Evénement

Paul Chemetov, architecte Changer de trottoir ?

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La réalisation d’un nouveau quartier à Saulx-les-Chartreux, étagé sur une colline en pente légère vers l’Yvette – ce qui devrait être l’ordinaire des jours et le bonheur quotidien de chaque architecte – me permet d’apprécier la bureaucratisation croissante des procédures. Course de haies ou jogging, on ne sait, mais nécessaires sans doute pour nous maintenir dans une forme olympique.

Loi sur l’eau, dépollution des sols, protection aux bruits aériens, archéologie préventive. Tout cela est bel et bon et va de soi. Mais pour reprendre les propos d’un très haut responsable à propos du Grenelle de l’Environnement « la question est de débarrasser l’environnement de son administration ». C’était, en d’autres termes, le constat de Paul Thibaud, ancien directeur de la revue Esprit, qui pour épingler les ratés de la gouvernance française inventait cette formule « à chaque problème son administration ». Aujourd’hui, il serait plus exact de dire « à chaque administration son problème ».

Des chiffres ubuesques. Les services instructeurs de l’Etat me demandent d’appliquer le texte de l’arrêté du 15 janvier 2007 pour un terrain dont la pente moyenne est de 8 %. Je cite le texte : «Lorsqu’une pente est nécessaire pour franchir une dénivellation, elle est inférieure à 5 %. Lorsqu’elle dépasse 4 %, un palier de repos est aménagé en haut et en bas de chaque plan incliné et tous les 10 mètres en cheminement continu. Un garde-corps permettant de prendre appui est obligatoire le long de toute rupture de niveau de plus de 0,40 mètre de hauteur. En cas d’impossibilité technique, due notamment à la topographie et à la disposition des constructions existantes, une pente de cheminement supérieure à 5 % est tolérée. Cette pente peut aller jusqu’à 8 % sur une longueur inférieure ou égale à 2 mètres et jusqu’à 12 % sur une longueur inférieure ou égale à 0,50 mètre. »

Derrière ces chiffres ubuesques, une évidence : la pente moyenne d’un terrain constructible ne peut dépasser pour l’administration 4 %. On me précise que ni le respect du plan-masse, ni celui du programme ne sauraient être dérogatoires.

On attribue à Arthur Rimbaud un projet de constitution communiste qui se proposait – afin de rétablir l’égalité – de niveler les collines et de combler les vallons. Nous y voilà. L’assèchement de la mer d’Aral avait montré que rien n’était impossible. Mais à quelle question nous faut-il répondre ? Pourquoi ne pas aplatir la rue Mouffetard ou la rue Lepic, Fourvière ou la Croix Rousse, le Panier et la Bonne Mère, et proposer à nos voisins européens, en raison même de l’universalisme qui nous anime et participe de l’exception française, de rectifier les collines de Rome ou la falaise de l’Acropole pour en faciliter l’accès aux touristes ?

Faut-il donc adapter les pentes du terrain, ou ne vaut-il pas mieux cesser d’handicaper le territoire ? Un beau sujet pour le Grenelle de l’Environnement. Mais, au fait, Grenelle n’était-elle pas une plaine marécageuse ? Vivre en société, c’est vivre la différence. C’est donc accepter les ruptures et les densités. Sans cela, une seule issue : loger 60 millions de français dans vingt millions de pavillons individuels, réduire l’hexagone à une gigantesque suburbia.A voir l’engouement soudain des marchands de paradis sur cata-logue pour les maisons passives (tout un programme…), on voit se mettre en place un raisonnement irréfutable : vive l’étalement urbain puisqu’il est fait de maisons toutes passives ! En oubliant, au passage, le coût des transports individuels (deux, voire trois voitures par maison), celui de l’approvisionnement, des pertes en ligne dans des réseaux distendus et surtout la quantité de terres agricoles à jamais stérilisée.

Réparer et continuer la ville.« Le Moniteur » a publié en cahiers détachés les recommandations des groupes de travail du Grenelle. On y dit avec force que la mise à niveau thermique et environnementale des structures urbaines les plus complexes, les plus denses, apportera la plus importante et la plus immédiate des économies énergétiques attendues.

Il faut réparer et continuer la ville, plutôt que de laisser croire que le salut est ailleurs. Avec quelque inquiétude on peut voir dans les recommandations de la Commission Attali surgir le projet de 10 nouvelles écotowns ! S’agit-il de nouvelles villes nouvelles ? Alors qu’il conviendrait plutôt d’achever et de transformer celles qui furent imaginées il y a quarante ans comme des cités antibanlieues. S’agit-il de gated communities écologiques ? Nous économisons, que les autres crèvent !

C’est dans la ville dense que les réseaux de transports sont les plus performants, que les services sont les plus accessibles et les mieux partagés, c’est à Paris que pédalent les néophytes du Vélib, c’est donc le choix de dix métropoles économes qu’il faudrait faire, installant Paris dans le système urbain français, en tirant parti de notre ancien et formidable réseau de villes.

Au développement durable des seules réglementations, il faut préférer celui des projets et démarches exemplaires. Mais pour cela, il faut sans doute changer de trottoir et de pente.

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