Projet de loi Pacte : les mesures actées, les mesures en débat

Portée par Bercy, la future loi Pacte, déjà adoptée en première lecture par l’Assemblée, a été votée ce mardi 12 février par le Sénat. Sur plusieurs points, comme la privatisation de la société Aéroports de Paris, les parlementaires ne sont pas d’accord. Une commission mixte paritaire va tenter de trouver un compromis dans les jours à venir.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Le Sénat a voté le projet de loi Pacte non sans y apporter de nombreuses modifications

Le projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) poursuit son parcours du combattant. Si le Sénat a bien voté, le 12 février 2019, le texte porté par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, sa promulgation n’est pas pour tout de suite.

La raison : les sénateurs ont apporté beaucoup de changements par rapport au texte voté en fin d’année dernière par l’Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire va donc être réunie dans les jours à venir, et en cas d’échec de cette dernière, la navette parlementaire reprendra. Avant cela, « Le Moniteur » fait le point sur l’état du texte après le vote sénatorial.

Les dispositions (quasi-) communes aux deux chambres

- Marchés publics : la fin des ordres de services à zéro euro en bonne voie...

- … et l’affacturage inversé collaboratif encouragé

- La réorganisation du réseau des chambres des métiers et de l’artisanat confirmée

- Des mesures de simplifications administratives pour les entreprises

- Certificats d’économies d’énergie

- Un « bac à sable réglementaire » pour le déploiement de réseaux et d’infrastructures électriques intelligent

- Réforme du droit des sûretés

Les points de divergences

- Le Sénat vote contre la privatisation d’Aéroports de Paris

- La transposition de la directive relative à la facturation électronique fait débat

- La suppression de l’obligation du stage préalable à l’installation des artisans en suspens

- Les sénateurs veulent aller plus loin dans la simplification des seuils d’effectifs

Des dispositions (quasi-) communes aux deux chambres

► Marchés publics : la fin des ordres de services à zéro euro en bonne voie…

L’examen du projet de loi Pacte a été l’occasion de revenir sur une pratique contestée depuis longtemps par les fédérations professionnelles du BTP : celle du recours aux ordres de services à zéro euro, consistant à faire réaliser par le titulaire d’un marché public des prestations supplémentaires, non prévues au contrat initial sans contrepartie financière.

Pour mettre fin à cette pratique, les députés ont adopté un amendement introduisant un article 63 bis. Selon ce dernier, les prestations supplémentaires ou modificatives au marché public de travaux devront faire l'objet d'une « contrepartie permettant une juste rémunération du titulaire du contrat ». Les sénateurs ont confirmé cet amendement, en ajoutant une référence à l’article L. 2194 3 du futur Code de la commande publique qui entrera en vigueur le 1er avril 2019.

►… et l’affacturage inversé collaboratif encouragé

Un amendement adopté par les députés vise à encourager la pratique de l’affacturage inversé collaboratif dans les marchés publics. Ce dispositif permet, à l’initiative du client public, de faire payer de façon anticipée les factures des entreprises par un tiers (généralement un établissement bancaire), charge au client ensuite de rembourser le tiers. Objectifs : réduire les délais de paiement et sécuriser la trésorerie des entreprises, notamment celle des PME.

Ce n’est pas sur ce point que les parlementaires ont eu le plus de discussions. Et pour cause, ce mécanisme existe déjà, mais reste très peu utilisé notamment dans le secteur public. Le nouvel article 29 bis précise en outre que la mise en œuvre de l’affacturage inversé « ne fait pas obstacle aux contrôles que les comptables publics exercent conformément aux dispositions législatives et réglementaires relatives à la gestion budgétaire et comptable publique. »

De leur côté, les sénateurs ont confirmé cette disposition, en précisant toutefois que ce mécanisme s’adresse à tous les acheteurs publics mentionnés à l’article L. 1210 1 du Code de la commande publique (entités adjudicatrices comprises, donc, là où l’Assemblée ne visait que les pouvoirs adjudicateurs). Ils ont également défini des mécanismes juridiques « plus simples et opérationnels » que la convention tripartite (client – prestataire – tiers) prévue par les députés, par lesquels l'opération d'affacturage inversé pourra s’effectuer : cession de créances ou subrogation conventionnelle.

► La réorganisation du réseau des chambres des métiers et de l’artisanat confirmée

Il s’agit là d’un sujet particulièrement discuté par les parlementaires. Au cours de la séance publique, les députés ont adopté par amendement le principe de la régionalisation des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). Le dispositif retenu prévoit de supprimer à compter du 1er janvier 2021 les chambres régionales de métiers et de l’artisanat (CRMA), ainsi que les chambres départementales (CMAD) et interdépartementales (CMAI). Il n’y aurait ainsi plus que des chambres de métiers et de l’artisanat de région (CMAR) - actuellement au nombre de 8 - comportant des délégations (dépourvues de personnalité morale) dans chacun des départements de la région. Néanmoins, lors de la commission spéciale, les sénateurs ont décidé de supprimer cet article 13 bis A. Selon ces derniers, « le modèle de la CMAR [comporte] un risque d'éloignement des prises de décisions par rapport aux besoins des ressortissants dans les territoires, susceptible d'affaiblir les actions conduites dans les départements en faveur des artisans ».

Mais, dernier rebondissement, lors de la séance publique, plusieurs amendements ont rétabli cette réorganisation administrative au niveau régional, en précisant les moyens d’actions des chambres de niveau départemental en faveur de leur département. Il est notamment indiqué que « la chambre de métiers et de l’artisanat de région est constituée d’autant de chambres de niveau départemental que de départements dans la région. Les chambres de niveau départemental agissent [...] sur délégation de la chambre de métiers et de l’artisanat de région grâce à un budget d’initiative locale afin d’assurer une offre de services de proximité dans chacun des départements, adaptée aux besoins et particularités des territoires et des bassins économiques » (article 13 bis A – III).

Par ailleurs, un autre amendement adopté par les sénateurs prévoit les conditions transitoires de fonctionnement des chambres de métiers et de l’artisanat entre le 1er janvier 2021, date de la constitution du réseau uniquement en CMAR, et octobre 2021, date du renouvellement général des CMA.

► Des mesures de simplifications administratives pour les entreprises

Le 1er article du projet de loi prévoit la création d’un guichet unique pour l’accomplissement des formalités liées à la création et à la vie des entreprises. Actuellement, le modèle repose sur sept réseaux de centres de formalités des entreprises (CCI, CMA, Urssaf, service des impôts ...) totalisant environ 1 400 registres. Le dispositif envisagé a été validé par les deux chambres, il est prévu pour être effectif au plus tard le 1er janvier 2023.

Autre mesure de simplification : un registre dématérialisé des entreprises ayant pour objet de centraliser et de diffuser les informations les concernant va être créé. L’objectif de cette mesure est de simplifier les démarches des entreprises, réduire les coûts et améliorer l’accès aux informations relatives à la vie des affaires. Là encore, le dispositif a été voté par les deux assemblées.

► Certificats d’économies d’énergie

Introduit en commission par les députés, l’article 52 ter prévoit que les actions d’économies d’énergie réalisées dans les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises au système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (ETS), peuvent donner lieu à la délivrance de certificats d’économies d’énergie. Ce mécanisme, modifiant l’article L.221-7 du Code de l’énergie, a été confirmé par les sénateurs.

► Un « bac à sable réglementaire » pour le déploiement de réseaux et d’infrastructures électriques intelligent

L’Assemblée nationale, en séance publique, a adopté un amendement créant l’article 52 bis A, qui a par la suite été validé par le Sénat. Ce dernier habilite la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ou les services de l’Etat à accorder des dérogations aux conditions d’accès et à l’utilisation des réseaux de transport et de distribution d’électricité et de gaz, pour déployer à titre expérimental des technologies ou des services innovants en faveur de la transition énergétique et des réseaux et infrastructures intelligents.

► Réforme du droit des sûretés

L'article 16 du projet de loi Pacte autorise le gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de 24 mois à compter de la publication de la loi, les « mesures nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants », détaille le rapport du Sénat. Cette habilitation a été confirmée par les deux chambres.

Les points de divergences

► Le Sénat vote contre la privatisation d’Aéroports de Paris

Il s’agit certainement du point de désaccord entre parlementaires le plus important du projet de loi Pacte – et qui pourrait bien faire achopper la commission mixte paritaire : la privatisation de la société Aéroports de Paris. Si les députés ont voté le projet initial visant à exproprier ADP de ses biens immeubles et meubles (en vue de sa privatisation), les sénateurs ont supprimé l’article par amendement en séance publique.

► La transposition de la directive relative à la facturation électronique fait débat

Dans un autre registre, mais toujours en rapport avec les marchés publics, l’article 63 du projet de loi Pacte vise la transposition de la directive 2014/55/UE relative à la facturation électronique. Le projet déposé par le gouvernement proposait d’habiliter ce dernier à prendre par ordonnance les mesures législatives afin de transposer la directive. Mais, si ce principe a été validé par l’Assemblée nationale sans modifications, ce n’est pas le cas du Sénat. En effet, en commission spéciale, les sénateurs ont adopté un amendement visant à transposer la directive directement dans la loi. Les sénateurs estiment que plusieurs arbitrages (par exemple, la directive ouvre une option permettant aux États membres de repousser l'entrée en vigueur de la nouvelle norme européenne de facturation électronique pour les collectivités locales et leurs établissements locaux, au vu des coûts et délais engendrés), nécessitent « un débat parlementaire donnant voix aux élus locaux ».

Pour rappel, les dispositions de transposition prévoient notamment :  de soumettre la totalité des pouvoirs et entités adjudicateurs à l'obligation d'accepter les factures électroniques établies selon la norme européenne ; d'insérer une dérogation au bénéfice des marchés de défense et de sécurité ; et enfin de prévoir explicitement que les factures électroniques contiennent les éléments essentiels imposés par la directive et définis règlementairement, à compter d'une date d'entrée en vigueur différée (un décret en Conseil d’Etat est attendu).

► La suppression de l’obligation du stage préalable à l’installation des artisans en suspens

Dans le monde du BTP, une disposition de la loi Pacte a été particulièrement discutée. Il s’agit de celle inscrite à l’article 4 prévoyant la suppression de l’obligation de suivre un stage préalable à l’installation pour les artisans (SPI). Actuellement, le futur chef d’entreprise artisanale est tenu de suivre auprès du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat ce SPI d’une durée de 30 heures avant de pouvoir s’immatriculer au répertoire des métiers. L’Assemblée nationale a validé cette suppression du SPI, et adopté un amendement rédactionnel précisant l'obligation qui incombe aux CCI et aux CMA de continuer à proposer des stages d'initiation à la gestion aux professionnels qui en font la demande.

Cependant, revirement de situation avec la commission spéciale du Sénat qui, à son tour, a adopté un amendement prévoyant le maintien du SPI. Mais, comme l’indique le rapport du Sénat, « afin d'alléger certaines des contraintes générées par le dispositif actuel, cet amendement prévoit que le stage, qui prendrait le nom de « stage d'accompagnement à l'installation»  [...] ne serait plus nécessairement préalable à l'immatriculation et serait par ailleurs composé de deux parties distinctes :

- une première partie, d'une durée d'une journée, consacrée à l'initiation à la comptabilité générale et à la comptabilité analytique, ainsi qu'à une information sur l'environnement économique, juridique et social de l'entreprise artisanale et sa responsabilité sociale et environnementale. Son suivi devrait intervenir au plus tard dans le mois qui suit l'immatriculation, sauf cas de force majeure.

- une seconde partie, d'une durée totale de quatre jours (dont les chambres pourraient prévoir qu'elle soit fractionnable), serait effectuée dans les six mois après l'immatriculation. Elle assurerait un accompagnement sous forme de modules de formation individualisés. »

Par ailleurs, dans le dispositif prévu par les sénateurs, le système de dispenses resterait inchangé (par exemple, le futur chef d’entreprise n’a pas à suivre de stage s’il a bénéficié d’une formation à la gestion d’un niveau au moins égal à celui du stage), et le prix du SPI ne pourra être supérieur à un montant arrêté par délibération de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat.

► Les sénateurs veulent aller plus loin dans la simplification des seuils d’effectifs

Le projet de loi Pacte, dans son objectif de simplification, prévoit à l’article 6 la suppression de plusieurs seuils d’effectifs à partir desquels s’appliquent pour les entreprises de nouvelles obligations sociales et fiscales. Le projet initial, validé par l’Assemblée nationale, propose de retenir trois seuils : 11, 50 et 250, ainsi qu’une nouvelle méthode de calcul (le nouveau seuil ne sera pris en compte que s’il est dépassé pendant cinq années civiles consécutives).

Les sénateurs, en commission, ont ajouté un article 6 bis pour aller encore plus loin et relever dans le Code du travail, l’ensemble des seuils fixés à 50 salariés à 100 salariés. « Ce sont en tout 55 (une fois le présent texte entré en vigueur, 49 actuellement) obligations sociales et fiscales qui s’appliquent à ce niveau d'effectifs salariés », expliquent les sénateurs. L’entrée en vigueur des seuils est fixée au 1er janvier 2021.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !