En octobre 2018, la commande publique a basculé dans le numérique en dématérialisant les procédures de passation. Où en est-on aujourd'hui ?
Le plan de transformation numérique de la commande publique (TNCP) a été adopté fin 2017 pour une durée de cinq années. Il se compose de 19 actions qui s'articulent autour de cinq axes : la gouvernance, la simplification, l'interopérabilité, le pilotage et l'archivage. En 2020, le chantier principal était d'établir le référentiel sémantique de façon à avoir un langage commun entre les systèmes d'information (SI). Aujourd'hui, c'est la partie la plus compliquée techniquement qui nous occupe, celle de l'interopérabilité des plates-formes de passation.
En quoi consiste cette interopérabilité ?
Actuellement, un acheteur public dispose de son profil d'acheteur, en propre ou dans un environnement mutualisé (national comme la plate-forme des acheteurs de l'Etat Place, ou territorial comme pour une région ou un département), mais celui-ci ne communique pas avec les autres profils d'acheteurs. On compte à peu près une trentaine de plates-formes sur tout le territoire.
L'interopérabilité consiste à les faire communiquer entre elles, facilitant ainsi le dépôt des offres des entreprises depuis n'importe laquelle d'entre elles et l'accès aux données de la commande publique.
Quel est l'intérêt de relier les profils d'acheteurs ?
Grâce à l'interopérabilité des plates-formes mais aussi grâce aux services qui seront développés autour, un acheteur pourra accélérer la dématérialisation complète de sa commande publique, au-delà de la simple passation.
Il pourra accéder facilement à toutes les consultations des acheteurs partenaires, et donc à plus de données à exploiter. Il sera aussi en mesure de communiquer sur sa programmation d'achats via un portail national, et connecter de nouveaux services à son profil d'acheteur. En somme, l'idée est d'augmenter la visibilité des marchés et d'améliorer la mise en concurrence des entreprises.
Cette évolution répond-elle aussi aux attentes de celles-ci ?
Cela répond surtout aux attentes des PME/TPE, qui sont ciblées en priorité, mais pas uniquement. Aujourd'hui, les entreprises doivent utiliser des outils de veille pour identifier les consultations qui les intéressent.
Elles doivent ensuite se connecter sur le profil d'acheteur à l'origine du marché pour y répondre. In fine, elles doivent gérer une multitude d'accès. Les grands groupes ont les moyens d'avoir un service de veille, cette situation ne présente donc pas une grande difficulté pour eux.
En revanche, pour les PME, c'est plus chronophage et compliqué à gérer.
Grâce à l'interopérabilité des plates-formes, les entreprises pourront rester dans leur environnement numérique local pour rechercher, consulter et répondre aux marchés des acheteurs partenaires. Concrètement, une entreprise bretonne pourra poser sa candidature pour un marché francilien depuis son interface numérique bretonne.
Elle aura aussi accès à de nouveaux services comme la gestion des contrats ou de leurs certificats de cessibilité.
Quid de l'interopérabilité des autres outils métiers en matière d'achat public ?
Il y a deux types d'interopérabilité possibles : entre profils d'acheteurs et entre services. Le projet TNCP couvre essentiellement la fonction « passation de marché » qui est déjà un gros chantier. Mais il permet aussi un début d'élargissement puisqu'il comporte notamment une action en amont sur le sourcing et une action en aval sur la dématérialisation du contrat et de sa gestion. Pour les autres services, nous devons faire face à la diversité des organisations : les collectivités territoriales développent de plus en plus leur SI achats, mais cette fonction est parfois encore centrée sur le financier ou sur le juridique.
Quels services vont être développés dans les prochains mois ?
Trois services sont prévus au premier semestre. Le portail acheteurs-entreprises tout d'abord. Il s'agit d'un site Internet où les acheteurs peuvent publier leur programmation d'achats et où les entreprises pourront se faire référencer.
A l'ouverture de ce site, toutes les programmations des acheteurs utilisant Place seront disponibles. Certaines collectivités nous ont aussi contactés pour être présentes rapidement, tout comme les grands acteurs hospitaliers.
« Grâce à l'interopérabilité des plates-formes, une PME bretonne pourra répondre à un marché francilien depuis son interface numérique bretonne. »
Le deuxième service en développement concerne les avis de publicité ; il intégrera les dernières évolutions en matière de formulaires européens (appelés « eForms »). Enfin, il y aura un service de publication des consultations avec, en parallèle, un portail d'accès à ces consultations.
D'ici la fin de l'année, trois autres services seront développés : le service de dépôt des offres et d'attribution, la dématérialisation du contrat et sa gestion, et le certificat de cessibilité.
Depuis 2018, les acheteurs doivent rendre publiques les données essentielles des contrats de la commande publique. Où en est-on aujourd'hui ?
Sur le portail en ligne des données ouvertes du ministère de l'Economie, des Finances et de la Relance, il y a plus de 300 000 marchés, alors qu'il n'y en avait que 23 000 sur le site data. gouv.fr deux ans auparavant. Les principaux acheteurs, en direct ou via les plates-formes mutualisées, remontent donc bien leurs données. Nous sommes néanmoins conscients qu'il nous en manque certaines, et c'est pour cette raison que nous menons actuellement une étude afin de résoudre ces difficultés.
L'interopérabilité des plates-formes de passation va-t-elle donner un coup d'accélérateur à cet open data ?
Indéniablement. Faire communiquer entre elles les plates-formes avec des échanges de données « standardisées » ne peut qu'améliorer la remontée de données ouvertes.
Le projet TNCP pourrait permettre techniquement de publier un nombre plus important de données ouvertes - telles celles des avis de publicité -, mais cela ne pourrait se faire que dans le cadre d'une évolution réglementaire. D'ores et déjà, concernant le périmètre actuel des données essentielles, l'Agence pour l'informatique financière de l'Etat, partenaire de la DAJ et de la Direction des achats de l'Etat dans le projet TNCP, a développé un module informatique qui peut se connecter aux profils d'acheteurs et remonte ces données sur data. gouv.fr. Ce module, déjà opérationnel, fera partie du catalogue des services TNCP.
Faut-il s'attendre à l'émergence de nouveaux usages ?
Qui dit extension des données ouvertes, dit forcément usages inédits. Des acheteurs publics pourront exprimer de nouveaux besoins. Des éditeurs, des sociétés de traitement de la donnée pourront leur proposer des services à valeur ajoutée. Il est ainsi possible d'imaginer de nouveaux outils d'aide à la décision pour les acheteurs basés sur des comparatifs de données. Côté Bercy, des outils sont développés pour faciliter l'utilisation de ces données et la lecture de celles-ci par des non-initiés. Un site grand public sur les données essentielles de la commande publique a ainsi été mis en service en juin 2021. En quelques clics, il permet de visualiser les marchés par année ou par territoire, et de sortir les grandes masses chiffrées correspondantes.
Quelles sont les prochaines évolutions attendues ?
Le prochain objectif est l'augmentation du nombre de données couplée à une simplification pour les acheteurs, notamment en fusionnant d'ici 2024 les données essentielles actuelles avec les données de recensement. D'un côté, cela se traduira par un jeu de données plus conséquent (un maximum d'une quarantaine de données pour les marchés publics contre vingt-trois aujourd'hui). De l'autre, les acheteurs n'auront à rendre public qu'un seul jeu de données. C'est déjà une simplification. Il y aura une seconde simplification possible pour les acheteurs adhérant au service TNCP ad hoc : éviter les ressaisies en interne via des remontées automatisées.