A partir de 1997, 16 années au conseil scientifique du Conservatoire du Littoral ont mis à l’épreuve sa détermination à transgresser les frontières. « Dans cette instance remplie de naturalistes, je suis venu dire que l’habitat humain ne se résume pas à une lèpre », évoque Odile Marcel, présidente du Collectif des paysages de l’après pétrole (Pap).
Pionnière interdisciplinaire
« Un travail symphonique », applaudit Jean Jouzel, qui lui a remis le 31 mai son insigne d’officier de la Légion d’honneur. Qui, mieux que le membre de la Promotion 1968 de l’Ecole de chimie de Lyon, pouvait dresser l’éloge de la pionnière de l’interdisciplinarité, agrégée de philosophie la même année ?
« Parler de recherche en paysage relevait du mythe, à la fin des années 1970. Il a fallu plus de 30 ans pour que l’art et la science cessent d’apparaître comme rivales », a rappelé l’ancien vice-président du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dans son hommage à la philosophe qui a notamment enseigné l’anthropologie, l’histoire des sciences et les relations entre art et société.
Les moissons du littoral
Les graines semées au conservatoire du littoral ne cessent de s’épanouir : décerné en 2022 à Alain Freytet pour un aménagement qui concilie l’accueil du grand public, le respect des écosystèmes et la mise en valeur du phare du cap Fréhel (Côtes d’Armor), le grand prix national du paysage a consacré l’approche sobre de l’aménagement à laquelle a contribué la philosophe au sein de l’Etablissement public d’Etat.
En 2023, le lancement du comité national du trait de côte a donné un caractère officiel à la gestion souple du littoral, doctrine pour laquelle le Conservatoire a joué un rôle pionnier.
Plante grimpante
« Ma mère me désignait comme une plante grimpante, sans doute pour signifier un manque de corps ». Odile Marcel interprète l’image dans le sens de la plante pionnière, qui colonise des friches avant de laisser d’autres espèces finir le travail. Elle retient aussi la notion d’intrépidité associée au défrichement.
Mais le gravissement rapide du mur des idées philosophiques a stimulé le besoin de sources ancrées dans le sol : « J’ai évité de mourir en arrivant à l’aménagement », sourit la militante de la revitalisation rurale. L’atterrissage s’est opéré par la culture : pendant plus de 10 ans, Odile Marcel a présidé la Compagnie du paysage, instigatrice du festival des Bouchures à Saint-Benoît de Sault (Indre), associant musique, conférence et visites.
Complices pour les haies
De là est venue la prise de conscience des impacts écologiques et patrimoniaux générés par la destruction massive des haies. Présidente de l’association française Arbres et haies champêtres devenue Arbres champêtres et Agroforesterie entre 2008 et 2015, Odile Marcel y a conforté son profil de semeuse : même si les destructions continuent, la défense des haies est devenue une cause d’Etat et un rare exemple de politique coordonnée entre les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique.
Sans parler du symbole de la complicité entre la philosophe et le climatologue : fils et frère d’agriculteurs, Jean Jouzel a commencé son éloge par l’évocation des souvenirs émerveillés du bocage de Janzé (Ille-et-Vilaine) où il a grandi dans les années 1950.
Emergence du bon gouvernement
Sa capacité à soulever l’enthousiasme, Odile Marcel la démontre avec éclat depuis qu’elle a pris la présidence du collectif Pap, en 2017. Sans elle, qui aurait pu imaginer le front commun présenté en 2022 par sept institutions unies autour de l’idée du paysage, comme méthode du « bon gouvernement » ? Dès sa création en 2015 lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, le collectif a popularisé l’expression issue de la fresque dans laquelle le peintre florentin Ambrogio Lorenzetti a représenté en 1338 la relation harmonieuse entre villes et campagnes.
Lors de la campagne pour les élections présidentielle et législative, « l’appel pour le bon gouvernement » a recueilli les approbations qui dépassent les instances professionnelles constituées par la fédération française du Paysage, l’Association des paysagistes conseil de l’Etat et les architectes paysagistes européens : les Conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, les parcs naturels régionaux, les agences d'urbanisme et les grands sites de France ont rejoint les signataires aiguillonnés par les papistes, présents dans toutes ces instances.
Camp de base
Le 31 mai dans l’enceinte du Conseil économique, social et environnemental, la cérémonie de remise d’insigne de la Légion d’honneur a montré que le message inspire les hautes instances de l’Etat : Dorine Laville, cheffe du bureau des paysages et de la publicité au ministère de la Transition écologique, Frédéric Glanois, numéro deux du Secrétariat général de la planification écologique, Jérôme Gutton, directeur délégué de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires, sont venus manifester leur sympathie à la récipiendaire.
Laquelle, évidemment, ne compte pas se reposer sur ses lauriers : « Nous avons atteint un camp de base. J’ai bien l’intention de continuer à changer pour rebondir sur ce qu’il nous reste à faire », annonce Odile Marcel. La plante n’a pas fini de grimper.
