Les élections municipales qui se tiendront les 15 et 22 mars prochains attireront à nouveau l’attention des élus et agents locaux sur la passation des marchés et concessions. Il s’agit d’une période charnière pour la vie publique locale et il doit légitimement être vérifié ce que les organes compétents peuvent faire durant les élections.
L’intervention du premier tour de l’élection municipale marque, en effet, l’ouverture d’une période en apparence paradoxale durant laquelle les organes décisionnaires demeurent intangibles pour assurer la continuité des services publics (CE, 21 mai 1986, « Société Schlumberger », n° 56848)… mais ne peuvent qu’expédier les affaires courantes (CE, 1er avril 2005, « Commune de Villepinte », n° 262078, publié au recueil Lebon).
Les élections doivent ainsi être bien anticipées, car il s’agit d’une période de ralentissement imposée de l’activité contractuelle. Il convient d’achever la passation des contrats avant cette séquence ou de la différer après celle-ci.
L’intangibilité des organes intervenant en matière de contrats
Le principe de l’intangibilité des contrats, qui continue à produire ses effets pendant l’élection municipale, a deux conséquences lors de ce laps de temps particulier.
Des organes siégeant jusqu’à leur renouvellement. Les organes délibérants, les commissions d’appel d’offres (CAO) [1] et les commissions de délégation de service public (CDSP) [2] restent en place tant qu’ils ne sont pas renouvelés. Ils continuent de siéger durant les élections, et après. Dans les communes, en effet, le mandat des membres de la CAO « est lié à celui des membres du conseil municipal » (QE n° 23044, rép. min. publiée au JO Sénat du 6 juillet 2006). Ladite commission est constituée pour l’intégralité du mandat des élus qui la composent et ne peut être modifiée au cours de celui-ci, même en cas de changement de tendance politique au sein du conseil municipal.
• Dans les syndicats de communes - établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sans fiscalité propre -,
« le mandat des délégués est lié à celui du conseil municipal de la commune dont ils sont issus », ce mandat expirant lors de l’installation du nouvel organe délibérant après l’élection des conseils municipaux (art. L. 5211-8 du Code général des collectivités territoriales [CGCT]).
• De même, dans les EPCI à fiscalité propre et les syndicats mixtes fermés, le mandat des conseillers et délégués précédemment élus - et non réélus - prend fin à compter de la date de la première réunion du nouvel organe délibérant (art. L. 5211-6-2 et L. 5711-1 du CGCT).
• Concernant les syndicats mixtes ouverts, à compter du 22 mars prochain, pour l’élection des délégués des collectivités au comité syndical, « le choix de l’organe délibérant peut porter uniquement sur l’un de ses membres » ; et, pour l’élection des délégués des EPCI et des syndicats mixtes au sein de ce comité syndical, « le choix de l’organe délibérant peut porter sur l’un de ses membres ou sur tout conseiller municipal d’une commune membre » (art. L. 5721-2 du CGCT modifié par la loi Notre n° 2015-991 du 7 août 2015 et par la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique n° 2019-1461 du 27 décembre 2019). Dans ces conditions, le mandat des délégués prendra fin à la date de leur remplacement au sein du comité, ce dernier n’étant pas intégralement renouvelé eu égard au décalage dans les mandats de membres des différentes collectivités.
• En ce qui concerne les sociétés d’économie mixte locales (SEML), le mandat des représentants des collectivités et de leurs groupements actionnaires au conseil d’administration ou au conseil de surveillance prend fin, pour les premières, lors du renouvellement intégral du conseil municipal et pour les seconds, lors du renouvellement partiel ou intégral de l’assemblée délibérante du groupement (art. R. 1524-3 du CGCT). Et l’on rappellera que les sociétés publiques locales (SPL) sont, pour l’essentiel, soumises aux règles applicables aux SEML (art. L. 1531-1 al. 5 du CGCT), donc à celles applicables aux représentants des collectivités et de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance (circulaire du ministre de l’Intérieur du 29 avril 2011, n° COT/B/11/08052/C).
• Le Code de la construction et de l’habitation (CCH) prévoit par ailleurs que les membres du conseil d’administration des offices publics de l’habitat sont désignés « après chaque renouvellement total de l’organe délibérant ou de la date de renouvellement d’une série sortante de l’organe délibérant, selon que l’office est rattaché à une commune » ou un EPCI ou à un département (art. R. 421-8 du CCH). Ces membres restent donc en place jusqu’à ce qu’intervienne la désignation de leurs successeurs (3).
En absence de précisions sur la désignation des membres des organes de gouvernance des sociétés anonymes d’HLM (art. L. 422-2 et suivants du CCH) et des sociétés coopératives d’intérêt collectif d’HLM (art. L. 422-3 et s. du CCH), le droit commun des sociétés s’applique. Le renouvellement des mandats est alors prévu par les statuts. Ces sociétés veilleront néanmoins au renouvellement de la désignation des représentants permanents des collectivités siégeant à leurs conseils d’administration ainsi qu’aux représentants desdites collectivités habilités à représenter la collectivité à leurs assemblées générales.
Une composition devant rester inchangée durant la procédure de passation. L’attention doit être portée sur le fait que la passation d’un contrat peut être rendue irrégulière en raison de la modification, après les élections municipales, de la composition d’un organe. Il a ainsi été jugé que la modification de la composition d’un jury, au cours de la procédure aboutissant à donner un avis sur le choix du titulaire d’un marché public, entraînait une rupture d’égalité entre les candidats (CE, 25 janvier 2006, « Communauté urbaine de Nantes », n° 257978, mentionné aux tables du Recueil).
En revanche, lorsque la passation se décompose en phases distinctes de sélection des candidatures puis de choix des offres, la composition du jury peut être modifiée entre ces phases, à condition que le ou les membres du jury concernés aient démissionné ou aient été dans l’impossibilité de siéger (CE, 25 janvier 2006, précitée). Cette impossibilité peut résulter du renouvellement du jury intervenu après les élections. Et cette règle est applicable aux CAO, aux CDSP et aux organes délibérants.
Dans le cas d’un appel d’offres ouvert, la modification de l’organe appelé à se prononcer sur les candidatures est dès lors vivement déconseillée. Il convient, dans ce cas, de finaliser la procédure avant le premier tour des élections municipales ou d’entamer celle-ci après l’installation des nouveaux organes.
Des organes devant impérativement limiter leur activité
Calqué sur le régime applicable aux gouvernements démissionnaires (CE, 4 avril 1952, « Syndicat régional des quotidiens d’Algérie », n° 86015, publié au Recueil), le cadre juridique applicable aux organes de la commande publique durant et après les élections municipales rend ceux-ci incompétents pour passer la plupart, si ce n’est tous les contrats.
Des organes cantonnés à la gestion des affaires courantes. Ce régime impose que la commission d’appel d’offres, comme tout autre organe décisionnaire en matière de commande publique (assemblée délibérante, commission de délégation de service public, maire, président), ne peut, durant les élections et avant l’installation du nouvel organe, « procéder à l’attribution d’un marché excédant, en raison du coût, du volume et de la durée des travaux prévus et en l’absence d’urgence particulière s’attachant à sa réalisation, la gestion des affaires courantes » (voir en ce sens : CE, 28 janvier 2013, « Syndicat mixte Flandre Morinie », n° 358302, mentionné aux tables du Recueil).
Dès lors, s’il est toujours possible de lancer une consultation durant cette période, il ne sera, en revanche, le plus souvent pas possible de l’achever, les organes étant considérés incompétents. Dans une telle éventualité, la procédure de passation du contrat serait annulée.
Il reste toutefois possible de procéder à la passation d’un contrat soit en cas d’urgence, soit lorsque le marché est limité dans sa durée, son volume et son montant. Mais la jurisprudence est sévère.
Ainsi, le Conseil d’Etat a annulé un marché de travaux de construction d’un centre de valorisation énergétique passé par un syndicat mixte, dès lors que la décision d’attribution du marché avait été prise par une commission d’appel d’offres dans une composition procédant du comité syndical non renouvelé, à une date où la CAO ne pouvait prendre que des décisions limitées aux affaires courantes (décision du 28 janvier 2013, précitée).
De même, il a été jugé qu’un marché public de définition passé par une communauté de communes pour la composition urbaine et paysagère de l’extension de deux hameaux, d’un montant de quelque 934 000 euros, a été conclu par une autorité incompétente dès lors que le président de l’EPCI l’a signé le lendemain du second tour des élections municipales (CAA Lyon, 13 février 2014, « Communauté de communes de la vallée du Glandon », n° 13LY00955). Dans le même sens, une autre cour administrative d’appel a estimé que le maire d’une grande commune élu par l’ancien conseil municipal ne pouvait plus légalement signer, le lendemain du scrutin, un marché public portant sur des prestations d’éclairage pour un montant de près de 45 000 euros (CAA Marseille, 18 avril 2016, « Société Twin Audiolive », n° 15MA03482).
Ainsi, hormis le cas d’une urgence certaine, seuls les marchés d’une valeur particulièrement faible pourraient passer le crible de la notion d’affaires courantes. Celle-ci étant toutefois incertaine, une gestion prudente conduit à éviter la passation des contrats durant les élections municipales, à moins que soit envisagée une régularisation par la suite (4).
La possibilité de régulariser la sélection réalisée par l’organe incompétent. S’il existe un doute, après l’élection, sur la compétence de l’organe qui est intervenu dans la passation du contrat attribué, il est possible d’envisager la régularisation de la procédure par l’intervention de la nouvelle CAO ou CDSP et d’une décision de l’organe délibérant « destinées, pour la première, à confirmer le choix de l’attributaire du marché et, pour la seconde, à réitérer l’autorisation donnée à l’exécutif de l’établissement public de signer le marché » (décision du 28 janvier 2013, précitée).
En définitive, si les personnes publiques et les entreprises sont empêchées de passer des contrats dans des conditions normales pendant une courte période, à savoir celle des élections, encore faut-il veiller à ce que cette période ne se trouve pas allongée par un renouvellement tardif des organes compétents en matière de passation des contrats.