Cinquante après l'obtention du grand prix de sculpture de la Biennale de Venise, Nicolas Schöffer (1912-1992) est un peu tombé dans l'oubli. La rétrospective que consacre le musée d'art moderne de Lille Métropole (LaM) à ce « Sorcier du monde moderne »(*) vient rappeler le caractère visionnaire de son œuvre. Elle montre la curiosité de ce créateur à la croisée de l'art, de l'architecture, de la recherche et de la science. Le parcours, jubilatoire tant il mêle le son et la lumière, fait la part belle aux œuvres spatiodynamiques et aux théâtres d'ombres. On y croise les figures d'André Bloc, Maurice Béjart, Pierre Henry, Carolyn Carlson, tout comme celles de Robert Doisneau, Claude Lelouch ou Brigitte Bardot.
Collaboration avec Claude Parent
Dès l'entrée, la sensibilité pour l'architecture est manifeste.
La première œuvre du parcours, une toile datée de 1932, représente un rassemblement autour d'un prophète. Schöffer la réalise alors qu'il est encore étudiant aux Beaux-Arts de Budapest, quelques années avant son départ pour Paris. La scène crépusculaire, dans les teintes bleues, se déroule devant un alignement de gratte-ciel esquissant les horizons urbains nord-américains.
Un peu plus loin, une sculpture de 1951, Spatiodynamique 8, évoque un échafaudage ou la structure métallique d'un immeuble. Accrochée au mur, une série de Reliefs spatiodynamiques apparaissent exemplaires de cette pensée architecturale.
Ces compositions de plaques métalliques de différents formats, verticales et horizontales, semblent comme des maquettes vues de dessus. Pour l'auteur du concept de « spatiodynamisme », la sculpture n'est que le préalable à une architecture et à un urbanisme entièrement repensés.
Rapidement, cet intérêt l'amènera à des collaborations avec le monde de l'architecture. En 1949, il rencontre André Bloc, pour lequel il réalise une Horloge spatiodynamique aux mouvements contrastés. Deux ans plus tard, il participe avec ce dernier, à la création du groupe Espace qui milite pour une synthèse des arts. C'est à l'occasion d'une exposition à la galerie M.A.I en 1952 que Claude Parent découvre son œuvre. Les deux hommes se lient d'amitié et travaillent à des projets de villes et de centre commerciaux.
Les dessins d' Alpha d'Habitat représentent des logements sur pilotis à 15 m de hauteur, qui se développent en longues bandes verticales. Le sol est libéré pour la circulation, les jardins et l'agriculture. Les toitures font office de piste d'hélicoptère. Dans le projet de Théâtre spatio dynamique de forme ovoïde, les gradins, situés au centre de l'espace, tournent sur eux-mêmes. Le spectacle de projections lumineuses et de théâtre d'ombres se déploie sur les parois.
De tour en tour
L'artiste déclinera régulièrement le motif de la tour, que ce soit dans ses sculptures métalliques aux multiples variations ou dans ses interventions dans l'espace urbain. Au parc de Saint-Cloud, en 1955, Nicolas Schöffer érige une tour de 50 m de hauteur, constituée de tubes d'échafaudages auxquels s'accrochent des pales mobiles et des capteurs mesurant les sons ambiants, la luminosité, la température et l'hygrométrie. Pilotée par un cerveau électronique, cette construction éphémère réagit à ces données sous la forme de motifs musicaux préenregistrés de Pierre Henry. La tour de Liège, installée sur les bords de la Meuse de manière pérenne depuis 1961, fonctionne sur le même principe, qui consiste à réagir aux « humeurs »
de la ville. Des dizaines de plaques en miroir et de projecteurs accrochés à des axes tournants, se mettent en branle en fonction des informations reçues par la tour. Pour ces projets, l'artiste collabore avec des ingénieurs de Philips. Passionné par la recherche, il déposera plusieurs brevets autour de ces créations.
La ville cybernétique
C'est encore une « tour lumière », d'une échelle monumentale, qui est au cœur de sa réflexion sur l'architecture cybernétique. Equiva-lent de l'œuvre de Gustave Eiffel à l'ère électronique, la Tour Lumière Cybernétique (TLC) est conçue pour le nouveau quartier de La Défense, non loin du Cnit. Sur le papier, les dessins révèlent une œuvre plus proche d'un phare ou d'une sculpture de poutres d'acier que d'un gratte-ciel. Dans une interview télévisée pour Antenne 2 en décembre 1971, son concepteur dévoile le détail de cette construction de 340 m de hauteur. Les six plateformes desservies par ascenseur se déclineraient en « salle de musique, agora, drugstore, salle de conférences, restaurant tournant et une terrasse, la plus haute de France et peut-être du monde ». La crise pétrolière de 1973 et le décès du Président Pompidou, son principal soutien politique, auront raison de cette ambition.
La réflexion de Schöffer sur la ville cybernétique reprend les principes de la cité spatiodynamique, augmentée des instruments de régulation à base de capteurs électroniques. Une sorte de smart city, de ville connectée, avant la lettre. Sur les planches et carnets de croquis, on retrouve la division entre les zones de travail, de repos et de loisir, avec le principe des bâtiments fonctionnels. Le centre de recherche assemble structure rectiligne, sphères et formes ovoïdes. L'université se déploie sur un kilomètre de hauteur et le centre de loisirs sexuels est hébergé dans un sein… Schöffer fut d'ailleurs mandaté par les édiles de Hanovre en 1970-1971, pour réfléchir à une expansion maîtrisée de leur cité, au moyen d'un projet de ville cybernétique expérimentale de 25 000 à 60 000 habitants. L'information est extraite d'un catalogue richement illustré et très complémentaire à l'exposition.
NICOLAS SCHÖFFER, RÉTROPROSPECTIVE Musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut de Lille Métropole
Jusqu'au 20 mai 2018










