Interview

«Nous allons investir 1 milliard d’euros jusqu’en 2041», Laurence Borie-Bancel présidente du directoire de CNR

La loi « Aménagement du Rhône », publiée en mars dernier prolonge la concession de Compagnie nationale du Rhône (CNR) jusqu’en 2041. Laurence Borie-Bancel, présidente du directoire détaille sa feuille de route et ses priorités.

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Laurence Borie-Bancel présidente du directoire de CNR

Quelques mois après votre arrivée à la tête de l’entreprise, quel regard portez-vous sur CNR ?

CNR est un objet singulier dans le paysage français et européen. Elle est concessionnaire du Rhône depuis près de 90 ans et assure trois missions indissociables que sont la production d’électricité 100 % renouvelable, le développement de la navigation et l’irrigation des terres agricoles de la vallée. La première sponsorisant les deux autres. C’est une gestion holistique du fleuve de la frontière suisse à la Méditerranée – en dehors d’un ouvrage situé à Villeurbanne-Cusset resté dans le giron d’EDF. Enfin, je dirai que c’est une entreprise industrielle à caractère fortement redistributif. Sur les 10 dernières années, plus de 80 % de la valeur créée revient à l’intérêt généralvia les dividendes distribués, une redevance sur notre chiffre d’affaires, diverses taxes et la fiscalité.

La loi « Aménagement du Rhône » prolongeant la concession de CNR jusqu’en 2041 induit de nouveaux investissements au profit des infrastructures du fleuve. Quels seront-ils ?

Cette loi publiée le 1er mars dernier qui prolonge notre concession jusqu’en 2041 nous engage à construire six petites centrales hydrauliques* d’une puissance globale de 100 MW (production de 0,5 TWh) et à les mettre en service d’ici 15 ans. L’enveloppe de travaux de 500 millions d’euros englobe également le renforcement deux de nos écluses, l’augmentation de la capacité de production de notre ouvrage de Montélimar. Par ailleurs, nous allons étudier la faisabilité d’un nouvel ouvrage qui serait construit en amont de la confluence du Rhône et de l’Ain dans la zone de Saint-Romain-de-Jalionas. Nous irons jusqu’à l’étape de la concertation préalable. Nous produirons aussi une étude à destination de l’Etat qui visera à démontrer si et dans quelle mesure il est possible d’augmenter la capacité de production de nos ouvrages actuels.

Le texte prévoit aussi une actualisation du schéma directeur vous permettant d’engager des missions d’intérêt général en faveur des territoires traversés par le Rhône. Quels axes allez-vous privilégier ?

Les missions d’intérêt général vont se poursuivre sous la forme de plans quinquennaux dénommés « Plan 5Rhône » autour de cinq axes : les énergies renouvelables non matures comme l’hydrogène, la navigation, la biodiversité, l’agriculture durable et le développement économique des territoires. Elles devraient être dotées de 165 millions d’euros tous les cinq ans.

« Nous ambitionnons de nous développer dans l’éolien et le solaire photovoltaïque »

Premier producteur d’électricité verte, CNR entend poursuivre son développement dans les énergies renouvelables. Lesquelles ?

CNR produit 15 TWh d’énergies renouvelables dont 13,5 TWh d’hydroélectricité soit le quart de la production française. Nos aménagements ayant 51 ans en moyenne, nous avons le devoir de les maintenir à un niveau de performance attendu. Aussi, nous avons engagé un programme de rénovation de 80 millions d’euros annuel en moyenne qui va s’accélérer dans les années à venir. Notre développement dans l’hydraulique sera plus limité. Cependant, nous devons faire preuve d’agilité et de flexibilité pour pouvoir turbiner dès que le Rhône à de l’eau. Aujourd’hui, si nous ne constatons pas de baisse du débit moyen du fleuve, nous subissons d’importantes variations avec beaucoup d’eau en hiver et peu en été notamment dans le sud. Nous avons également à faire face à davantage de phénomènes exceptionnels comme l’an dernier avec une crue en plein mois de juillet !

Nous ambitionnons de nous développer dans l’éolien et le solaire photovoltaïque. Nous avons aujourd’hui 1 GW installé en solaire et éolien. Aussi, nous avons lancé le projet Solarhona avec la volonté d’installer 1 000 MW sur le sillon rhodanien en partenariat avec les entreprises, les collectivités pour solariser leurs toitures. Nous portons d’autres projets en dehors du Rhône. Notre croissance est majoritairement interne avec des portefeuilles à développer qui nous permettrons de mettre en service annuellement de 100 MW par an. Parallèlement, nous restons à l’écoute des opportunités de croissance externe notamment sur des parcs en fin de vie en vue de les régénérer.

L’innovation est dans l’ADN de l’entreprise. Sur quels domaines travaillez-vous ?

Effectivement, l’innovation est au cœur de notre ADN. Nous avons été les premiers à faire du photovoltaïque flottant sur le lac de la Madone (Rhône). Plus récemment, nous avons mis en service la première centrale photovoltaïque bifaciale verticale sur notre digue de Sablons (Isère). Ces panneaux présentent le double avantage de ne pas consommer de foncier et de produire de l’électricité le matin et le soir lors du pic de la demande. Nous travaillons à transformer ce prototype en solution commerciale. Avec Sweetch Energy, nous lançons le premier site pilote de production d’électricité osmotique (différence de salinité entre l’eau douce et l’eau de mer) dans le delta du Rhône. Nous sommes aussi sur le créneau de l’hydrogène car c’est un moyen de stoker l’électricité, de décarboner l’industrie et les mobilités. Nous portons deux projets baptisés ÔH2, l’un dans la vallée de la chimie avec un industriel et l’autre sur le port de Lyon dont les clients seraient les équipements du port (chariots élévateurs, locomotive, barge).

« D’ici 10 ans, nous ambitionnons d’augmenter le transport fluvial de 30 à 60 % »

Le transport fluvial reste marginal en France et doit prendre le virage de la transition énergétique. Comment CNR accompagne-t-elle cette transformation ?

Sans investir un euro, nos installations sont capables d’accueillir quatre fois plus de trafic qu’aujourd’hui. D’ici 10 ans, nous ambitionnons d’augmenter le transport fluvial de 30 à 60 %. Pour soutenir cette ambition, nous avons signé une convention avec SNCF Réseau et VNF pour promouvoir des offres de transports couplés. CNR dispose le long du Rhône de 19 zones industrialo-portuaires qui sont autant d’accélérateurs de développement économique pour la vallée. Pour accompagner les entreprises installées sur ces zones et utilisant la voie d’eau nous leur accordons des loyers moins chers.

Nous accompagnons aussi les acteurs du transport fluvial dans le verdissement de leur activité. Aux côtés de l’Etat, de l’Ademe, et de plusieurs régions, CNR soutient à hauteur de 1 million d’euros le Plan d’aide à la modernisation et à l’innovation (Pami) de VNF pour accélérer la décarbonation du bassin Rhône-Saône. Et, côté transport de passagers, nous allons développer sur les quais des prises haute tension de telle sorte, qu’une fois arrimés, les bateaux puissent se brancher et couper leur moteur.

« CNR porte aussi le plus important programme de réhabilitation d’un fleuve au monde »

Quelles actions menez-vous en faveur de la préservation de la biodiversité ?

Il est important de rappeler que 92 % du domaine concédé de CNR se situe en zone protégée. Aussi, la préservation de la biodiversité et plus globalement de l’environnement sont transverses à nos activités. Nous assurons la continuité piscicole en créant des passes à poissons à proximité de nos sites de production. Nous sommes aussi très fiers d’avoir participé, avec la fondation Tara Océan et l’Ademe, à l’initiative « Fleuve sans plastique ». CNR porte aussi le plus important programme de réhabilitation d’un fleuve au monde en le décorsetant, en redonnant vie aux lônes [bras du fleuve en retrait du lit principal, NDLR]. Depuis les années 2000, sur plus de 120 kilomètres, CNR a restauré 77 lônes et renaturé les berges. Par son mix énergétique, CNR contribue à son niveau, au ralentissement du réchauffement climatique. Et ainsi nous préservons nos ressources que sont l’eau, le vent et le soleil.

* Le-Péage-de Roussillon (Isère), Saint-Vallier (Drôme), Bourg-lès-Valence (Drôme), Beauchastel (Ardèche), Donzère-Mondragon (Vaucluse) et Caderousse (Vaucluse).

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