La d'accélération et de simplification de l'action publique (dite « Asap ») poursuivait, comme l'indique son titre, un objectif initial d'amélioration des procédures administratives de tous ordres. Elle concernait peu la commande publique. Au cours des débats parlementaires, en réaction à la crise sanitaire, un certain nombre de nouvelles dispositions ont cependant été intégrées. Estimant qu'il ne s'agissait pas de « cavaliers législatifs », le Conseil constitutionnel les a validées, tout en apportant certaines précisions ().
Mesures temporaires applicables en cas de circonstances exceptionnelles
L'article 132 de la loi Asap introduit dans le Code de la commande publique deux nouveaux livres autorisant le gouvernement, en cas de circonstances exceptionnelles, à mettre en œuvre par décret des mesures dérogeant aux règles de passation et d'exécution des marchés publics et des concessions (articles L. 2711-1 et suivants et L. 3411-1 et s.).
Ces mesures ne peuvent être utilisées que lorsque, d'une part, il est fait usage de prérogatives prévues par une loi relative à de telles circonstances exceptionnelles, et que, d'autre part, celles-ci affectent les modalités de passation ou les conditions d'exécution des contrats de la commande publique. La durée d'application du décret ne peut excéder vingt-quatre mois, le législateur devant intervenir au-delà.
Pérenniser le dispositif de crise. Cet article 132 de la loi Asap transcrit dans le code l'essentiel des dispositions temporaires de l' modifiée, portant sur l'adaptation du régime des contrats publics à la crise sanitaire (1). Il vise à établir des mécanismes pérennes, permettant de réagir plus rapidement et plus efficacement quand surviennent des circonstances exceptionnelles nouvelles.
Le dispositif adopté est de fait proche de celui prévu par l'ordonnance en termes d'adaptation des règles de passation, de prolongation des contrats ou des délais d'exécution, ainsi que de passation de marchés de substitution sans sanction du titulaire. En revanche, ne sont pas reprises les dispositions relatives à l'indemnisation des cocontractants, la suspension des concessions ou des redevances domaniales, ni celles relatives aux avances, ce qui est sans doute logique dans ce dernier cas, compte tenu des récentes dispositions de nature réglementaire adoptées en la matière ( relatif aux avances dans les marchés publics).
Dispositions en faveur des entreprises en redressement judiciaire
Dans le prolongement cette fois-ci de l' portant diverses mesures en matière de commande publique, aux effets là encore temporaires, la loi Asap renforce la protection des opérateurs économiques en redressement judiciaire, tant lors de la passation du marché ou de la concession que durant leur exécution.
Exception au motif d'exclusion lors de la passation. Lors de la passation, le Code de la commande publique faisait du redressement judiciaire de l'opérateur économique un motif d'exclusion, l'empêchant de se voir attribuer un marché (article L. 2141-3) ou une concession (article L. 3123-3), sauf à justifier d'avoir été habilité à poursuivre son activité pendant la durée d'exécution prévisible du contrat.
L'article 131 de la loi ajoute à cette première exception une seconde concernant les entreprises bénéficiaires d'un plan de redressement. Il clarifie ainsi l'état du droit applicable et la distinction entre la période d'observation et la phase d'exécution du plan de redressement.
Il s'agit de réagir plus rapidement et efficacement quand surviennent des circonstances exceptionnelles nouvelles
En effet, dans le premier cas, l'entreprise doit apporter la preuve que la durée de sa période d'observation, et donc de poursuite de son activité, couvre bien celle du marché. Dans le second, lorsque l'entreprise bénéficie d'un plan de redressement, elle peut soumissionner à un marché public sans considération de la durée du plan, ce qui avait, à dire vrai, déjà été acté par la doctrine administrative sur la base de la jurisprudence (QE n° 07669, rép. min. publiée au JO Sénat du 16 mai 2019, p. 2627, se fondant sur la décision , mentionnée aux tables du Recueil).
Protection supplémentaire lors de l'exécution. Lorsqu'un motif d'exclusion intervient au cours de l'exécution du marché ou de la concession, le contrat peut être résilié. Toutefois, le Code de la commande publique excluait ce dispositif en cas de redressement judiciaire, ce qui était conforme au droit des entreprises en difficulté. L'entreprise en redressement judiciaire bénéficie en effet du maintien des contrats en cours, sauf décision non équivoque de l'organe en charge de sa procédure collective. Le Code de la commande publique ajoutait néanmoins une condition, non prévue par le Code de commerce, en subordonnant ce maintien au fait que le titulaire ait informé l'acheteur ou le concédant sans délai de son changement de situation.
La loi Asap supprime cette condition et lui substitue uniquement celles du droit commun prévues à l' : les contrats seront maintenus, sauf silence ou refus de l'administrateur judiciaire mis en demeure de poursuivre le contrat ou défaut de paiement de certaines créances exigibles au cours de la période d'observation. Acheteurs et autorités concédantes devront dès lors être encore plus attentifs au suivi de la situation financière de leurs cocontractants.
Facilitation des marchés sans formalités et des avenants
L'article 131 de la loi Asap modifie les articles L. 2122-1 (marchés classiques) et L. 2322-1 (marchés de défense et de sécurité) du Code de la commande publique afin de permettre aux acheteurs de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence dans des cas où « un motif d'intérêt général » le justifie.
Prévoir de nouveaux cas dérogatoires. Comme l'a précisé la Direction des affaires juridiques de Bercy (2), il ne s'agit nullement d'autoriser les acheteurs à décider eux-mêmes de déroger aux procédures en fonction de leur propre appréciation des motifs d'intérêt général. Il ne s'agit pas non plus d'exclure l'application de l'ensemble des principes de la commande publique prévus à l'article L. 3 du code. Dans sa décision du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel précise que ceux relatifs à l'égalité devant la commande publique et au bon usage des deniers publics devront s'appliquer. En revanche, les principes relatifs à la transparence et à la liberté d'accès, également constitutionnels (), ne sont, assez logiquement, pas mentionnés puisqu'il est question d'une exception à la publicité et à la mise en concurrence.
L'article 131 de la loi Asap constitue ainsi une habilitation permettant au pouvoir réglementaire de prévoir de nouveaux cas dérogatoires, dans le but de simplifier et d'accélérer la conclusion de certains marchés, notamment dans des secteurs confrontés à des difficultés économiques importantes ou constituant des vecteurs essentiels du plan de relance. Encore faudra-t-il démontrer, comme le précise le Conseil constitutionnel, que les règles de publicité et de mise en concurrence normalement applicables sont « manifestement contraires » aux motifs d'intérêt général considérés, mais également, peut-on ajouter, que ces cas dérogatoires sont compatibles avec le droit de l'Union européenne. Concrètement, ils ne paraissent donc pouvoir concerner que des contrats inférieurs aux seuils d'application des directives marchés publics.
Tel est le cas d'ailleurs du rehaussement temporaire (jusqu'au 31 décembre 2022), à 100 000 € HT, du seuil sous lequel des marchés de travaux peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence, aux termes de l'article 142 de la loi Asap. Mais là encore, comme le précisent les Sages de la rue de Montpensier dans leur décision du 3 décembre, cette dispense n'exonère pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d'égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.
Les marchés globaux voient leur régime en matière d'accès des PME s'aligner sur celui des marchés de partenariat
Des contrats longs plus évolutifs. Enfin, l'article 133 de la loi prévoit que les contrats de la commande publique pour lesquels une procédure a été engagée avant le 1er avril 2016 - autrement dit, notamment, sous l'empire du Code des marchés publics -peuvent être modifiés sans nouvelle mise en concurrence, selon les règles du Code de la commande publique régissant la modification des contrats en cours d'exécution. Ce faisant, la loi Asap étend aux marchés publics, mais aussi aux marchés de partenariat et aux formules de partenariat public-privé préexistant à ces derniers, la règle déjà applicable aux concessions.
Cette mesure doit permettre aux acheteurs de modifier les marchés publics conclus pour une durée longue, lorsqu'une telle modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir (article R. 2194-5 du code), hypothèse couvrant les conséquences de la crise sanitaire actuelle. Elle présente également l'avantage de clarifier la possibilité de modifier les marchés antérieurs à 2016 en vue de commander des travaux, des fournitures ou des services supplémentaires (article R. 2194-2).
Nouvelle extension des marchés globaux et participation des PME
La loi Asap prévoit un nouveau cas de marché global sectoriel et une modification de l'un de ceux existants.
Les contrats globaux ont le vent en poupe. Ainsi, son article 143 complète l' : un 5° (nouveau) prévoit la possibilité de recourir à ce type de marché pour la conception, la construction, l'aménagement, l'exploitation, la maintenance ou l'entretien des infrastructures linéaires de transport de l'Etat.
Son article 144 modifie, à nouveau, les dispositions relatives aux marchés globaux sectoriels auxquels la Société du Grand Paris peut avoir recours, prévues à l'article L. 2171-6 (la précédente modification datant de la , dite « LOM »). Il s'agit notamment de permettre aux titulaires de ces contrats de participer à la construction et à la valorisation des immeubles connexes aux gares. Ces nouvelles extensions des marchés globaux, qui montrent leur succès, ne donnent lieu à aucune remarque du Conseil constitutionnel, alors même que ceux-ci constituent, dans une certaine mesure, des contrats dérogatoires au droit commun de la commande publique ().
Le retour du quota de PME. Les marchés globaux visés à l'article L. 2171-1 du code, dont font partie ceux précités, voient d'ailleurs leur régime en matière d'accès des PME s'aligner sur celui des marchés de partenariat qui, comme on le sait, connaissent actuellement un succès beaucoup moins éclatant. L'article 131 de la loi Asap pérennise ainsi le dispositif prévu par l' précitée. Il prévoit que le titulaire de ces marchés globaux doit confier à des PME ou des artisans une quote-part minimale des prestations, fixée par décret (l'ordonnance prévoyait 10 %, comme pour les marchés de partenariat), cette dernière constituant par ailleurs un critère d'attribution. Là encore, les Sages ne trouvent rien à redire à ce quota de PME sous-traitantes auquel, il y a quelques années, le Conseil d'Etat avait pourtant paru réticent (, publié au Recueil).
Prise en compte de la spécificité de certains opérateurs
L'article 141 prévoit qu'un acheteur peut réserver un marché (ou un lot) à la fois aux entreprises adaptées et aux structures d'insertion par l'activité économique - et non plus alternativement aux unes ou aux autres.
Enfin, l'article 140 dispose que les marchés de service ayant pour objet la représentation légale d'un client par un avocat et les prestations de conseil juridique s'y attachant, autrement dit le contentieux et le précontentieux, appartiennent désormais à la catégorie des « autres marchés », exclus de la plupart des règles de la commande publique. La loi Asap consacre donc, enfin, la transposition fidèle des directives européennes sur le sujet. Au-delà, à l'instar de leur mise à l'écart pour les marchés exclus des procédures de publicité et mise en concurrence rappelée ci-avant, on voit mal comment les principes de transparence et de liberté d'accès pourraient s'appliquer dans le cadre d'une relation intuitu personae et confidentielle entre l'avocat et son client, caractérisée par le libre choix de son défenseur et rendant difficile la description objective de la qualité attendue des services à fournir, telle que la jurisprudence européenne l'a reconnue ().