aimerais pas que l'on retienne de mon mandat la construction d'un pont, d'un musée… Je ne veux pas donner cette image de l'élu bâtisseur et nombriliste […]. On peut et on doit continuer à construire en ville mais on ne le fait pas n'importe où, pas au détriment de nos derniers espaces de nature qu'il faut protéger comme la prunelle de nos yeux. » Dans un récent entretien accordé au « Moniteur » (1), Pierre Hurmic, le nouveau maire écologiste de Bordeaux (Gironde), donne le ton : dans la métropole aquitaine, la décennie à venir sera foncièrement frugale ou ne sera pas.
Bordeaux n'est pas une exception. Dans les grandes villes gagnées par la vague verte aux dernières élections municipales, comme dans la plupart des zones urbaines denses, la zéro artificialisation nette (ZAN), objectif européen fixé en 2011 et repris en juillet 2018 dans le plan biodiversité du gouvernement, est au centre des réflexions des élus locaux. A Montpellier (Hérault), le nouveau maire (PS) Michaël Delafosse veut « tendre vers une fin d'artificialisation nette des sols à l'horizon d'une décennie. L'extension de Montpellier vers la mer n'est ni écologiquement viable, ni socialement tenable. Pour être à la hauteur des enjeux de la ville de demain, nous comptons densifier en recyclant des friches, en travaillant sur la hauteur et la forme urbaine. »
Coup d'accélérateur. Superposée à l'urgence climatique, la pandémie de coronavirus rend encore plus prégnante la nécessité de reconstruire la ville sur la ville. « La crise sanitaire conduit à repenser les projets. Aujourd'hui, réaliser un quartier d'affaires avec des tours de bureaux et des parkings n'est pas cohérent. Il faut travailler la mixité, développer des logements et les équipements qui vont avec », insiste Suzanne Brolly, adjointe à la maire (EELV) de Strasbourg (Bas-Rhin) en charge de la ville résiliente. En consacrant 30 M€ à la transition écologique, dont 6,7 M€ à la rénovation énergétique des bâtiments, le plan de relance présenté en septembre dernier par le Premier ministre Jean Castex promet de donner un sérieux coup d'accélérateur à la rénovation énergétique des logements et des infrastructures publiques, mais aussi à la réhabilitation de friches et à la densification des constructions.
Les opérations de réhabilitation séduisent désormais les investisseurs
Le Covid-19 et ses conséquences socio-économiques créent aussi de nouvelles opportunités financières en faveur de la transformation de bureaux en habitations. « Avec la pénurie de logements couplée à l'augmentation de la vacance des bureaux, liée au développement du télétravail, nous assistons à un extraordinaire alignement des planètes pour multiplier ce type d'opérations », assure Joachim Azan, président du développeur- investisseur Novaxia. L'achat de bureaux décotés permet en effet d'absorber en partie les surcoûts de ces lourds travaux de réhabilitation pour tendre vers la rentabilité du projet.
D'autant que les opérations de réhabilitation séduisent désormais les investisseurs. En témoigne la récente acquisition en blanc, par une mutuelle, de l'ancien immeuble d'archives de l'INPI, à Nanterre (Hauts-de-Seine), en passe d'être converti en bureaux nouvelle génération. « Le choix de nos investisseurs se porte sur la rentabilité du projet mais aussi sur son impact extra-financier [la RSE, NDLR] », relève Joachim Azan. Pour Guillaume Carlier, directeur RSE de Bouygues Bâtiment France Europe, « la crise du Covid ne fait en réalité qu'enfoncer le clou. Avec les programmes de l'Anru, la loi Elan, le plan climat, ce mouvement en faveur de la rénovation préexistait. Les trois quarts du parc que nous aurons en 2050 sont déjà construits. La mine sur laquelle nous devrons travailler est la mine actuelle. » Partant de ce postulat, la major a élargi son champ d'action à tous les marchés de la rénovation - immobilier patrimonial, bâtiments publics, tertiaire, résidentiel collectif, logements sociaux, pavillons… - et agit sur tous les terrains : surélévation, dents creuses, intervention en site occupé, friches, etc.
Nouvelles approches constructives. « Dans certaines régions, la rénovation représente déjà plus de 50 % de l'activité totale. Les projets urbains que nous remportons sont très axés sur la réhabilitation de sites », indique Guillaume Carlier. C'est le cas à Noisiel (Seine-et-Marne) où Linkcity, filiale immobilière de Bouygues Construction, va réhabiliter l'ancienne chocolaterie Menier - devenue ensuite le siège social de Nestlé - en une Cité du goût, alliant tourisme, activités économiques et quartier résidentiel. Au programme : conservation du passé industriel du site et désartificialisation des sols pour lutter contre les crues. Tout en donnant une seconde vie à des lieux d'un autre temps, ces projets de reconversion sont aussi l'occasion d'expérimenter de nouvelles approches constructives. A Suresnes (Hauts-de-Seine), dans le cadre de la transformation des anciens locaux d'Airbus en résidence étudiante menée par Bouygues Bâtiment Ile-de-France pour le bailleur social Vilogia, une grande partie du revêtement en pierre mince reconstituée agrafé sur les façades du bâtiment actuel sera ainsi déposée, nettoyée et remise en place.
A l'instar de l'économie circulaire, le recours au bois et aux matériaux biosourcés apparaît comme un allié dans la lutte des villes contre le changement climatique. Un choix qui correspond aussi aux attentes de la population. A Paris, la conférence citoyenne réunie en amont de l'élaboration du premier « PLU bioclimatique » de la ville, qui devrait être adopté fin 2023- début 2024, a réclamé de la réhabilitation, du réemploi et de la réversibilité des usages. Comme elle l'a fait en lançant le premier appel à manifestation d'intérêt pour réinventer son territoire, il y a fort à parier que la ville capitale ouvre la voie.