Solidité, utilité, beauté. Le médaillon de bronze du prix Pritzker s'orne de la célèbre triade des vertus auxquelles, depuis Vitruve au temps de la Rome antique, l'architecture doit satisfaire. Et pour les jurés réunis par la fondation Hyatt, l'œuvre de David Chipperfield les incarne incontestablement. Son nom, il est vrai, circulait depuis longtemps dans les pronostics annuels du microcosme. Finalement, 2023 aura été le bon millésime pour le Britannique, né en 1953. Il sera le cinquième sujet de Sa Gracieuse Majesté à recevoir ce « Nobel » de l'architecture et ce, lors d'une cérémonie organisée à Athènes (Grèce), en mai.

Imprégné d'un sens aigu de l'Histoire, Sir David Chipperfield est reconnu pour la délicatesse de ses interventions sur le patrimoine. Il est notamment l'un des auteurs de la métamorphose de l'ancienne cité administrative de Morland (Paris IVe ), livrée en 2022. Associé à ses confrères français de Calq, et pour le promoteur Emerige, il a glissé un nouveau Palais-Royal sous l'austère citadelle bureaucratique : un déambulatoire et sa colonnade, abrité par de fines voûtes de béton, ouvert à tous. Architecte « radical dans son sens de la retenue » selon le jury du Pritzker, il fait preuve « de révérence pour l'Histoire et la culture » dans son travail sur l'existant où finesse, précision et pertinence font merveille, comme au Neues Museum de Berlin (Allemagne), livré en 2009. Pour cet édifice du XIXe siècle, endommagé lors de la Seconde Guerre mondiale, l'architecte « a admirablement associé passé et présent pour créer un bâtiment inoubliable composé de multiples strates » comme l'écrivait en 2011 « Le Moniteur », quand l'opération a reçu le prix d'architecture européen Mies van der Rohe. Ce « gardien de la mémoire », ainsi qu'il se décrit, voit son attitude saluée par le jury du Pritzker comme « subtile et puissante, discrète mais élégante ».

Noblesse. Cette noblesse transparaît dans les nombreux équipements, logements, plans urbains et autres réalisations que son agence, fondée en 1985, a essaimés à travers l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord. Des situations où, le président du jury, le chilien Alejandro Aravena, décèle l'aptitude de l'architecte à apporter une réponse adéquate et spécifique, aussi bien quand le contexte « requiert un geste fort et monumental ou, au contraire, commande de s'effacer ».

David Chipperfield se montre aussi attaché à l'utilité publique de ses bâtiments, y compris ceux sous maîtrise d'ouvrage privée. Comme à Morland ou encore à Valence (Espagne), dans l'édifice construit en 2006 pour la Coupe de l'America, avec ses vastes plateaux superposés immaculés dont l'une des terrasses est dédiée au public. En décernant le Pritzker à David Chipperfield, le jury a distingué la maestria avec laquelle il inscrit son travail dans la permanence des lieux et le dialogue avec le temps et l'espace, dans ces « hautes et fines enclaves du passé » léguées par l'Histoire et si chères à Marcel Proust.
