Interview

« Nous devons privilégier ce qui peut être produit localement », Guy Sidos, P-DG du Groupe Vicat

Malgré la crise, le cimentier tire son épingle du jeu grâce à sa capacité d'adaptation aux besoins du terrain et s'applique à décarboner partout dans le monde.

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En 2024, votre groupe a réalisé près de 4 Mds € de chiffre d'affaires pour une croissance organique de 2,3 %. Quelle stratégie a permis ce résultat ?

Notre modèle est basé sur une diversification géographique sans interdépendance entre nos implantations à travers le monde. Cette organisation a pour but d'amortir les cycles de marché, la faiblesse économique temporaire d'un pays étant compensée par le dynamisme d'un autre.

C'est ce que nous avons réussi à faire l'an dernier.

L'Europe, qui connaît une crise de la construction, fait partie de ces économies en difficulté. Pourtant, vous êtes parvenu à tirer votre épingle du jeu sur ce marché.

A quoi tient cette résilience ?

Elle s'explique en partie par le fait que nos produits sont retenus sur de grands travaux d'infrastructures comme le tunnel du Lyon-Turin. Sur ce type de projet, nous capitalisons sur notre offre adaptée aux besoins de terrain : elle repose sur des matériaux locaux et des équipes dont la compétence est reconnue. Nous avons, par exemple, refait la piste du deuxième aéroport d'Istanbul avec des durées d'interruption de trafic de moins de cinq heures grâce à l'utilisation d'un béton doté d'une forte montée en résistance.

Ce concept de chantier « furtif » séduit beaucoup.

Que pensez-vous des mesures protectionnistes, tel le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que l'Union européenne est en train d'adopter ?

Si vous m'autorisez cette image, je dirais que les cimentiers de certains pays du sud de la Méditerranée sont un peu comme le loup de Tex Avery aux Folies-Bergères. Ils attendent impatiemment que l'industrie cimentière européenne s'écroule pour exporter des produits qui, par la magie du franchissement de frontières, se retrouveraient subitement décarbonés. Dans ce contexte, le MACF [mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, NDLR] ne doit pas être vu comme une mesure protectionniste, mais comme une façon de rétablir un équilibre des conditions socio-économiques entre les producteurs afin que l'industrie du ciment ne connaisse pas ce qu'a vécu en son temps celle du textile. Bien sûr, cela ne nous dispense pas de rester compétitifs et ouverts. Mais nos ports doivent-ils vivre de l'importation de combustibles fossiles ou de ciment carboné ? Ce n'est pas mon opinion. Nous devons compenser le poids carbone des importations et privilégier ce qui peut être produit localement. Sur ce sujet, nous avons un travail d'évangélisation à mener auprès de nos utilisateurs pour les convaincre du bien-fondé de ces pratiques vertueuses.

Certains sont déjà convertis, d'autres un peu moins.

La France nourrit de fortes ambitions en matière de décarbonation, aussi bien pour l'industrie au sens large que pour la construction en particulier, notamment avec la RE 2020. Comment Vicat s'inscrit-il dans cette dynamique ?

En ce qui concerne les produits eux-mêmes, il y a d'abord une réalité commerciale à prendre en compte. Les ciments décarbonés représentent aujourd'hui moins de 15 % de nos ventes en raison d'une demande insuffisante. Au niveau de l'industrie, sa décarbonation suppose d'activer quatre leviers, à commencer par la modernisation de nos équipements (30 % de consommations énergétiques en moins sont réalisables) et le remplacement du combustible fossile par la valorisation énergétique des déchets des métropoles. Le troisième levier consiste à réduire le facteur clinker grâce à des substituts qui reposent non pas sur des formules que j'appellerais « faussement décarbonées », à base de laitiers de hauts-fourneaux ou de cendres volantes, mais sur des formules robustes et industrialisables à base d'argiles ou de pouzzolane naturelle. Enfin, le quatrième point concerne la capture du carbone pour son stockage ou son usage.

Comment mettez-vous en œuvre ce dernier volet ?

Nous développons deux projets : Vaia (Vicat Advanced Industrial Alliance), qui comprend la capture et la séquestration de 1,2 Mt de CO par an sur notre site de Montalieu-Vercieu (Isère), et Lebec Net Zero, du nom de notre site californien, pour lequel nous visons une décarbonation totale. Nous bénéficions pour celle-ci d'une aide fédérale du ministère de l'Energie, qui pourrait atteindre un demi-milliard de dollars. En parallèle, nous travaillons à la valorisation du carbone en le combinant à l'hydrogène biogénique pour créer des e-combustibles (méthanol ou e-kérosène) afin de décarboner en cascade le transport aérien et maritime.

Vous disposez de deux sites de production aux Etats-Unis. Quel peut être l'impact des annonces sur les droits de douane par l'administration Trump ?

Cet impact nous est en réalité favorable, pour la simple raison que nous produisons localement. Nous avons besoin de peu d'intrants importés aux Etats-Unis, dont 20 % du ciment consommé vient du Canada, du Mexique et d'Asie du Sud-Est. En étant installés sur place, en Californie et en Alabama, nous ne souffrirons pas de ces nouvelles taxes aux frontières tant qu'elles n'affecteront pas l'économie dans son ensemble.

« L'impact des droits de douane sur le ciment aux Etats-Unis nous est en réalité favorable, pour la simple raison que nous produisons localement. »

A l'heure où les mesures environnementales sont remises en cause aux Etats-Unis, craignez-vous pour le développement de vos produits moins carbonés dans ce pays ?

Je vous renvoie à un livre de Raymond Cartier intitulé « Les Cinquante Amériques » (1961). Il y a autant de sensibilités politiques qu'il y a d'Etats. L'exemple californien l'atteste, avec une grande avance d'un point de vue environnemental.

Je vous parlais de l'aide de l'administration fédérale d'un demi-milliard de dollars pour décarboner complètement l'usine de Lebec. Il n'y a pas d'équivalent dans le monde ; même la France est en retard. On pourrait aussi citer l'Alabama, qui n'est pas l'Etat le plus progressiste du pays.

Pourtant, j'y ai construit un four ultramoderne, l'un des plus performants du groupe, sans recourir au charbon. Nous y brûlons de la biomasse, avec du gaz naturel en complément. Même dans cette géographie où la réglementation n'impose rien, les conditions économiques de développement de ces nouvelles filières sont bel et bien là. Notre usine au Brésil est un autre exemple intéressant, avec la meilleure progression carbone de tout le groupe.

Où en êtes-vous justement de vos objectifs de réduction de votre empreinte carbone ?

Nous sommes sur la trajectoire, dont l'objectif final est la neutralité en 2050. Nous sommes en phase avec les réglementations locales. Certaines sont moins contraignantes que d'autres, ou décalées dans le temps. Mais les choses progressent vers une plus grande décarbonation.

Ainsi, l'Inde, qui avait décalé d'une vingtaine d'années l'échéance de sa neutralité carbone, commence à publier des réglementations pour le secteur cimentier.

Je n'abandonne pas les zones les plus « compliquées » car je considère que celui qui sait faire sur les territoires contraints en matière de carbone aura l'expertise pour le faire partout.

Par exemple, pour une ligne de production au Sénégal, nous avons obtenu un « green loan » [prêt vert, NDLR] de la Banque mondiale car nos engagements carbone pour cette usine sont ambitieux. Dans tous les cas, le maître-mot est le rééquilibrage entre les pays les plus exigeants en matière de réduction de l'empreinte carbone et les autres.

Pour conclure, interrogeons l'avenir immédiat de Vicat : où en êtes-vous de l'intégration de Cermix ?

J'ai signé le closing le 1er janvier 2025 à minuit et deux minutes ! Le rapporchement entre Vicat Produits industriels et Cermix, sur la base d'une triple complémentarité - géographique, de clients et de produits -, nous place dans la cour des grands producteurs dans la chimie de la construction pour le second œuvre, avec un chiffre d'affaires prévisionnel autour de 220 M€. Les synergies sont fortes dès la première année.

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