L'article L 1411-1 du Code général des collectivités territoriales dispose dans son deuxième alinéa :
« La collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. »
Cet article pose deux types d'exigences propres à la sélection des candidatures, a priori familières (on les retrouve dans le Code des marchés publics), mais aucune précision n'est apportée par les textes sur la nature ou le niveau de ces garanties.
Des textes imprécis
Les seules exigences prévues portent sur les attestations fiscales et sociales et sur l'absence de condamnation pénale en matière de droit du travail (décret du 31 mai 1997). Rien n'est dit sur les garanties, qu'il s'agisse des textes d'origine nationale (aucune énumération des garanties envisageables dans la loi Sapin et le décret du 24 mars 1993) ou des textes d'origine communautaire - la directive Travaux est muette sur le cas des concessions de travaux, alors qu'elle est relativement précise en matière de marchés publics (articles 26 et 27).
Certes, l'article 3, relatif aux concessions, renvoie à l'article 11 sur la publicité et notamment à son § 6, alinéa 1, qui dispose que : « les avis sont établis conformément aux modèles qui figurent aux annexes ». Mais le modèle d'avis de concession se contente d'indiquer la nécessité d'une rubrique 4 « Conditions personnelles, techniques et financières à remplir par les candidats » et d'une rubrique 5 « Critères qui seront utilisés lors de l'attribution du contrat », sans autre précision.
Par ailleurs, alors que ce même article 11 § 6 précise, dans son alinéa 2, que « les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent exiger des conditions autres que celles prévues aux articles 26 (capacité financière et économique) et 27 (capacités techniques) », cet alinéa renvoie uniquement aux modèles d'avis de marché, qu'il énumère un par un. Aucun renvoi n'est fait à l'avis de concession qui, par conséquent, n'a pas à respecter les articles 26 et 27.
Il en découle une grande liberté de détermination des garanties financières et professionnelles par le délégant. Dans la pratique, il devrait s'agir des garanties habituelles, c'est-à-dire :
- les garanties financières (capital, minimum de fonds propres, chiffres d'affaires sur un certain nombre d'années, cautions et autres garanties externes),
- les garanties professionnelles ou les capacités techniques (titres professionnels, personnel, matériel ) (1).
Il faut attirer l'attention sur l'importance de l'énumération de ces garanties, compte tenu de l'application de la règle « Tu patere » (notamment TA Paris 2 juillet 1996, Alain Safati - Stade de France) et de la jurisprudence Revillon (CE 10 février 1997).
Application des principes généraux des marchés publics
Il faut sans doute appliquer ici les principes généraux retenus dans le cadre des marchés publics (en ce sens, art. L22, code TA).
Nature des garanties . Il doit exister un lien étroit entre ces garanties et l'objet du contrat (2).
La vérification des garanties pose un problème délicat lorsque la société qui gérera le service est en formation : faut-il exiger du candidat qu'il apporte la preuve que la société en question offrira ces garanties ? Sous quelle forme ?
Dans un jugement du 29 octobre 1996 relatif à un contrat de délégation (Groupement des entrepreneurs de transport et préfet de la région Martinique, no 95/02921 et 96/03091), le tribunal administratif de Fort-de-France constate qu'à l'issue de la procédure de publicité (avis du 4 avril 1995) pour l'attribution d'une concession d'exploitation de transport urbain de voyageurs, trois offres avaient été retenues, dont celle de M. Alger, entrepreneur de transport. Celui-ci n'a fait connaître que dans la suite de la procédure son projet de constitution d'une société dont il serait actionnaire, société à laquelle a finalement été attribué le contrat (délibération du 21 novembre 1995). Le tribunal estime que « cette société qui n'a été constituée que le 20 novembre 1995 et qui n'a été inscrite au registre du commerce que le 18 décembre 1995, ne peut être regardée comme ayant été admise à présenter une offre dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 38 - et qu'elle ne pouvait donc être déclarée attributaire de la convention ».
Aux termes de ce jugement, il ressort que les statuts doivent déjà avoir été signés, de telle sorte que l'attributaire ait pu être candidat (de même que dans un marché public, tous les membres du GME doivent avoir été candidats). Il apparaît aussi que si la société était en cours de formation et que le contrat a été signé par la personne physique en son nom personnel, l'administration peut invoquer l'erreur sur la personne : (CE 120 avr. 1952 Doumergue, Lebon p.813).
Il s'agit d'un jugement sévère. On peut se demander si la seule annonce, dès le stade de la sélection, de la future société et la présentation du projet de statuts ne suffiraient pas.
Niveau des garanties . Alors même que les exigences retenues par la collectivité publique seraient bien en rapport avec l'objet du contrat, elles ne peuvent être trop restrictives, car ce serait limiter la concurrence. C'est l'application du principe de proportionnalité (3).
Ce principe a fait l'objet d'applications dans le cadre de délégations. Par exemple, sur une délégation du service public d'assainissement (TA Montpellier, 8 janvier 1998, Sté Michel Ruas c. SIVOM région Aigues-Morte, no 973982), l'avis d'appel à la concurrence demandait la production de références pour des prestations similaires, en matière notamment de gestion d'une station d'épuration d'une capacité de 100 000 équivalent/habitants, le juge (procédure L 22) dispose que les références exigées des entreprises candidates par la collectivité publique délégante doivent être justifiées par les nécessités propres du service en cause. En l'espèce, le SIVOM n'établit pas que la gestion du service délégué en cause supposait l'utilisation de moyens ou de techniques particuliers en raison de l'importance de la population desservie : ce jugement souligne donc la nécessité de ne pas fermer l'accès à la délégation par des exigences trop pointues.
Aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public
Trois questions peuvent se poser.
Cette aptitude constitue-t-elle une exigence autonome des garanties professionnelles et financières à distinguer dans les documents de consultation ?
Trois jugements rendus dans le cadre de la loi Sapin semblent distinguer garanties et aptitudes (voir encadré), mais ils renvoient uniquement à des moyens matériels pour assurer le service.
D'où la seconde interrogation.
L'exigence d'aptitude renvoie-t-elle uniquement aux moyens matériels (et financiers) pour assurer le service, ou peut-on imaginer d'autres types d'exigences ?
Il semble que l'on puisse répondre par l'affirmative.
Par exemple, le concédant pourrait-il prendre en compte les risques de conflits d'intérêts susceptibles d'affecter la continuité du service public ou l'égalité des usagers ? (4).
Cette exigence doit-elle être réservée à la seule sélection, ou peut-on la retrouver dans les critères de jugement des offres ?
Dans le droit des marchés publics, il est en principe impossible d'en faire un critère d'attribution, mais c'est en fait inévitable lorsque l'un des critères d'attribution est la valeur technique de l'offre. Ce devrait être le cas ici a fortiori. Le lien entre aptitude et offre pourrait conduire le juge à opérer un contrôle sur les offres afin de remonter à la vérification de l'aptitude et, d'une certaine façon, d'opérer ainsi par lui-même un contrôle du choix.
La portée du contrôle dépend de la décision du pouvoir adjudicateur de préciser ou non les critères de jugement des offres.
En principe, ce contrôle est limité au détournement de pouvoir, à l'erreur de droit et à la matérialité des faits mais ne couvre pas l'erreur manifeste d'appréciation. En revanche, celle-ci peut être sanctionnée dans le cadre du contrôle des candidatures, les critères ayant été annoncés (en ce sens TA de Nantes, 11/04/1993, Compagnie des transports de l'Atlantique), et sans doute également dans le cadre des concessions relevant de la Directive travaux, puisqu'elle exige que l'avis de concession précise les critères d'attribution.
L'ESSENTIEL
»Aucune précision n'est apportée par les textes sur la nature ou le niveau des garanties professionnelles et financières des candidats à la délégation de service public.
»Le délégant conserve donc une grande liberté de détermination de ces garanties.
»Cependant, il faut sans doute appliquer, en la matière, les principes généraux retenus dans le cadre des marchés publics.
(1) « L'inscription des entreprises qui exercent une activité de transport public de personnes sur un registre ad hoc, outre qu'elle permet de s'assurer de leur capacité professionnelle, élément de leur garantie professionnelle mentionnée à l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993, est une condition impérative d'exercice de leurs activités » (en l'espèce, absence de disparité de traitement dans l'exigence de produire une copie certifiée conforme de cette inscription). (TA Grenoble, 5 décembre 1995, Remillat Lebon P.897). (2) A contrario, par exemple, l'obligation de reprendre le personnel de l'ancien concessionnaire, car ce ne peut être un critère de choix : il s'agirait d'une clause « sociale », du type de la clause du « mieux disant social » en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle, que le Conseil d'Etat interdit de considérer comme un critère au sens du Code, et qui ne devrait pas l'être non plus en matière de délégation de service public (Cah. jur. Gaz et Electr, déc. 1996, concl. Frattaci, p.427). (3) Par analogie à la définition des spécifications techniques dans le cadre d'un marché public (CE 3 nov. 1995, district de l'agglomération nancéienne, concl. Chantepy, RFDA 1995, p. 1077) : « Si de telles spécifications ont pour effet de réduire la variété des produits qui y répondent et par suite de limiter la concurrence entre les fournisseurs possibles, elles doivent être justifiées par les nécessités propres au service public d'alimentation en eau potable ». (4) En ce sens, par analogie, CE 31 juillet 1996, Sté des téléphériques du Massif du Mont-Blanc (AJDA 1996-788) : compte-tenu de la cession de 74 % des actions de la société à une SEM contrôlée par une commune voisine, « la Cour administrative d'appel de Lyon a pu légalement juger qu'une telle modification de la composition du capital de la société concessionnaire autorisait le concédant, à cause des risques de conflits d'intérêts qu'elle entraînait, à regarder son cocontractant comme ne présentant pas les garanties au vu desquelles la concession lui avait initialement été attribuée et, pour ce motif d'intérêt général, à prononcer la résiliation de cette concession ? ». Arrêt CA Lyon : « par suite de mouvements affectant la répartition du capital social, le concessionnaire ne présente plus les garanties techniques, financières ou de tout autre ordre au vu desquelles la concession lui a été initialement attribuée ».