Drôle de site pour un sacré programme ! Telle pourrait être, abruptement résumée, l’impression première qui se dégage au vu des contorsions réalisées par l’architecte Marc Barani pour parvenir à loger, sur un terrain somme toute exigu (28 000 m2), un programme dense, complexe et de haute technicité : ateliers de maintenance du tramway, halle de remisage des rames, station de lavage, parking relais (765 places), station terminus de la ligne, poste de commandement centralisé (PCC), ainsi qu’un équipement socioculturel, qui reste à construire.
Conception atypique
Mais, en matière d’architecture, tout a une explication. « Si le projet est atypique, c’est parce que l’histoire de sa conception l’a été, raconte l’architecte. A l’origine, tout procède d’une erreur de l’étude de faisabilité initiale à partir de laquelle nous devions travailler. Le premier terrain retenu pour l’opération s’est vite révélé trop petit pour un centre de maintenance. Et sans centre de maintenance, pas de tramway ! Comme toutes les études étaient déjà lancées, il a fallu trouver rapidement un autre site d’implantation, en collaboration étroite avec le maître d’ouvrage, et ajuster le programme à ses nouvelles potentialités .»
De prime abord, le nouveau site éligible au projet ne semble guère séduisant : il ne s’agit de rien de mieux qu’un délaissé urbain en limite nord de Nice, au pied des collines, entre bretelles d’autoroute et unités d’habitation, sur un terrain d’anciennes cressonnières gorgé d’eau occupé plus récemment par une déchetterie et une casse automobile. De plus, ce terrain aux caractéristiques géotechniques incertaines est grevé en son centre par une emprise EDF-RTE inamovible : des bâtiments d’activité et un transformateur qui alimente en électricité le quart de la ville .
Etant donné le contexte, l’architecte prend le parti de caler et d’enrouler son intervention contre et autour des infrastructures existantes. Il creuse la pente pour l’enfouir en partie dans le site (derrière 1 km de paroi moulée !) et reconstituer ensuite, grâce à des toitures-terrasses végétalisées vierges de toute émergence technique, le profil initial du terrain. Une disposition d’ensemble qui ménage des esplanades minérales accessibles au public et libère en son centre un vide où air et soleil peuvent pénétrer.
Tolérances millimétriques
Les espaces construits se trouvent ainsi modelés par les contraintes du site (autoroute, route d’accès à la colline) aussi bien que par les flux du projet : déplacement des piétons depuis les quartiers limitrophes, circulation des voitures en direction du parking, rayon de braquage des tramways.
La logique interne du fonctionnement s’organise ensuite presque naturellement : le parking relais trouve sa place en sortie d’autoroute, sur le toit du centre de maintenance, à l’abri d’un lattis de châtaignier. Le poste de commandement centralisé (PCC) s’installe sur place (rien n’y obligeait au départ), en cœur de site. Intégralement vitré, ce petit bâtiment s’ouvre sur les collines d’un côté, vers le centre-ville et son horizon marin de l’autre. Un petit centre socioculturel destiné à combler le déficit en équipements publics du quartier, actuellement « en cours de programmation », occupera bientôt une partie des toitures-terrasses où sa future emprise au sol est d’ores et déjà matérialisée.
Les ateliers de maintenance du tramway – inaccessibles au public – sont intégralement visibles depuis l’extérieur : « Je voulais montrer le travail caché des traminots, explique l’architecte. Pour les enfants, c’est un peu comme un train électrique grandeur nature. » Eclairés en lumière naturelle par cinq puits de jour, ces ateliers s’abritent sous une carapace de béton bordée par une paroi moulée de soutènement. « C’est la partie du projet qui nous aura demandé le plus de travail, poursuit Marc Barani, avec d’innombrables plans et des tolérances inférieures au millimètre pour les équipements techniques spécifiques (fosses, rails, banc d’alésage des bogies, etc.). Une précision inhabituelle dans l’univers du bâtiment. »
Complexité maîtrisée
Enfin, le choix des matériaux – en nombre réduit et tous impeccablement mis en œuvre – exprime la stratification du projet. Les parties excavées sont construites en béton, revêtu par endroits d’un parement de pierre massive. Des lames en bois habillent les plafonds et servent ponctuellement de brise-soleil. Le verre, transparent ou dépoli, laisse pénétrer la lumière en abondance dans tous les espaces.
Qu’en pense aujourd’hui la maîtrise d’ouvrage ? Elle ne boude pas sa satisfaction après une opération qui s’est révélée longue et ardue. « Il aura fallu beaucoup d’imagination à la maîtrise d’œuvre pour implanter ce programme sur pareil site », observe Nicolas Deschamps, directeur général adjoint en charge des infrastructures et des bâtiments à la communauté urbaine Nice-Côte d’Azur.
Et de conclure : « Le résultat est parfaitement inséré dans son contexte et, surtout, la complexité due aux innombrables contraintes s’efface derrière la beauté de l’architecture. Marc Barani est très exigeant sur la qualité de l’ouvrage, et cela transparaît. De notre côté, en tant que maître d’ouvrage, nous avons rempli notre rôle, y compris lorsque des difficultés ont surgi. C’est ainsi que nous n’avons pas retenu le type de fondations préconisé par l’entreprise et la maîtrise d’œuvre. Et, si le résultat est conforme à nos attentes, il faut bien avouer que cela a été au terme d’un chantier particulièrement éprouvant. »
Maîtrise d’ouvrage : communauté d’agglomération de Nice-Côte d’Azur (Canca) – Mission Tramway.
Maîtrise d’œuvre : Marc Barani, architecte. Cyril Chenebeau, chef de projet. Michel Pautrel, directeur de travaux. Alex Amarrurtu, Erwann Lefranc, Philippe Reach, Alejandra Jorre, Fabien Durbano et Julie Assus, architectes. François Navarro, paysagiste. Sudequip Ingénierie, BET. Semaly Ingénierie des Transports Publics (études) ; Coteba – Thales Engineering & Consulting (réalisation), BET transport. Ange Leccia et Emmanuel Saulnier (1 % artistique).
Principales entreprises : Eiffage TP, mandataire. Eiffage construction Azur, Spie Fondations, Appia Alpes-Maritimes.
Montant des travaux : 83 millions d’euros HT.
Surface : 65 000 m2 (16 000 m2 HON).
