Interview

«Notre stratégie de diversification date d’avant la crise sanitaire mais celle-ci a joué un rôle d’accélérateur», Xavier Musseau (Hines France)

Promoteur et investisseur jusqu’alors positionné sur le bureau et le high-street retail, Hines France se diversifie dans les secteurs du logement et de la logistique, sous l’impulsion de son président Xavier Musseau.

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Xavier Musseau, président de Hines France.

Fin décembre, Ivanhoé Cambridge a livré les tours Duo à Paris au groupe BPCE, projet sur lequel Hines France est intervenu en tant que maître d’ouvrage délégué. Quel regard portez-vous sur cette opération ?

C’est tout d’abord un projet de plus d’une dizaine d’années qui s’achève et qui n’aurait pas pu aboutir sans la ténacité de Méka Brunel, à l’époque présidente Europe d’Ivanhoé Cambridge. C’est ensuite un signal urbain très fort. Ces tours, de plus de 100 000 m2, marquent une nouvelle entrée pour l’Est de Paris et, comme tout le monde ne manque pas de le souligner, sont très visibles ! C’est un geste architectural très marquant. En effet, Jean Nouvel a cette capacité à s’imprégner d’un site pour y développer à chaque fois un projet totalement nouveau. Qui pourrait dire que Duo et Hekla sont signées du même architecte ?

« La tour Hekla présente cette particularité de s’inscrire dans la stratégie d’aménagement de La Défense »

Justement, où en est le projet de la tour Hekla ?

Nous livrerons ce projet d’environ 76 000 m2 réalisé en copromotion avec AG Real Estate cet été. La tour, qui a quasiment atteint sa hauteur définitive de 220 mètres, rééquilibre la skyline de La Défense. Ce projet présente aussi la particularité de s’inscrire dans la stratégie d’aménagement du quartier d’affaires. En effet, Hekla se dresse au cœur de la Rose de Cherbourg, un ancien échangeur routier que Paris-La Défense reconfigure actuellement en promenade plantée, à l’image de la « High Line » new-yorkaise. Outre les tours Duo et Hekla, nous menons deux autres projets emblématiques que nous livrerons aussi cette année. D’abord L1ve (33 500 m2) dont nous assurons la maîtrise d’ouvrage déléguée pour Gecina : il s’agit de la restructuration de l’ancien siège social de Peugeot, avenue de la Grande-Armée, à Paris XVIIe, signée de l’agence Baumschlager Eberle Architekten. Ensuite, Stream Building, situé face au nouveau Palais de Justice de Paris. Lauréat de « Réinventer Paris 1 », conçu par Philippe Chiambaretta, nous le développons en copromotion avec Covivio. C’est le premier bâtiment de cette taille - 16 000 m2 - en structure bois-béton. Sa conception modulable et flexible permettra de jouer assez facilement sur la surface des espaces de la partie hôtel par rapport à celle dédiée aux bureaux. C’est aussi un bâtiment multi-usages avec du commerce social au rez-de-chaussée, un potager sur le toit, des activités de production dont une brasserie qui fabriquera de la bière à partir du houblon cultivé en façade !

Plus globalement, quel volume d’opérations développez-vous actuellement ?

Nous développons environ 134 000 m2 de bureaux. Notre champ d’action s’étend sur Paris ainsi que dans l’Ouest parisien (Neuilly-sur-Seine, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux et La Défense) qui représente un terrain de jeu important. Entre les immeubles que nous avons construits en tant que promoteur ou maître d’ouvrage délégué (Carpe Diem, Engie, tour Saint-Gobain, etc.) et ceux que nous avons acquis en fonds propres ou pour le compte de tiers (comme Eurosquare, Workstation ou encore CBX), nous avons développé près de 15 % de l’un des plus gros quartier d’affaires européen. Ce qui fait de nous le premier acteur de La Défense.

« Nous nous reposons la question à chaque crise. Non seulement La Défense est toujours là mais elle en profite à chaque fois pour se transformer »

Certains redoutent que La Défense ne se transforme en friche tertiaire….

Nous nous reposons la question à chaque crise que nous traversons, qu’elle soit capitalistique ou sanitaire. Non seulement La Défense est toujours là mais elle en profite pour se transformer à chaque fois : amélioration de la desserte par les transports en commun, création d’espaces verts, etc. Le quartier d’affaires semble peut-être encore un peu trop institutionnel, un peu trop minéral, un peu trop vertical, voilà des sujets de réflexion… Mais, son avenir ne passe-t-il pas tout simplement par davantage de mixité ? On le voit bien, la séparation est de moins en moins étanche entre quartiers résidentiels et quartiers de bureaux. Enfin, je souhaiterais rappeler un dernier point : si certains bâtiments sont obsolètes, il faut aussi se souvenir que La Défense accueille des immeubles qui sont, de loin, les plus adaptés en termes de hauteur sous plafond, de qualité de l’air, etc.

Certaines tours de bureaux obsolètes pourraient-elles se transformer en logements ?

La reconversion de bureaux en logements se heurte à trois types de difficultés : techniques, financières et administratives. S’agissant plus spécifiquement de la transformation d’immeubles de grande hauteur, les problèmes techniques sont très complexes, notamment pour ce qui touche à la profondeur des plateaux, aux descentes d’eau… mais ils peuvent se régler. Concernant le deuxième point, on peut imaginer que les performances décroissantes des tours devenues obsolètes permettront de faire converger les stratégies et donc de trouver la bonne équation financière. Enfin, les pouvoirs publics doivent accompagner le mouvement. Et de ce point de vue-là, Paris-La Défense a un rôle important à jouer.

« Notre intérêt pour les différentes classes d’actifs s’explique par la porosité de plus en plus grande entre ces actifs et par la vision globale portée par les nouveaux investisseurs »

Jusqu’alors positionnée sur le bureau et le high-street retail, Hines France se diversifie dans le secteur du logement et de la logistique. Cette diversification résulte-t-elle de la crise sanitaire ?

C’est effectivement une nouvelle étape pour Hines France, créée en 1995. D’abord promoteur, la société s’est positionnée comme investment manager à partir de 2012. Aujourd’hui, les deux activités s’équilibrent avec environ 3,5 milliards d’euros d’actifs de développement et 3,5 milliards d’euros de valeur d’immeubles que nous gérons. Notre intérêt pour les différentes classes d’actifs s’explique à la fois par la porosité de plus en plus grande entre ces actifs et par la vision globale que portent les nouveaux investisseurs. Cette stratégie de diversification date d’avant la crise sanitaire mais celle-ci a en effet joué un rôle d’accélérateur. Début 2021, nous avons donc acquis en Vefa 500 logements auprès de Kaufman & Broad, répartis sur huit projets, situés pour moitié en Ile-de-France, essentiellement en grande couronne, et pour moitié dans les métropoles régionales (Toulouse, Bordeaux, Aix, Tours, etc.). Notre ambition est d’être un investisseur de long terme, à horizon 10 ans.

Avez-vous formulé des exigences particulières ?

Nous avons une vision pérenne du logement locatif qui s’inscrit sans doute un peu à contre-courant. Avec Kaufman & Broad, nous avons beaucoup travaillé sur la qualité des prestations, en particulier sur l’épaisseur des cloisons afin d’assurer une bonne performance acoustique, et sur l’équipement minimal à apporter dans les cuisines et les salles de bain. Tout en améliorant les prestations, nous voulons également offrir plus de services aux locataires dans le but de retisser du lien social, de créer une communauté servicielle. Nous avons encore le temps d’y réfléchir. Les trois premiers programmes ne seront livrés que fin 2023 ou début 2024. Par ailleurs, dans le cadre de cette opération baptisée « France Métropoles », nous avons rejoint le Booster du Réemploi, qui vise à réemployer et recycler au maximum les matériaux utilisés au cours de la construction.

« Nous allons poursuivre nos acquisitions de logements mais parallèlement, nous souhaitons réaliser nos propres opérations en tant que promoteur ou copromoteur »

Envisagez-vous rapidement d’autres acquisitions de logements ?

Nous allons poursuivre les acquisitions mais parallèlement, nous souhaitons réaliser nos propres opérations en tant que promoteur ou copromoteur. Plutôt situées en Ile-de-France, elles porteront sur des résidences en coliving, des résidences étudiantes… en fait, sur tout projet résidentiel associant du service. Les programmes importants pourraient inclure une part d’accession, dans tous les cas nous ne nous l’interdisons pas.

Quand une première opération pourrait-elle voir le jour ?

Il est encore trop tôt pour le dire mais il s’agira d’une opération importante.

« Nous avons acquis cet été la majorité du portefeuille et du patrimoine d’Auchan Retail Logistique »

Menez-vous la même stratégie dans le domaine de la logistique ?

De fait, notre stratégie en logistique présente deux points communs avec celle menée dans le secteur du logement. En premier lieu, la taille. Nous avons acquis cet été la majorité du portefeuille et du patrimoine d’Auchan Retail Logistique, soit 350 000 m2 répartis sur onze plateformes. Nous espérons que ce premier investissement, d’un montant de 300 millions d’euros, permettra de mieux nous identifier sur ce marché très compétitif. Seconde similitude avec le logement : nous envisageons de développer nos propres plateformes logistiques. L’objectif consiste à se positionner en zone dense, en première couronne parisienne, avec toutes les difficultés que cela pose en termes d’intégration dans un tissu urbain déjà constitué. En fait, plus la logistique se rapproche des villes, plus elle doit s’obliger à être vertueuse. C’est facile à dire mais complexe à réaliser ! D’autant qu’avec le zéro artificialisation nette, et donc une plus grande rareté des sites, nous serons peut-être amenés à verticaliser les plateformes, qui, de ce fait, vont devenir un produit très technique. Il faut ensuite obtenir l’adhésion des municipalités et donc beaucoup communiquer sur l’intérêt et l’insertion de ces projets. Sans doute faudra-t-il, comme nous l’avons fait avec les bureaux il y a très longtemps, doter les plateformes logistiques d’une vraie qualité architecturale.

Réfléchissez-vous déjà à de premiers projets ?

Nous travaillons avec des architectes sur quelques projets. Je rencontre des maires pour évoquer ce sujet, mieux comprendre leur vision. Ces discussions nous permettent d’adapter nos produits. Nous devons travailler le plus possible main dans la main avec les pouvoirs publics, écouter leurs besoins, comprendre leurs difficultés afin de trouver les bonnes réponses.

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