Le projet de loi relatif à la réforme de l’ordonnance du 17 juin 2004 sur les partenariats public-privé (PPP) a été rendu public le 13 décembre 2007. Ce texte prévoit la création d’un article 31 qui dispose qu’au deuxième paragraphe de l’article L 242-1 du Code des assurances, après les mots « ni aux personnes morales de droit public » sont ajoutés les mots « ni aux personnes morales assurant la maîtrise d’ouvrage dans le cadre d’un contrat de partenariat. » Cela signifie clairement que désormais, les personnes privées, quelle que soit leur surface financière, seront dispensées de souscrire une police dommages ouvrage (DO), dès lors qu’elles interviendront comme maître d’ouvrage dans une opération réalisée dans le cadre d’un partenariat public-privé.
Sur la forme, comme pour le vote de la loi du 30 décembre 2006 légalisant le plafonnement des polices RC décennale (hors habitation), on sera plus que réservé, puisque la commission technique de l’assurance-construction n’a jamais été saisie de ce projet, alors qu’elle est chargée, en principe, d’étudier les questions qui touchent au fonctionnement de l’assurance-construction.
Sur le fond, trois remarques s’imposent.
La situation du marché de l’assurance n’impose nullement cette disposition
Nous avons eu à de nombreuses reprises l’occasion de rendre compte des difficultés posées par le fait que l’obligation d’assurance en matière de construction, sanctionnée pénalement, ne connaissait aucune limite, alors que très clairement, le marché en la matière ne sait pas offrir des garanties conformes au standard posé par les clauses types au-delà de 250 millions d’euros.
En cela, la loi du 30 décembre 2006, légalisant la possibilité de plafonner les garanties obligatoires en matière de police RC décennale, allait dans la bonne direction, même si le décret d’application fixant les montants autorisés pour ledit plafonnement n’a toujours pas été publié et, surtout, même si cette mesure était incomplète, puisqu’elle laissait de côté le plafonnement de l’obligation d’assurance en matière de police DO.
Ce problème avait été à l’origine du blocage de grandes opérations, notamment réalisées dans le cadre de PPP. En cela, la mesure d’élargissement de la légalisation du plafonnement aux polices DO est attendue avec impatience par les praticiens. Malheureusement, ce n’est pas ce qui est en cause ici avec le projet de réforme de l’ordonnance du 17 juin 2004. Il s’agit, cette fois, non plus de recalibrer l’obligation d’assurance en matière de police DO aux réalités du marché, mais rien de moins que de supprimer purement et simplement l’obligation de souscrire ce type de police, dès lors que le maître de l’ouvrage privé, quel qu’il soit, c’est-à-dire en l’espèce, la société de projet créée ad hoc pour réaliser la construction, intervient dans une opération réalisée en PPP.
On va donc bien au-delà de la dispense accordée en 1989 pour les grandes sociétés privées disposant de la surface financière leur permettant d’entrer dans la catégorie des grands risques.
La police DO : un atout y compris en PPP
Une des justifications avancées réside dans l’application du principe dit de « transparence ». Le choix du statut juridique applicable aux opérations réalisées en PPP ne doit pas générer de contraintes supplémentaires, notamment en matière d’assurance. Dans la mesure où le maître d’ouvrage public n’est pas contraint de souscrire de police DO, lorsqu’il construit pour lui-même, ou, lorsqu’il s’agit de l’Etat, la personne privée se substituant à lui en qualité de maître de l’ouvrage, devrait disposer des mêmes facilités. Surtout, le paiement d’une prime DO ne devrait pas venir peser sur le coût financier du montage.
Pour notre part, nous considérons que la souscription d’une police DO n’est nullement une sujétion financière mais, au contraire, un très bon calcul financier à laquelle les personnes privées recourent très largement.
La quasi-totalité des chantiers dans le secteur privé, quelle que soit leur taille, donne lieu à la souscription d’une police DO, ne serait-ce que parce que la plupart des conventions de financement exigent qu’il en soit ainsi dans le cadre d’une opération réalisée en France.
Deux raisons expliquent, selon nous, que la souscription d’une police DO est un atout.
Une raison d’ordre général
Nombre d’acteurs assimilent la souscription d’une police DO à une sujétion, une contrainte administrative supplémentaire, dont il faudrait s’affranchir à tout prix.S’agissant d’une police de préfinancement, en effet, on peut facilement démontrer que cette garantie fait double emploi avec les garanties d’assurances souscrites en responsabilité décennale par l’ensemble des constructeurs pour couvrir des dommages de même nature. C’est oublier un peu vite que, dans nombre d’hypothèses, le préfinancement devient financement définitif, non pas seulement à raison des fameux « trois angles morts du préfinancement en police DO » mais aussi parce que tout contentieux en recouvrement constitue une aventure incertaine, longue et coûteuse et parfois fertile en rebondissements compte tenu de sa durée. Quelle que soit la taille économique du maître d’ouvrage, qu’il soit personne publique ou privée, il ne semble pas qu’il soit de bonne gestion d’investir des moyens humains et matériels dans ce type de gestion contentieuse. Il est bien préférable de transférer ce risque sur le marché de l’assurance par le paiement d’une prime.
D’aucuns penseront fort justement que ce calcul économique incombe à chacun et qu’il est anormal que l’Etat vienne imposer son choix. Cela justifierait l’exception à l’obligation d’assurance en matière de police DO, pour les sociétés répondant aux critères posés par le Code des assurances pour être qualifiées de « grands risques » et qui construisent pour elles-mêmes. Nous sommes infiniment plus réservés lorsque cette exception est étendue aux personnes publiques, quelle que soit leur taille, comme ce fut le cas en 1989 et bien évidemment pour son extension aux opérations où la personne publique fait réaliser un ouvrage par une personne privée.
Une raison propre à la logique des opérations réalisées en PPP
Si l’on admet l’utilité et l’importance de la fonction de préfinancement de la police DO, on comprendra aisément que, dans bon nombre de cas, la non-souscription de cette police aboutira à fragiliser l’opération.
Tout d’abord, parce que l’opérateur privé maître d’ouvrage est souvent une société ad hoc créée par les constructeurs, mais financée par des tiers, pour lesquels le fait de ne pas disposer de garanties d’assurance fiables pour couvrir les désordres à la construction en phase d’exploitation, dans les dix ans suivant la réception, constitue un alourdissement indéniable du risque.
De plus, on imaginera aisément que la mise en jeu de la responsabilité des constructeurs par la société de projet, maître d’ouvrage qui en est en partie l’émanation, ne sera pas forcément chose facile. En cela, l’entremise de la police DO offre de meilleures garanties pour la personne publique.
Par ailleurs, il conviendrait d’envisager la répercussion de l’allongement du délai de règlement des désordres à la construction qui résulterait de la non-souscription d’une police DO, sur les sociétés d’exploitation, tenues à un résultat, mais avec une responsabilité limitée, d’où là encore, une répercussion sur la société de projet dont l’équilibre financier pourrait ainsi se trouver mis en péril, avec les conséquences que cela pourra avoir sur le service rendu à la personne publique. Ainsi, en cas de désordre grave à la construction, survenant après réception, affectant par exemple un grand hôpital, dont l’exploitation se trouverait arrêtée du fait du sinistre, la société de projet n’aurait d’autre solution que de mettre en jeu la responsabilité de la société chargée de l’exploitation. Or sa responsabilité est de toute façon contractuellement limitée, qu’elle soit ou non une émanation des constructeurs.
Il ne resterait alors plus à la société de projet, pour obtenir réellement la réparation des désordres à l’origine du trouble de l’exploitation, qu’à se retourner contre les assureurs RC décennale des constructeurs, c’est-à-dire au minimum des maîtres d’œuvre et des entrepreneurs, lorsque la construction n’a pas été réalisée dans le cadre d’un contrat de promotion immobilière.
En ce cas, le recours ne pourra être que judiciaire et les indemnités ne seront versées qu’à la suite d’une longue expertise visant à établir puis à répartir les responsabilités (même si elles sont normalement présumées de façon irréfragable). Il s’ensuivra une très longue instance au fond, conduisant très souvent jusqu’en cassation. Pendant ce temps, la société de projet devra faire face à ses obligations vis-à-vis de la personne publique et continuer de rembourser les mensualités de son crédit.
Ainsi, l’absence de la police de préfinancement qu’est la police dommages ouvrage, c’est-à-dire de la police qui doit payer sans recherche préalable de responsabilité, vient fragiliser le montage et, par ricochet, le service attendu par la personne publique. En qualité de maître d’ouvrage, nous sommes convaincus que la mise en place d’une police RC décennale, même collective pour l’ensemble des constructeurs, ne peut remplacer le préfinancement au titre d’une police DO.
La disparition de l’obligation d’assurance : une dégradation de la qualité des garanties
D’aucuns ont pu dire, pour justifier cette nouvelle disposition, qu’en tout état de cause, elle serait sans effets graves dans la pratique, car les personnes publiques pourraient continuer d’exiger la souscription de polices DO... C’est oublier qu’en supprimant l’obligation d’assurance, on fait disparaître, non seulement l’obligation de s’assurer pour le maître d’ouvrage, mais aussi l’obligation « d’assurer » pesant sur les assureurs et, par ricochet, l’obligation de se conformer au standard minimum de garantie imposé par l’article A 243-1, annexe II du Code des assurances.
Dès lors que la souscription de la police intervient en dehors de toute obligation, aucune contrainte ne pèse plus sur les assureurs en dehors des règles générales posées par le Code des assurances. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs rappelé ce point dans le cadre des polices DO souscrites par des personnes publiques (, « communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise », inédit au recueil Lebon).
Quel que soit le poids des souscripteurs, privés ou publics, candidats à la souscription d’une police DO pour ce type d’opération, ils ne pourront disposer de couvertures équivalentes à celles dont ils disposaient jusqu’alors, même si facialement, le libellé des garanties peut demeurer le même. En effet, une fois le caractère impératif des clauses types supprimé, rien n’empêche de prévoir des stipulations permettant de « conditionner » les garanties au respect de toutes sortes de mesures de prévention en cours de chantier, sur lesquelles le maître d’ouvrage, qui ne doit pas s’immiscer dans l’acte de construire, n’a aucune prise directe et pour le respect desquelles il doit s’en remettre à son équipe de maîtrise d’œuvre.
Ce type de dispositions a déjà fleuri ces dernières années dans le texte de certaines polices dommages ouvrage, nonobstant l’existence des clauses type. Cependant, leur application peut encore être neutralisée en cas de contentieux en invoquant l’article L 243-8 du Code des assurances sur le caractère impératif des clauses type, dans le secteur de l’obligation d’assurance.
Il ne faudrait pas penser que, s’agissant du poids économique des maîtres d’ouvrage intervenant dans le cadre de constructions réalisées en PPP, ce déficit dans la qualité des garanties d’assurance n’a que peu d’importance. Il existe toute une série d’opérations réalisées sous cette forme, dans le cadre d’un partenariat entre une commune ou une collectivité de taille modeste et un constructeur qui ne l’est pas moins. Pour ce type d’opérations, la qualité de la couverture assurance demeurait un facteur essentiel de sécurisation du montage qui va disparaître. Certes, la personne publique pourra toujours exiger de son partenaire privé, la souscription d’une police DO, mais l’effectivité des garanties, résultant de l’application très stricte des clauses type par la jurisprudence aura disparu…
Presque trente ans, jour pour jour, après le vote de la loi Spinetta, on ne peut que regretter de voir ainsi démonter peu à peu l’édifice qu’il avait conçu (certes principalement pour le secteur de l’habitation, mais finalement adopté et intégré à de rares exceptions près, par tout le secteur de la construction hors génie civil) et qui constituait un formidable atout de gestion du risque en la matière.

