Drôle d’inauguration ! La mise en service de deux télésièges – une liaison neuve et une rénovation – s’est produite en pleine période d’interdiction d’exploitation des remontées mécaniques, mi-décembre aux Rousses (Jura). L’aléa sanitaire retarde de plusieurs semaines un événement historique pour le territoire franco-suisse rebaptisé par les professionnels du marketing touristique : les nouvelles infrastructures donnent naissance au domaine alpin « Jura sur Léman », façonné des deux côtés de la frontière par l’entreprise de terrassement bourguignonne Roger Martin en application d’un programme d’investissement transfrontalier chiffré à 15 millions d’euros, dont 11 sur la partie française.
Horizon Mont-Blanc
Du sommet de la Dôle qui culmine à 1680 m, un panorama sublime sur le lac franco-suisse et sur le Mont-Blanc précède la descente vers la nouvelle entrée de la station. Au printemps 2021, démarrera la construction de son bâtiment d’accueil baptisé le Lapin Blanc, composante helvétique du programme d’investissement transfrontalier, même s’il se trouve en territoire français.
Lauréats du concours sur invitation auquel ont participé sept agences des deux pays partenaires, les architectes suisses Graeme et Patricia Capua Mann ont mis en valeur le matériau bois dans un bâtiment à basse consommation qui privilégie les filières courtes.
Gruyère et comté
Sous maitrise d’ouvrage de l’exploitant suisse Télédôle SA, le nouvel équipement se distingue surtout comme marqueur d’une rupture avec la culture du tout ski : « Le Lapin blanc servira de plaque tournante aux randonneurs à vélo ou à pied. Il mettra en valeur la culture sylvo-agro-pastorale du Haut-Jura, avec ses produits emblématiques comme le comté et le gruyère », vante Sébastien Benoît Guyot, président du syndicat mixte de développement touristique de la station des Rousses, maître d’ouvrage des nouvelles remontées mécaniques.
Les télésièges eux-mêmes pourraient se convertir au tourisme estival, si la communauté de communes des Rousses en décide ainsi, comme le laisse présager son histoire récente : « L’idée des quatre saisons a marqué les quatre premiers contrats de station », rappelle Suzy Marcadella, chargée de développement territorial et touristique. Avant de signer le cinquième qui devait couvrir la période 2020-2026, les nouveaux élus communautaires ont souhaité se donner le temps de la concertation et de la réflexion, jusqu’en juillet 2021.
Au pied du tremplin
Ce délai suffira-t-il pour penser la transition de la zone de l’omnibus vers les quatre saisons ? A l’entrée des Rousses et au pied d’un fort reconverti en fromagerie, ce site de réception du plus ancien tremplin de saut à ski du massif du Jura constitue le pilier de sa réputation sportive et touristique. L’agence de paysage In Situ revisite l’avant-projet à la lumière des nouvelles ambitions communautaires : « Paradoxalement, le volet hivernal nous a paru insuffisant », commente Nolwenn Marchand, président de la communauté de communes.
La communauté de communes des Rousses étudie les meilleurs moyens de mettre le projet de réaménagement de la zone de l'omnibus à l'heure du tourisme des quatre saisons.
Quel dénominateur commun trouver entre des équipements ludiques avec exploitation privée et le site de départ de la transju’trail, emblème sportive du peuple jurassien à ski de fond ? Tout comme à l’entrée de Jura sur Léman, une partie de la réponse se jouera dans le bâtiment d’accueil. L’architecte Jean-Jacques Hollard l’a dessiné sur une implantation décidée avec le paysagiste Emmanuel Jalbert, mandataire du projet et dirigeant d’In Situ : « En lisière de forêt, le toit végétalisé de ce mini centre aéré protégera de la neige et s’adaptera à de multiples usages », annonce ce dernier.
Patchwork immobilier
Quand elle aura tranché sur ce projet phare estimé à deux millions d’euros au moment du concours, la communauté de communes des Rousses n’en aura pas fini avec le dossier que rencontrent nombre de communes touristiques de moyenne montagne : comment adapter l’hébergement touristique du XXème siècle ? « A l’opposé des stations alpines qui ont concentré l’offre immobilière dans quelques opérations, la grande dissémination de nos lotissements patchwork complique la réponse », explique Nolwenn Marchand.
Facteur de complexité supplémentaire, le poids important du tourisme social alourdit la facture potentielle des mises aux normes. Parmi les institutions qui ont élu son territoire pour y implanter leur centre de vacances, la communauté identifie les parents d’élèves du Doubs, les villes de Rennes, Troyes, Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Meaux (Seine-et-Marne), Dole…. Le parc immobilier de loisirs comprend aussi les soubassements meublés d’anciennes fermes : « Des biens d’un standing peu élevés sur lesquels nous n’avons pas la main », analyse le président.
L’atout vélo
Pour marquer le mandat qui s’ouvre sous l’angle du tourisme des quatre saisons et de la vie quotidienne de ses résidents permanents, la communauté de communes des Rousses s’appuiera sur un registre moins complexe que l’immobilier : le vélo. Le bureau d’études dolois PMM Ingénieur conseil a rendu fin 2020 l’étude de faisabilité de la voie verte qui reliera les deux lacs emblématiques des paysages communautaires, soit une infrastructure de 26,6 km.
Le projet répond à la stratégie locale de résilience ainsi résumée par Nolwenn Marchand : « Deux facteurs exogènes pèsent sur l’économie locale : le climat et les soubresauts de l’économie suisse. Pour réduire notre vulnérabilité, misons sur nos paysages, à travers la rando et le vélo ».
