Vous avez fourni au gouvernement les objectifs de réduction des émissions de CO2 de vos cimenteries de Lumbres (Pas-de-Calais), Héming (Moselle) et Rochefort-sur-Nenon (Jura) sur la base de deux scénarios : un « central » et un « ambitieux ». Tous deux affichent une réduction de 61% des émissions d’ici à 2030. Tout d’abord, par rapport à quelle année de référence vous basez-vous ?
La réduction de nos émissions de CO2 est calculée à partir de nos émissions en 2019. Et nous avons fixé deux objectifs, l’un en 2030 et l’autre en 2050 en cohérence avec la stratégie nationale bas-carbone de la France.
Quel site fera l’objet des plus gros investissements ?
Le site sur lequel l’investissement le plus important est prévu est le site de Lumbres (voir encadré) mais de manière générale nous mettons en place des leviers pour la décarbonation sur l’ensemble de nos sites. Nous essayons de trouver des matériaux locaux et de développer des solutions locales. Transporter des matériaux sur 3000 km, ça peut se justifier, mais dans une démarche de sobriété et d’économies de CO2, il est plus intéressant de trouver des ressources locales et d’adapter la technologie de chaque usine à ces matériaux. Nous essayons par exemple de récupérer des cendres volantes sur d’anciens sites de dépôt. Si vous êtes à proximité d’un tel site, ça fait sens de les récupérer, moins si vous êtes à 2000 km. C’est pareil pour les argiles calcinées, il y a des zones plus riches en argiles réactives que d’autres.
Toutes nos entités travaillent sur leur roadmap avec des succès intéressants. Des essais sont menés et des projets sont appelés à se développer sur tous les sites. Parce que chacun d’entre eux doit parvenir à fournir au marché des produits qui seront validés par les normes de la construction.
K6, l'ambitieux projet pour Lumbres
Plus ancienne cimenterie de l’Hexagone, l’usine d’Eqiom à Lumbres (Pas-de-Calais) est lancée dans la mise en oeuvre de « K6 », un programme destiné à en faire la toute première cimenterie neutre en carbone d’Europe avec la capture de 8 Mt de CO2 sur les dix premières années d’exploitation dès 2028, avant d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Une première phase du projet prévoit la construction d’un nouveau four de cuisson du clinker, doté d’une plus grande capacité de production et voué à remplacer les deux fours actuels. Sa mise en service, programmée en 2026, permettra à la cimenterie de réduire de 20% ses émissions de CO2 par tonne de clinker.
Ou encore d’augmenter significativement la part de combustibles valorisés,
soit 250 000 t contre 140 000 aujourd’hui.
En parallèle, Eqiom utilisera davantage le calcaire des 80 ha de ses carrières voisines afin d’augmenter sa production de clinker, passant de 600 000 à 1 Mt, avec l'objectif de ne plus importer de clinker à terme. Cette première phase représente un investissement de 200 M€. Pour lequel le cimentier a sollicité le soutien de l’Etat à travers l’Ademe.
La seconde phase de « K6 » s’appuie sur la mise en œuvre, à horizon six ans, d’une solution cryogénique de captation de la quasi-totalité du dioxyde de carbone libéré lors de l’activité de la cimenterie. Baptisée Cryocap Oxy et développée par Air Liquide, elle consiste à liquéfier le CO2 capté en sortie de four. Ce CO2 liquéfié sera ensuite acheminé vers le futur « Hub CO2 » du port de Dunkerque puis transporté par bateau jusqu’au large de la Norvège où il sera stocké dans des formations géologiques profondes.
Eqiom et Air Liquide ont d’ores et déjà reçu un financement de 153 M€ du fonds d’innovation de la Commission européenne pour leur projet commun.
Quels seront vos leviers d’action ?
Parmi les leviers il y a tout d’abord l’efficacité énergétique. Nous sommes déjà certifiés ISO 50001 et nous avons déjà une politique de surveillance et d’amélioration continue. Nous allons investir sur de nouveaux procédés. Il ne s’agit pas de remplacements de lignes de production mais d’améliorations ponctuelles sur certains aspects : supprimer par exemple des procédés qui imposent l’utilisation d’eau pour diminuer la consommation d’énergie liée au séchage.
Et quelles sont vos solutions pour décarboner vos apports énergétiques ?
Nous sommes très en avance sur l’utilisation de combustibles alternatifs (déchets solides broyés, déchets de récupération classiques - bois plastiques, cartons – et déchets de biomasse). Nous développons depuis plusieurs années cet aspect-là et nous continuerons de le faire.
« Nous sommes le cimentier avec le facteur clinker le plus bas du marché »
Y a-t-il un apport d’EnR ?
Nous cherchons à développer les énergies renouvelables. Nous avons un projet d’installation photovoltaïque relativement avancé sur une de nos cimenteries. Nous essayons de l’appliquer aussi sur notre activité granulats qui bénéficie de foncier disponible. Et nous avons déjà un contrat de fourniture d’énergie d’origine photovoltaïque.
Vous agirez aussi sur le facteur clinker ?
Nous sommes le cimentier avec le facteur clinker le plus bas du marché (65 % en moyenne). Nous travaillons à la substitution du clinker par des laitiers de hauts-fourneaux mais aussi les cendres volantes, les argiles calcinées, les pouzzolanes …
Pourquoi ne pas viser le 0% clinker ?
Pour qu’un produit soit abordable financièrement, disponible partout en France et gérable par tous, nous pensons qu’on ne peut pas encore se passer du clinker et qu’il a encore sa place dans le ciment. Il en va de la capacité du ciment à répondre aux exigences selon les usages du béton.
Quels sont les autres leviers que vous comptez actionner ?
Nous travaillons par exemple sur toutes les problématiques liées au fret. Nous adhérons à la démarche FRET 21 et dans ce cadre nous nous appuyons sur une flotte de camions qui roulent aux biocarburants.
Nous travaillons avec de nombreux partenaires locaux comme l’entreprise de transports Mauffrey dans le Nord, avec laquelle nous avons un partenariat de long terme, à la fois sur la réduction des émissions de CO2 et sur les questions de sécurité.
Nous nous appuyons également sur du report modal pour les livraisons en région parisienne avec deux terminaux ferroviaires. Récemment nous avons acquis le premier camion électrique en France qui fait des livraisons de ciment entre ces terminaux et les centrales à béton en Île-de-France.
L’économie circulaire est-elle également une cible ?
L’économie circulaire prend bien entendu une place importante. Nous travaillons sur la consommation d’eau avec des circuits fermés, sur le recyclage de sous-produits d’autres industries pour éviter l’extraction de nouveaux matériaux. Nous développons tout cela dans les cimenteries, les granulats et nos bétons qui comportent une part de matériaux recyclés.
« Il y a besoin de structurer une filière pour la capture et le stockage du carbone »
Votre scénario ambitieux prévoit même 100% de réduction à horizon 2050. Comment combler le delta avec les 61% ?
Nous pensons effectivement arriver à passer le cap 2030. Pour après 2030, il faudra traiter les émissions fatales et cela se fera grâce à la capture du CO2. C’est un sujet qui se développe fortement mais les infrastructures ne sont pas encore présentes. De premiers réseaux de transports de ce CO2 sont appelés à se développer et on peut se dire qu’économiquement la question sera plus abordable après 2030. L’utilisation du CO2, elle, reste encore marginale mais nous travaillons dessus.
Comment serez-vous soutenu ?
L’Europe, l’Etat, les régions, les collectivités sont très favorables au développement de ces nouvelles technologies. Il y a une vraie volonté de leur part de faire bouger les choses et nous avons plusieurs dossiers en cours pour obtenir des aides. Mais il est vrai que sur la partie « capture du carbone », son transport et son stockage permanent, les besoins financiers sont importants. Cela est vrai quelle que soit l’industrie. Il y a besoin de structurer une filière. D’autres pays se structurent sur ces aspects-là. Par exemple, les réseaux de transport de CO2 sont administrés par l’État au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
Quel impact toute cette politique de décarbonation aura-t-elle sur le prix final de vos produits ?
Il est trop tôt pour dire quel sera l’impact de la décarbonation sur le prix. Beaucoup de facteurs entrent en jeu : la technologie disponible, la standardisation, la normalisation, l’appétit du marché pour les nouveaux matériaux, …