Les projets d'agriculture urbaine fleurissent en Ile-de-France : de la Cité maraîchère à Romainville (Seine-Saint-Denis) aux toits cultivés de Plantation Paris (XVIIIe) et de Morland Mixité Capitale (IVe). Leur terrain de prédilection est l'architecture, en particulier les terrasses bien ensoleillées. « L'agriculture entre en concurrence avec les toitures solaires, souligne Sidney Delourme, ex-consultant dans le secteur de l'énergie et néo-entrepreneur de sites agricoles siglés Cultivate. Or à surface égale, elle apporte plus de bénéfices à la ville en favorisant la biodiversité, en luttant contre les îlots de chaleur, en multipliant les emplois tout en procurant des moments de bien-être aux citadins. Personne n'aurait envie d'organiser un brunch ou de pratiquer du yoga sous une centrale solaire… » Certains pensent qu'il n'y a plus de place à Paris. « C'est faux ! rétorque-t-il. Les toits haussmanniens ne recouvrent que la moitié de la ville. » Il reste selon lui de gigantesques espaces dans les XIIIe, XVe, XVIIIe et XIXe arrondissements.
Faire pousser des fruits et légumes dans de bonnes conditions sur une dalle de béton ne s'improvise pas. Ecouter les producteurs est primordial. Il faut tenir compte des enjeux agronomiques comme l'exposition, le vent, la température et le taux d'humidité. Se pose aussi la question structurelle du calcul de la portance, qui doit prendre en considération le poids de la terre humidifiée, des cultures à maturation et des personnes. « On sème, cultive, récolte, lave, conditionne et envoie les produits aux clients, explique Sidney Delourme. Chacune de ces étapes nécessite des espaces spécifiques : laboratoires, serres, potagers, chambres froides, bureaux, sans oublier la logistique liée aux flux entrants et sortants sur palette ou brouette via un monte-charge. Si certains de ces aspects sont oubliés, nous pouvons vite nous retrouver avec un site que personne ne voudra exploiter car mal pensé. » Valérian Amalric, architecte de la Cité maraîchèreet fondateur de l’agence Ilimelgo, poursuit l’analyse : « Concevoir un projet d’agriculture urbaine, ce n’est pas comme une école ou une médiathèque dont nous connaissons les usages et les usagers. Là, les agriculteurs inventent, essayent, tâtonnent, mettent en place des procédés. A chaque fois, l’architecture contextualise leurs besoins, elle les accompagne. »
Tracer son sillon. Dans le champ de la maîtrise d’œuvre, l’agriculteur urbain rencontre des difficultés à tracer son sillon. Les problèmes de construction, de fluides ou de paysage sont bien souvent réglés par les spécialistes en la matière. Et chacun veille jalousement sur son pré carré. Yohan Hubert, directeur général de l’entreprise Sous les fraises, plaide pour que son activité devienne un « vrai métier ». Selon lui : « Cette profession émergente est capable d’apporter des solutions concrètes sur des sujets transversaux tels que la gestion des eaux grises et des déchets, la transformation de la ville par la nature et l’alimentation saine et locale. » L’opération du boulevard Morland en atteste (lire p. 61). Mais les changements d’habitudes prennent du temps.
« L'agriculteur urbain peut apporter des solutions à la transformation de la ville par la nature. » Yohan Hubert, directeur général de l'entreprise Sous les fraises
Du côté des paysagistes, Alice Roussille de l’agence Paula avoue qu’un débat existe. En 2021, elle a réalisé le jardin — en partie potager — du siège social de RATP Habitat à Paris (XXe). « La topographie proposée par les architectes de l’Atelier du Pont était parfaite, il n’y avait plus qu’à fertiliser les terrasses », décrit-elle. Les plantes aromatiques et médicinales y côtoient les fruits et les légumes, au grand bonheur des pupilles et des papilles des salariés. Ceux-ci participent aux activités de jardinage organisées par l'association Veni Verdi. Alice Roussille précise avoir eu de bons échanges avec cet exploitant durant la conception du projet. Toutefois, « un paysagiste et un agriculteur urbain ont deux visions différentes des choses, considère-t-elle, l'un imagine une ambiance avec le végétal, quand l'autre en attend un rendement ». Elle ajoute que « les deux sont compatibles, il faut savoir au départ ce que l'on veut ».
Le monde de l'immobilier s'est lui aussi emparé du sujet. « Nous avons été submergés par les demandes de promoteurs - au moins une cinquantaine en moins de deux ans - avec différents degrés de sincérité dans leur engagement environnemental, raconte Sidney Delourme. Tout ce qui va être superficiel pour faire seulement joli sur les plaquettes commerciales ne nous intéresse pas. Nous préférons les groupes tels que Legendre et Linkcity qui veulent accomplir des projets forts à l'échelle d'un quartier, un peu à l'image de Chapelle International où nous sommes implantés. » L'entrepreneur se souvient que sa ferme urbaine Plantation Paris (lire p. 56) figurait en première page des plaquettes commerciales pour la vente des logements qui aujourd'hui la surplombent. « Elle valorise le prix du bien au mètre carré, estime-t-il, avec la promesse d'une meilleure qualité de vie, plus écologique. »
L'écologie, c'est aussi l'empreinte carbone. Simon Davies, directeur du pôle AIA Environnement chez AIA Life Designers, a étudié celle du futur écoquartier des Echats III à Beaucouzé (Maine-et-Loire). Selon ses calculs, le poste consacré à l'alimentation correspond à environ 2,3 t de CO2/habitant/an, alors que les matériaux de construction de l'ensemble des bâtiments représentent généralement moins de 500 kg de CO2/habitant/an. « Quelques mètres carrés d'agriculture urbaine ne pèsent pas directement sur la balance du poids carbone, considère l'ingénieur. Par contre, ils peuvent influencer les comportements des habitants pour qu'ils consomment davantage de produits locaux et de saison, moins carbonés. Quand on regarde l'équation globale d'un quartier, l'alimentation constitue un puissant levier d'action pour réduire son empreinte. Sans opposer les solutions, diviser par deux le gaspillage équivaudrait à construire tous les bâtiments de la ZAC en structure porteuse bois plutôt qu'en mode constructif 100 % béton. C'est sidérant ! »
Face au dérèglement climatique et aux catastrophes naturelles à répétition, les fonds d'investissement se tournent de plus en plus vers le financement et l'acquisition d'actifs ayant un impact positif sur l'environnement. « Auparavant, les projets d'agriculture urbaine étaient considérés comme “nice to have”, résume Sidney Delourme. Désormais, ils sont un “must have”. »