« Plus d’environnement et moins de bureaucratie », plaide Frédéric Melki, président de Biotope

Entre laxisme et excès de zèle, l’administration environnementale française navigue à vue, d’une région à l’autre, selon Frédéric Melki, président de Biotope. La crise sanitaire a renforcé ce travers, estime le fondateur de l’entreprise qui revendique le leadership européen de l’ingénierie écologique avec 250 salariés. D’où son appel à l’harmonisation des pratiques des directions régionales de l’aménagement, du logement et de la nature.

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Frédéric Melki
Frédéric Melki préside Biotope, qui revendique le leadership européen de l'ingénierie écologique.

Quel impact la crise sanitaire a-t-elle provoqué sur votre activité ?

Alors que les inventaires écologiques se réalisent à plus de 90 % pendant le printemps et jusqu’au début de l’été, nous avons eu très peur de devoir tout arrêter, jusqu’au 10 avril. L'administration a finalement reconnu le caractère indispensable de notre activité qui conditionne celle de secteurs vitaux, comme l’énergie ou la construction. L’impact s’est alors focalisé sur des questions d’organisations qui coûtent du temps, de l’argent et parfois des dommages environnementaux - je pense à l’obligation de ne pas accueillir plus d'une personne par véhicule. Avec un carnet de commandes plein, nous avons dû faire face à un surcroît de travail aggravé par la paralysie de Pôle emploi, qui a annulé nos annonces de recrutement en raison de la crise !

Pourquoi cette question des inventaires revêt-elle une telle importance ?

Leur production représente un peu moins de la moitié de notre activité, mais elle en conditionne plus de 80 %, car l’arrêt des inventaires implique l’arrêt de tout le processus des autorisations environnementales. Une journée d’inventaire génère trois jours supplémentaires de chiffre d’affaires, par exemple pour la production de bibliographies, de cartographies ou la rédaction de documents.

Les conditions de réalisation ont-elles impacté la qualité de vos études ?

Il y a eu des raccourcis, des décalages, mais dans quasiment 100 % des cas, nous avons continué à produire des études de qualité. Encore faut-il admettre une marge d’adaptation liée au contexte. Or, certaines administrations estiment que cinq jours d’inventaire de chauve-souris en 2020 ne peuvent satisfaire un cahier des charges qui en prévoit six. Dans ce cas, il faudra impérativement ajouter un sixième jour en 2021, et donc retarder d’un an la livraison de l’étude et le processus d’autorisation. D’une région à l’autre, de grandes différences président à l’application des règles.

Le Covid-19 a-t-il aggravé cette situation ?

Il a rajouté une couche, dans un univers caractérisé par des règles très strictes, qui, appliquées à la lettre, interdisent tout. Pour contrebalancer cette tendance, le décret du 8 avril a créé un autre risque : des autorisations au rabais pourraient découler de l’autorisation de déroger aux normes, y compris environnementales. A ces deux risques, nous opposons deux recommandations : d’abord, soyons souples, dans la lecture des études réalisées dans des conditions acceptables pendant la crise ; ensuite, n’autorisons pas n’importe quoi sans études. Là où les préfets succomberaient à cette deuxième tentation, la France s’exposerait à l’incompatibilité de ses pratiques avec ses engagements européens et internationaux. Biotope a accumulé des indices concrets d’un Etat schizophrène, même si nous nous réjouissons du sérieux de la plupart des agents et porteurs de projets.

Au-delà de ces risques à court terme, espérez-vous des effets positifs de cette crise ?

Oui, car elle démontre l’importance de la biodiversité : longtemps vus comme un sujet mineur pour les amoureux des petits oiseaux, les graves effets de la dégradation de la nature sur l’homme sont devenus une évidence. Une volonté se dégage : ne pas arrêter de s’intéresser à l’environnement. Le green deal très ambitieux de l’Union européenne pousse dans ce sens : pour la première fois, la biodiversité vient à égalité avec le climat, parmi les défis identifiés pour l’avenir. La fragilisation des espèces met en péril la résilience de la nature, face aux plantes envahissantes, aux ravageurs et aux épidémies. Mais malgré cette prise de conscience, la crise économique impacte l’ensemble des activités, dont la nôtre. Voilà pourquoi nous préconisons d’aller à la fois vers plus d’environnement et vers moins de bureaucratie.

Le premier agrément apporté le 24 avril à un site naturel de compensation ouvre-t-il une piste prometteuse, dans cette direction ?

Oui. Cet agrément résulte d’une expérimentation engagée depuis 15 ans. La compensation par l’offre constitue un très bon outil pour appréhender les restaurations environnementales à l’échelle d’un territoire, conformément à une orientation forte du Green Deal européen. Biotope monte un projet dans ce sens en Guyane.

Biotope apportera-t-il sa contribution à l’élaboration de la Stratégie nationale pour la biodiversité en gestation pour la période 2020-2030 ?

Nous sommes titulaires d’un marché de conseil au gouvernement pour la mise en forme de cette stratégie, mais je ne peux vous en dire plus pour l’instant. Biotope participera au congrès de l’union internationale pour la protection de la nature, en janvier prochain à Marseille, avec plusieurs interventions sur les actions mondiales à mettre en oeuvre.

Espérez-vous contribuer au verdissement des investissements du bloc local, après le second tour des élections municipales ?

D'abord, réjouissons-nous d’en finir avec ce cycle électoral. Mais il faut s’interroger sur les moyens de traduire en actes la volonté d’accorder plus de place à l’environnement ou aux énergies renouvelables. Après 2009, le plan de relance a déclenché un surcroît de commandes qui s’est asséché deux ans plus tard, entraînant, pour la première fois de notre existence, un fléchissement d’activités, de 2012 à 2015. Il faut espérer que cette fois-ci, chacun ait conscience que la sortie de crise dépend de notre relation à la nature, et que les solutions existent.

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