Parfois cachés, souvent oubliés, les ouvrages provisoires peuvent constituer de véritables bijoux de technicité. D'usages multiples, ils peuvent aussi bien autoriser l'accès des engins à un barrage, qu'assurer le soutènement d'une façade ancienne en plein Paris, ou encore faciliter la logistique autour d'un site ultra-contraint. Et contrairement aux apparences, leur mise en œuvre exige souvent autant de préparation que celle d'un ouvrage définitif.
« Le maître d'ouvrage nous consulte avec une idée générale en tête. S'il envisage précisément le résultat final, il maîtrise moins les moyens à mettre en œuvre pour l'obtenir », détaille Thibaut Tampé, président de Locapal, une entreprise spécialisée dans la commercialisation de ces solutions. Au fil des échanges, le choix du type de construction se précise, avec toujours une large part de sur-mesure. « Il s'agit véritablement d'un chantier dans le chantier, avec une exception de taille : nous ne recourons pas aux services d'un architecte », ajoute-t-il.
S'adapter au terrain. « Les ouvrages provisoires exigent un important travail de préparation et de suivi. Il faut non seulement déterminer leurs usages, mais aussi les adapter aux spécificités du terrain. Je me souviens de l'équipage mobile destiné au bétonnage du tablier que nous avons mis au point pour le chantier du pont de Térénez (Finistère) entre 2006 et 2011. Sa conception s'était avérée complexe du fait de la géométrie courbe et variable du viaduc, avec de multiples inclinaisons et directions pour les haubans, des charges variées et, par conséquent, des phasages très spécifiques », se remémore Sébastien Bros, directeur des méthodes et du matériel chez Dodin Campenon Bernard.
Sur les chantiers, les ouvrages provisoires sont généralement utilisés pour satisfaire un besoin bien précis. Ces dernières années, leur usage a toutefois évolué dans certains secteurs. C'est le cas pour le ferroviaire. « Auparavant, nous utilisions des ponts temporaires pour répondre à l'urgence après des catastrophes naturelles, ou alors pour construire des ouvrages d'art en sous-œuvre. Au fil du temps, l'évolution des outils de manutention a permis le recours à de nouvelles solutions de préfabrication, et les ponts provisoires ont été un peu délaissés. Aujourd'hui, ils permettent de relever de nouveaux défis : nous les employons pour mener des chantiers complexes, en particulier dans les grandes métropoles où les contraintes d'exploitations sont fortes, et les faisceaux de voie larges. Cet essor se confirme avec les chantiers des gares du Grand Paris, qui concentrent toutes ces difficultés », témoigne Guillaume Garnier, chef de la division structures, expertise et travaux à la SNCF.
Des ponts temporaires peuvent remplacer les voies ferrées pour maintenir le trafic
Des sites toujours plus contraints. Il y a trois ans, sur le chantier de la gare Fort d'Issy-Vanves-Clamart de la future ligne 15 sud du Grand Paris Express, l'installation de huit ponts provisoires de 30 m de long en remplacement des voies ferrées avait permis de maintenir le trafic de la ligne N du Transilien et des TER Centre pendant plusieurs mois, et ce alors même que les travaux d'excavation de la gare battaient leur plein. Du côté des bâtiments, les constructions en site toujours plus contraint amènent également à recourir à des structures portantes temporaires, à l'instar de celle imaginée pour la construction de la tour Trinity à la Défense, qui surplombe les voies routières franciliennes.
« Les maîtres d'ouvrage intègrent de plus en plus les ouvrages provisoires dans leurs process, alors que ceux-ci étaient assez négligés il y a encore quelques années », reconnaît Thibaut Tampé chez Locapal. Désormais, la question de leur utilité ne se pose donc plus. C'est plutôt celle de leur réutilisation qui émerge. « Réemployer des ouvrages reste difficile. D'abord, parce que leur géométrie a été conçue sur mesure pour une configuration spécifique. Mais surtout, parce que les lourdes charges les fatiguent et que leur réusage pourrait donc poser des problèmes de sécurité », prévient Sébastien Bros.
Une contrainte qui n'empêche pas les constructeurs de se pencher sur le sujet. « Nous travaillons à faire évoluer la traçabilité et la réutilisation. Mais c'est un travail complexe, car les contraintes normatives sont aussi fortes que celles qui s'appliquent aux ouvrages définitifs », rappelle Thibaut Tampé.