GED… Trois lettres pour désigner le « Grand équipement documentaire ». Une appellation qui met l'accent sur la valeur des documents rassemblés dans cette bibliothèque signée de l'architecte Elizabeth de Portzamparc et située sur le campus Condorcet, nouveau pôle de recherche en sciences humaines et sociales d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).

A l'époque du concours, les urbanistes ignoraient comment assurer la continuité de la circulation sur cette ancienne friche industrielle, tout en ménageant l'espace nécessaire à la réalisation du futur GED, bâtiment le plus imposant, censé fédérer le campus. Inspirée par sa consœur et compatriote brésilienne Lina Bo Bardi (1914-1992), qui visait l'insertion sociale via la porosité entre espace urbain et espace bâti, l'architecte a proposé un édifice traversé par l'axe de distribution du campus, le cours des Humanités, auquel tous les bâtiments de recherche viennent se raccorder. La bibliothèque s'installe ainsi sur toute la largeur du terrain et laisse rentrer la ville. Une disposition qui s'opère via le Forum, volume transparent situé dans l'axe du cours des Humanités, calé entre les deux grands corps de bâtiment abritant les plateaux de consultation : deux faux jumeaux aux façades de métal et de verre, hommage au passé industriel d'Aubervilliers.

Maison de verre. Le Forum, véritable place publique en quadruple hauteur sous verrière, pourvu de bancs et d'un écran géant, se veut un lieu propice aux rencontres et autres animations. Il est bordé par une librairie, un café, et l'espace Françoise-Héritier, qui comprend un auditorium, une salle de coworking et une autre consacrée aux événements culturels associatifs de quartier. Le Forum, librement accessible, a été conçu comme un vecteur de transformation sociale et de démocratisation du savoir. Scientifiques et population locale se croisent dans cette maison de verre où semblent léviter de petites salles de travail transparentes. En levant les yeux, on aperçoit les rayonnages de livres dans les étages. « Le bâtiment est conçu pour être un levier d'insertion sociale pour la jeunesse du quartier qui, par ses apports, enrichira les chercheurs en sciences sociales », explique Elizabeth de Portzamparc qui pratique ici, selon ses dires, une « architecture de sociologue », son premier métier.

La création d'un tel espace de mixité sociale s'inscrit chez elle dans une démarche environnementale globale qui intègre la dimension socioculturelle aux dispositifs bioclimatiques. Avec, notamment, le rafraîchissement par ventilation naturelle, l'inertie thermique du béton massif, le filtrage des apports solaire par des stores, l'ouverture des panneaux de façades, etc. L'évolutivité du bâtiment n'est pas oubliée, la structure étant calculée pour supporter d'éventuels futurs espaces en extension, construits sur les terrasses.

Un « salon » en béton. L'accès aux salles de consultation s'effectue par un escalier monumental en béton matricé à double révolution, qui intègre banque d'accueil et espace de stockage. Plus qu'une circulation, c'est un véritable lieu de transition entre le Forum public et l'univers réservé à la recherche. L'escalier ménage en son cœur, à mi-hauteur, un « salon » en béton brut où les chercheurs peuvent s'asseoir et échanger avant d'accéder à l'espace de consultation. Là sont accessibles un million de documents auparavant dispersés dans plus de 50 bibliothèques d'Ile-de-France, mais aussi dans des bureaux de chercheurs. « Environ 80 % des documents sont en libre accès, y compris des livres anciens très rares, ce qui est inédit pour une bibliothèque spécialisée. Et le support papier est essentiel. Si la numérisation permet de retrouver rapidement un ouvrage, celui dont on a finalement besoin se trouve souvent un peu plus loin… Un heureux hasard nommé sérendipité », explique Stéphanie Groudiev, directrice de l'établissement.

Contrairement aux « learning centers » où la numérisation a libéré l'espace, ici ce sont les livres et les chercheurs qui habitent les lieux. Pour cette forêt d'ouvrages, l'architecte a imaginé différentes situations spatiales, gage de liberté d'usage : alcôves enveloppantes délimitées par des rayonnages bas, tables pour deux le long des façades, salles de travail en groupe et sur les terrasses. En toiture, les terrasses plantées se veulent de véritables espaces de travail en plein air. Ceintes chacune d'un auvent périphérique qui forme péristyle, elles composent comme des cloîtres contemporains suspendus en balcon sur le Grand Paris alentour.
