OUVRIER, ETAM : UN MARCHE DESIGNE
Depuis 1968 pour les ouvriers, 1990 pour les employés et les agents de maîtrise (Etam), la couverture prévoyance (décès, invalidité, longue maladie) fait l'objet d'une clause de désignation. Les entreprises du BTP sont obligées d'inscrire leurs ouvriers à la Caisse nationale des ouvriers du BTP (la CNPO) et leurs Etam à la Caisse du BTP (la CBTP). Fin 1997, la CNPO comptait 878 766 ouvriers adhérents et la CBTP 206 310 Etam, c'est-à-dire la totalité ou presque de la population active du secteur pour ces deux catégories. « Nous sommes prisonniers du régime professionnel », constate Erik Leleu, DRH de Dumez construction. En réalité, les clauses de désignation ne valent que pour les garanties minimales définies par les partenaires sociaux dans les accords du 31 juillet 1968 pour les ouvriers, et du 13 décembre 1990 pour les Etam. De ce point de vue, Pro-BTP doit se porter garant de la bonne application des obligations conventionnelles. L'entreprise est libre d'aller au-delà du minimum conventionnel et d'accorder à ses salariés des garanties supérieures, notamment pour les ouvriers dont le niveau de protection est moindre par rapport aux autres catégories, en matière de décès notamment. Dans ce cas, l'entreprise retrouve toute latitude sur le choix du prestataire. Selon Arnaud Dhomme, responsable des grands comptes à Pro BTP, un tiers des entreprises souscrivent des options pour leurs ouvriers et leurs Etam. Pour d'évidentes raisons pratiques - conserver un unique interlocuteur - les entreprises du BTP restent en majorité auprès de leur caisse professionnelle pour les garanties supplémentaires. « Il est important d'avoir le même régime chez le même assureur, explique un DRH, c'est plus simple, moins cher. » Rares sont les entreprises qui choisissent un autre prestataire pour gérer ces options. Bouygues l'a fait pour ses ouvriers, ayant souscrit auprès de la SMBTP une assurance décès qui vient en complément de la couverture conventionnelle. « Pour les grandes entreprises, la clause de désignation est une entrave lourde à leur capacité d'ingénierie en matière d'assurance de personnes», estime Jean-Gabriel Pichon, directeur juridique et social du groupe qui n'est resté chez Pro BTP que pour le régime de base des ouvriers. Le 10 décembre, les partenaires sociaux du secteur devaient réexaminer, sur la base du rapport remis par Claude Dubois, les deux clauses de désignation. En cas de renouvellement, l'obligation d'affiliation aux deux caisses perdurerait jusqu'en 2003.
CADRES : LIBRE CHOIX DU PRESTATAIRE
Pour les cadres, la convention collective impose une couverture minimale, mais elle laisse les entreprises totalement libres du choix du prestataire. « Aujourd'hui, constate un courtier, Pro BTP jouit d'une présence forte sur le marché, et les entreprises du secteur n'ont pas encore intégré cette culture du choix. » Fin 1997, la CNPBTPIC, caisse cadre de Pro BTP, revendique l'adhésion de 106 515 cadres, soit 65 % des cadres du secteur.
De leur côté, les assureurs, principaux concurrents des institutions de prévoyance sur le créneau de la prévoyance lourde, ne démarchent les entreprises qu'à partir du moment où les entreprises emploient un minimum de cadres. « Lorsque les effectifs cadres sont peu nombreux, explique Yannick Renault, fondé de pouvoir chez Gras Savoye, nous entrons dans des contrats standards. Or ce qui nous intéresse, c'est de bâtir des contrats sur mesure. » Une exigence forte de la part des entreprises. « Nous avons négocié avec Pro BTP un contrat spécifique comportant des garanties adaptées à nos contraintes », explique Jean-Claude Estève, chargé de mission à la DRH du groupe SGE. Certaines de nos filiales, compte tenu de leur histoire, sont restées chez d'autres prestataires. Nous les laissons libres. La convention collective constitue le tronc commun des garanties et nous veillons à ce que les garanties supplémentaires souscrites ici ou là ne constituent pas un obstacle à la mobilité à l'intérieur du groupe. » Le même souci d'homogénéité à l'intérieur du groupe prévaut chez Spie. « Nous sommes pour toutes les catégories aux caisses professionnelles, précise Josiane Connan, directrice des relations sociales du groupe. Pour les cadres, nous avons un contrat spécifique avec des garanties aménagées. » Même constat chez Jean-Lefebvre. « Malgré la liberté de choix dont nous disposons, nous sommes restés pour les cadres auprès de ProBTP afin d'avoir un prestataire unique et de négocier au mieux un contrat sur mesure », explique Michel Gili, DRH d'EJL. « Ce qui nous importe, renchérit Jean-Gabriel Pichon, directeur juridique du groupe Bouygues (qui confie la prévoyance de ses cadres et Etam à Axa, à l'exception du groupe Colas qui est resté chez Pro-BTP), c'est d'avoir une gestion des risques totalement à notre main, de connaître et de maîtriser au franc près ce que les contrats nous coûtent. Cela correspond à une stratégie sociale. »
UN LEVIER DE NEGOCIATION ?
De plus de plus, les entreprises observent attentivement l'évolution de leurs régimes. La prévoyance constitue un coût que l'entreprise négocie à présent au plus serré. « Il faut trouver une voie médiane, résume Jean-Claude Estève, entre le "tout-paternaliste" et "le tout-économique". » Négocié au meilleur prix certes, mais sans rogner sur le niveau de protection des salariés, partie intégrante de leur statut social. Ces dernières années, bon nombre de grandes entreprises ont dû se pencher sur leurs régimes de prévoyance à l'occasion de restructurations. « En 1995, explique Erik Leleu, nous avons réfléchi a l'harmonisation de notre système de couverture sociale au sein de Dumez qui comptait dix régimes différents de prévoyance et pas moins de soixante-dix contrats en matière de frais médicaux. A cette occasion, nous avons procédé à un audit de notre système. A partir d'un cahier des charges précis, nous avons travaillé avec un courtier qui a lancé un appel d'offres pour la prévoyance de nos cadres. L'UAP a été retenue. Nous donnons le choix entre deux régimes qui offrent aux salariés soit la même garantie qu'auparavant pour moins cher, soit une meilleure garantie pour le même prix. Pour l'entreprise, cela représente une économie d'un million de francs. » L'Entreprise industrielle (EI) a procédé à la même analyse à la suite de la filialisation de ses activités. « Depuis 1952, explique Hubert Katsung, responsable des assurances chez EI, nous avions notre propre caisse de prévoyance, la CPEI (caisse de prévoyance de EI). Avec la filialisation de notre activité, nous avons lancé en 1997 un appel d'offres pour gérer la prévoyance des cadres de nos soixante filiales. La CPEI n'était plus en mesure de gérer soixante contrats différents. De plus, la réglementation impose aujourd'hui des obligations de provisionnement qui dépassait les capacités de notre caisse. »
Dans tous les cas, les entreprises souhaitent pouvoir renégocier annuellement les termes de leur contrat. « A partir du moment où mon compte de résultat est excédentaire, je discute avec Pro BTP du réajustement de mon contrat », explique Jean-Claude Archi, DRH de Razel qui est resté chez Pro BTP pour la prévoyance lourde de tous ses salariés. « Au-delà de l'aspect financier qui n'est pas négligeable, considère Josiane Connan, la prévoyance fait partie intégrante de la politique de ressources humaines de l'entreprise. » Jean-Gabriel Pichon en est convaincu : « C'est de la contrepartie du travail. La prévoyance fait partie de la politique sociale. » Les assureurs l'abordent même comme une composante de la rémunération globale du salarié. « Cela peut devenir un élément de discussion dans le cadre des trente-cinq heures », plaide un assureur. « Avec la prévoyance, reconnaît Erik Leleu, on aborde, non pas le salaire, mais le revenu du salarié. » Mais une telle évolution relève encore de l'utopie dans le BTP. « En France, explique Michel Gili, DRH de Jean-Lefebvre, l'entreprise s'engage sur la rémunération brute de ses salariés, jamais sur le net. Qui plus est, la prévoyance renvoie à un risque mortifère. Ce n'est pas un produit d'appel. » Cette analyse se révèle juste. Les entreprises communiquent peu sur la prévoyance, thème rarement abordé lors de l'embauche d'un collaborateur. De leur côté, les salariés s'y intéressent peu. « Il est rare qu'un cadre nous interroge sur le régime de prévoyance lors de son entretien d'embauche, confie Michel Gili. Les salariés nous interrogent uniquement lorsqu'ils ont un problème. »
TABLEAU : DECES
Face au décès d'un ouvrier, sa veuve ou ses ayants droit perçoivent :
Un capital décès de :
17 812,50 francs s'il est célibataire, veuf ou divorcé
83 125 francs s'il est marié
majoration de 23 750 francs pour 1 ou 2 enfants
majoration de 47 500 francs pour 3 enfants et plus
Une rente pour le conjoint survivant égale à : (1)
12 % du dernier salaire annuel (avec un salaire minimum de 95 000 francs)
Une rente d'éducation pour les enfants de : (1)
10 % du salaire annuel par enfant à charge
Face au décès d'un Etam, sa veuve ou ses ayants droit perçoivent :
Un capital décès de :
Un an de salaire annuel brut s'il est célibataire, veuf ou divorcé,
Un an et demi de salaire s'il est marié
majoration de 30 % par enfant à charge
majoration de 100 % du salaire si le décès est dû à un accident
Une rente pour le conjoint invalide égale à :
12 % du dernier salaire annuel
Une rente d'éducation pour les enfants de : (1)
15 % du salaire annuel par enfant à charge
Face au décès d'un cadre, sa veuve ou ses ayants droit perçoivent :
Un capital décès de :
2 ans de salaire annuel brut s'il est célibataire, veuf ou divorcé,
2 ans et demi de salaire s'il est marié
majoration de 40 % pour 1 enfant
majoration de 80 % pour 2 enfants
majoration de 140 % pour 3 enfants
majoration de 100 % si le décès est dû à un accident
Une rente de décès pour les enfants de :
7 % du salaire annuel dans la limite de 169 080 francs et 9 % au-delà
(1) Elle n'est pas due en cas de décès dû à un accident du travail.
Les ouvriers du BTP sont moins bien couverts que les cadres et les Etam contre le décès ; bon nombre d'entreprises souscrivent des garanties complémentaires pour leurs ouvriers.
TABLEAU : MALADIE
En cas de maladie, un ouvrier perçoit
0 % pendant 3 jours
100 % de son salaire du 4e au 48e jour
75 % du 49e au 90e jour à partir du 91e jour, il reçoit, en complément de la sécurité sociale, des indemnités journalières égales à son salaire annuel brut/2000 (sans pouvoir être inférieures à 23,75 francs par jour).
à partir du 1091e jour, l'ouvrier déclaré invalide qui n'est plus en mesure de travailler peut percevoir une rente d'invalidité égale à 10 % de son salaire annuel ( + 5 % du salaire annuel par enfant à charge).
Si l'ouvrier est victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, il a droit à :
Si l'arrêt de travail dure moins de 30 jours
90 % de son salaire annuel du 1er au 15e jour
100 % du 16e au 30e jour
Si l'arrêt de travail dure plus de 30 jours
100 % du 1er au 90e jour
à partir du 91e jour, il reçoit, en complément de la Sécurité sociale, des indemnités journalières égales à son salaire annuel brut/4000 (avec un minimum de 23,75 francs par jour)
à partir du 1091e jour, l'ouvrier déclaré invalide est pris en charge par la Sécurité sociale.
En cas de maladie (1), un Etam perçoit
100 % de son salaire durant 90 jours,
75 % du salaire journalier à partir du 91e jour
à partir du 1091e jour, le salarié déclaré invalide peut percevoir une rente d'invalidité égale au minimum à 65 % de son salaire de base s'il n'est plus en mesure de travailler ( + 5 % par enfant à charge)
En cas de maladie (1), un cadre perçoit
100 % de son salaire durant 90 jours
65 % du salaire à partir du 91e jour
à partir du 1091e jour, le salarié déclaré invalide peut percevoir une rente d'invalidité égale à 65 % de son salaire de base s'il n'est plus en mesure de travailler ( + 10 % par enfant à charge)
(1) D'origine non professionnelle.
Durant les 90 premiers jours de la maladie, l'employeur complète les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale ; à partir du 1er jour, l'entreprise souscrit auprès d'un prestataire une garantie qui protège le salarié contre la longue maladie, puis l'invalidité et lui assure le versement d'indemnités journalières.
Les tableaux font référence aux obligations minimales définies par les conventions collectives du BTP ; chaque entreprise peut souscrire des contrats accordant des garanties supérieures.