Depuis 20 ans, votre agence travaille essentiellement sur des projets de logements. Mais vous portez un regard critique sur la production actuelle…
Laëtitia Lesage et Stéphane Rouault : Le premier des constats est que la surface des logements s’est beaucoup réduite. Si bien que des fonctions annexes, qui ne sont ni dormir, ni manger, ne trouvent plus leur place. Par exemple, les gens qui aiment faire du bricolage n’ont plus d’espace pour cela. D’autant que nous avons observé un phénomène de standardisation puissant.
Il est devenu difficile de s’approprier son logement, d’y développer des usages non prévus. Alors nous nous interrogeons : comment redonner une liberté d’habiter ? Nous sommes ravis que Sophie Delhay, qui travaille sur ce sujet depuis longtemps, ait remporté le prix « habitat » de l’Equerre d’argent mais cette question de l’appropriation du logement devrait être bien davantage débattue.
S’agit-il de prôner la construction de logements plus grands ?
La surface est un luxe et nous nous plaçons dans le cadre d’une économie réelle, qui est celles des bailleurs sociaux de banlieue ou de province avec lesquels nous avons coutume de travailler. Donc nous ne changeons pas fondamentalement les surfaces, mais notre travail porte sur la façon de les traduire spatialement. Notre valeur ajoutée d’architectes est de pouvoir transformer du grand en petit, d’organiser des m² pour créer de l’espace et permettre des usages.
« Torturer les plans »
Dans l’exposition (*) que nous présentons à l’occasion de notre anniversaire, nous retraçons les différentes expériences que nous avons tentées. Par exemple, lors d’un concours auquel nous avions pris part en 2010 avec notre confrère Charles-Henri Tachon, nous avions proposé d’« hyper-dilater » les vestibules pour les rendre appropriables. Nous avions aussi travaillé sur les diagonales afin de donner des profondeurs de vue qui auraient amplifié le sentiment d’espace. A force de torturer les plans, nous avons fini par formaliser ce que nous avons appelé « l’entre-pièces », un dispositif que nous avons mis en œuvre dans des logements sociaux pour Nantes Métropole Habitat en 2011 et Val-d’Oise Habitat en 2017.
A première vue, ça ressemble beaucoup à un cellier… Qu’a-t-il de plus, cet « entre-pièces » ?
Ce petit espace est positionné à la lumière naturelle, en lien avec la loggia et à l’articulation d’autres pièces. A Nantes et à Cergy, il se trouvait à la jonction des salles de bain et des cuisines mais d’autres configurations sont possibles. L’idée majeure est que les habitants peuvent en faire ce qu’ils veulent. En effet, en offrant une variété d’accès et de possibilités de passages, nous rendons cette espace personnalisable.
Leslocataires peuvent le concevoir comme une extension de la cuisine ou de la salle de bains ou bien un lieu de circulation entre les deux. Ou encore tout autre chose. Quand nous sommes retournés voir ces logements, certains y avaient installé leur bureau. Chacun avait inventé son usageet il était parfois très différent de tout ce que nous avions imaginé. Nous avons réalisé que c’était une réussite quand un locataire nous a confié : « j’ai quelque chose que personne n’a ».
(*) « L’entre-pièces, une proposition de Lemérou Architecture » jusqu’au 14 décembre à la librairie-galerie Archilib, 49, boulevard de la Villette à Paris (Xe). www.archilibrairies.com
